Une bonne description suppose que l’auteur ait réalisé au préalable un travail d’observation, de documentation. Cet article traite l’observation indirecte. Frédéric Barbas revisite l’art d’écrire en 20 leçons d’Antoine Albalat et commente les procédés utilisés au regard de son expérience de correcteur d’édition. Sont passées au crible les descriptions imaginées et de souvenir de Victor Hugo, Chateaubriand et Barbey D’Aurevevilly. A la lecture de cet article vous saurez comment vous y prendre pour rédiger des descriptions évocatrices, originales et frappantes.
Seizième leçon : L’observation indirecte
La description imaginée
« S’il y a des paysages, des lieux et des choses qu’on peut copier sur place, il en est d’autres que l’on n’a pas sous les yeux ou qui n’existent même pas. C’est par un effort d’imagination qu’on peindra ce qui n’existe pas ; et c’est par l’effort du souvenir qu’on décrira ce qu’on n’a plus sous les yeux. »
« Il faut tâcher […] de s’aider de ce qu’on a vu, se rappeler tout ce qui peut se rapporter à son sujet, et donner par le vrai les apparences du vrai à ce qui ne l’est pas […] ; on transposera, on adaptera à son sujet ce qu’on a déjà observé. »
Pour cette leçon, afin d’illustrer la description imaginée, Albalat se sert entre autres d’un texte de Victor Hugo dépeignant l’enlisement d’un homme dans le sable. Étant donné qu’il est assez long, comme plusieurs passages concernant l’observation indirecte, j’ai choisi de ne rapporter des auteurs cités que des extraits tronqués demeurant toutefois édifiants quant à la façon dont on peut évoquer une scène à laquelle on n’a pas assisté, ou, comme ce qui concerne la seconde partie de la seizième leçon, dont on restitue le souvenir qu’on en a ; voici ce qu’écrivit Hugo :
« Alors il reconnaît avec une indicible horreur qu’il est engagé dans la grève mouvante, et qu’il a sous lui le milieu effroyable où l’homme ne peut pas plus marcher que le poisson n’y peut nager. […] Le misérable essaie de s’asseoir, de se coucher, de ramper : tous les mouvements qu’il fait l’enterrent ; il se redresse : il enfonce ; il se sent engloutir ; il hurle, il implore, crie aux nuées, se tord les bras, désespère. Le voilà dans le sable jusqu’au ventre ; le sable atteint la poitrine : il n’est plus qu’un buste. Il élève les mains, jette des gémissements furieux, crispe ses ongles sur la grève, veut se retenir à cette cendre, s’appuie sur les coudes pour s’arracher à cette gaine molle, sanglote frénétiquement ; le sable monte, le sable atteint les épaules, le sable atteint le cou ; la face seule est visible maintenant. La bouche crie, le sable l’emplit : silence. Les yeux regardent encore, le sable les ferme : nuit. Puis le front décroît, un peu de chevelure frissonne au-dessus du sable ; une main sort, troue la surface de la grève, remue et s’agite, et disparaît, — sinistre effacement d’un homme. »
La saturation des images ( cinéma, TV et Internet) et de leurs influences dans l’écriture
A la lecture de ces lignes, une réflexion un peu en marge du sujet qui nous occupe m’est venu : il est évident que chacun garde à l’esprit qu’un Hugo ou un Chateaubriand, dont il sera question plus loin, ne disposaient pas de l’inépuisable source de connaissances, souvent audiovisuelle, à laquelle nous avons accès de nos jours. Ce rappel pourrait passer pour du remplissage, mais ne vise dans un premier temps qu’à permettre à ceux qui me lisent de mesurer l’étendue du talent de ces auteurs dont la seule salle de projection se situait à l’intérieur de leur crâne. Notre cerveau peut à présent, si on le souhaite, être irrigué en permanence d’un flot d’images issues de films, de vidéos du Net, de documentaires, etc., qui nourrissent notre imaginaire et enrichissent nos savoirs avec pour éventuel effet secondaire la saturation, même si, partiellement, un tri s’effectue.
Autant Victor Hugo pouvait décrire cent façons de marcher parce qu’il marchait lui-même, autant il ne se serait pas aventuré dans des sables mouvants pour coucher sur le papier les sensations ressenties à mesure qu’ils l’auraient englouti. Aujourd’hui, il se serait documenté sur la Toile (et aurait d’ailleurs appris comme moi que l’on ne peut pas être aspiré par des sables mouvants au point d’y disparaître tout à fait, poussée d’Archimède oblige, notamment) et à force de recherches aurait sans doute fini par remettre en forme, avec le talent qu’on lui connaît, des données sérieuses. J’ai dans l’idée que le récit qu’il nous a fait de cet épisode tragique perdrait de la formidable énergie puisée dans sa dernière image, si tel avait été le cas
C’est pourquoi je ne suis pas persuadé que nous soyons favorisés par rapport à cette époque où ce moyen d’ouvrir d’un clic des fenêtres sur le monde n’existait pas, ni que notre créativité soit facilitée et plus fructueuse dès lors qu’on entreprend de se lancer tels qu’Hugo ou d’autres ont pu le faire dans ce type de description « à l’aveugle », car peut-être sollicitons-nous avec moins de pugnacité les ressources qui sommeillent en nous, croyant à tort que tout est là, à portée de main.
Sans en prendre conscience, il est possible que bon nombre d’entre nous rechignions, puisque tant de commodités nous sont offertes, à se confronter à des difficultés qu’une crainte irraisonnée nous ferait juger plus rébarbatives que formatrices, plus décourageantes qu’enthousiasmantes, quand nous y frotter pourrait sûrement nous apporter un lot de solutions inattendues, et à ce titre à même de bonifier notre écriture dans des proportions surprenantes.
Comme nos lointains ancêtres cueilleurs-chasseurs ayant eu l’excellente obligation d’entretenir leur corps pour se nourrir, quand nos seuls efforts dans ce domaine consistent à tendre le bras pour prendre de la viande sous cellophane dans un rayonnage de supermarché, les écrivains dont nous parlons devaient peut-être plus que nous ne le faisons muscler leur réflexion, quitte, faute d’être en possession de toutes les informations vérifiées rattachées à un sujet, à écrire un passage dont la partie erronée ne retranche rien au côté admirable.
L’ignorance ou la non prise en compte de certains phénomènes physiques et géologiques ont permis à Hugo de nous gratifier d’une superbe conclusion : « sinistre effacement d’un homme. » Je ne prêche bien entendu pas pour le triomphe de l’erreur, pas plus pour le recours au travestissement de réalités scientifiques ou autres afin d’obtenir un effet imparable. Je n’encourage pas davantage l’obscurantisme. Mais j’incite et invite par contre tous ceux désirant exploiter au mieux la manne que le progrès verse en pluie sur nos têtes de ne pas se laisser submerger par le trop-plein et de préserver leurs méninges de la boulimie et de la précipitation.
On dit qu’il faut bien mâcher pour mieux digérer ; ça me paraît valable pour la nourriture alimentaire comme pour celle de l’esprit.
Après avoir mordu sur le bas-côté de cette leçon, reprenons notre trajectoire hugolienne :
La description pour renforcer la perception d’un drame
Quand vous aurez le bonheur de lire ce passage entièrement, vous vous apercevrez que le procédé employé dans sa dernière partie vaut pour l’ensemble ; il y a cette volonté chez Hugo d’enfoncer dès le début de son récit son lecteur au cœur du drame, strate par strate, comme il le fait avec son personnage dans sa « gaine molle ».
Ces étapes d’enfoncement impriment le rythme à la narration, chaque fois que le mot « sable » doit être écrit, il l’est ; non pas que l’auteur se contrefiche des répétitions, l’effet d’insistance visant à acquérir une consistance sableuse afin que les mots craquent de tous leurs grains. À ceci s’ajoute, dans les dernières lignes, la disparition charnelle méthodique du personnage, dont les parties du corps peu à peu aspiré par le trou sont nommées une à une dans un souci de dématérialisation complète : ventre, poitrine, épaules, cou, bouche, yeux, front, chevelure. Puis plus rien. Le sinistre effacement.
À relever, ces deux phrases construites sur le même schéma, d’une égale efficacité redoutable : « La bouche crie, le sable l’emplit : silence. Les yeux regardent encore, le sable les ferme : nuit. » C’est magistral de dépouillement (là où on croirait voir de la simplicité).
Description de souvenir
L’observation indirecte imaginée de Victor Hugo évite soigneusement ce qu’Albalat proscrit avec vigueur dans la description de souvenir : la banalité, dont il estime qu’elle a été suffisamment évoquée dans son ouvrage, mais nous jetant une dernière fois en pâture un court extrait de Jules Sandreau qu’il me revient de vous infliger afin de comprendre le verdict lapidaire qui lui succède :
« Elle était belle, mais, quoique blonde et blanche, d’une beauté moins faite pour inspirer l’amour que le respect. Ses cheveux, d’une rare magnificence, couronnaient un front droit et ferme. Le nez était aquilin et fier, le regard impérieux et hautain, la bouche facilement dédaigneuse. Sans manquer d’élégance, sa taille n’avait rien des formes éthérées… »
Albalat, tout à son indignation, si ce n’est à son courroux devant une telle indigence littéraire : « Ce sont là des descriptions de passeport, des signalements insignifiants. »
Tout est dit.
Le deuxième écueil à fuir en priorité dans la description est la fantaisie :
« […] la fantaisie, ou plutôt l’excès dans la fantaisie. […] Si on ne la dirige pas, on s’habitue à n’écouter qu’elle, on écrit de chic, on se laisse aller, on fait du feu d’artifice, on brode, on découpe, on parade, on veut éblouir et on s’éblouit. »
Voici quelques lignes de Barbey D’Aurevevilly, qu’Antoine Albalat tient pour être le « roi de la fantaisie et de la verve » ; c’est tiré de Les Diaboliques :
« Elle était brune, brune de cheveux, jusqu’au noir le plus jais, le plus beau miroir d’ébène que j’aie jamais vu reluire sur la voluptueuse convexité lustrée d’une tête de femme […] Elle avait les cheveux de la nuit, mais sur le visage de l’Aurore, car son visage resplendissait de cette fraîcheur incarnadine éblouissante et rare, qui avait résisté à tout dans cette vie nocturne de Paris dont elle vivait depuis des années et qui brûle tant de roses à la flamme de ses candélabres. »
Le jugement d’Albalat sur cette prose n’est pas non plus farci de mansuétude :
« Ceci n’est pas du banal, c’est de la fantaisie ; l’on ne voit rien. Pure ornementation littéraire, arabesque amusante, démangeaison de style, description arborescente, virtuosité et feu d’artifice.
Ces miroirs, ces jais, ces ébènes, ces convexités lustrées, ces Aurores, ces fraîcheurs incarnadines, […] tout cela ne peint ni une femme, ni une personne, ni un type. […] Évitez donc à tout prix ce genre de description, évitez-le parce qu’elle a tous les défauts de l’imagination et pas une de ses qualités. »
J’aurais tendance à me ranger à son avis : la surenchère vaine du style de Barbey D’Aurevilly peine à dessiner de véritables contours à son personnage, et au contraire l’étouffe de tant de préciosité. C’est l’écriture du paraître. Je serais moins sévère quant au fait qu’elle ne posséderait pas certaines qualités de l’imagination, car l’auteur tente des assemblages hardis qui sans parvenir à masquer orgueil et suffisance peuvent par moments flatter l’œil, et voilà bien le défaut de cette qualité : à travers le lecteur qu’il flatte, c’est l’auteur qui se loue.
Albalat lui reconnaît cependant ce statut d’auteur :
« Et pourtant Barbey d’Aurevilly est un écrivain ; il a la fièvre, le mot, le choc, l’étincelle, l’expression attirante, la séduction du style, un style efflorescent, érubescent, tailladé, drapé, éclatant, insolent, tourbillonnant et criard. Mais chez lui tout vient de l’imagination, de la fantaisie et du caprice. »
En fait, il y a pires reproches que ceux qu’il lui adresse ; on s’éloigne même de la diatribe jusqu’à déceler l’esquisse d’une admiration contrariée qu’une telle débauche de moyens, une facilité si évidente dans l’expression, soient mises au service d’une littérature trouvant dans une superficialité bouffante sa raison d’être.
La description en action
Par contre, Albalat, s’adonnant parfois à quelque démesure, tresse des lauriers sans ambiguïté à Chateaubriand, disant à propos de sa description d’une tempête que « Nous n’avons pas, dans toute notre littérature française, de pages plus belles. » Il précise : « Remarquez que l’auteur n’a pu écrire ce morceau sur place. Quand la vie est en danger, on ne songe pas à prendre un crayon et à ouvrir un carnet. C’est donc après coup et de souvenir que Chateaubriand a écrit, mais l’impression reçue a été si profonde, que l’évocation a la vigueur d’un instantané. »
Eh bien, voyons ce qu’il en est…
« J’avais passé deux nuits à me promener sur le tillac, au glapissement des ondes dans les ténèbres, au bourdonnement du vent dans les cordages, et sous les sauts de la mer qui couvrait et découvrait le pont : c’était tout autour de moi une émeute de vagues. […].
À la lueur de la lune écornée, qui émergeait des vagues pour s’y replonger aussitôt, on découvrait, sur les deux bords du navire, à travers une brume jaune, des côtes hérissées de rochers. La mer boursouflait ses flots comme des monts, dans le canal où nous nous trouvions engouffrés ; tantôt ils s’épanouissaient en écumes et en étincelles ; tantôt ils n’offraient qu’une surface huileuse et vitreuse, marbrée de taches noires, cuivrées, verdâtres, selon la couleur des bas-fonds sur lesquels ils mugissaient. Pendant deux ou trois minutes, les vagissements de l’abîme et ceux du vent étaient confondus ; l’instant d’après, on distinguait le détaler des courants, le sifflement des récifs, la voix de la lame lointaine. […] La proue du navire tranchait la masse épaisse des vagues avec un froissement affreux. ; et, au gouvernail, des torrents d’eau s’écoulaient en tourbillonnant, comme à l’échappée d’une écluse. Au milieu de ce fracas rien n’était aussi alarmant qu’un certain murmure sourd pareil à celui d’un vase qui se remplit… […].
Un matelot de New York […] tenait le timon dans ses fortes serres, tandis que, la tête tournée, il regardait à la poupe l’onde qui devait nous sauver ou nous perdre. Voici venir cette lame, embrassant la largeur de la passe, roulant haut sur elle-même, ainsi qu’une mer envahissant les flots d’une autre mer : de grands oiseaux blancs, au vol calme, la précèdent comme des oiseaux de la mort. […] La houle arrive : au moment où elle nous attaque, le matelot donne le coup de barre ; le vaisseau, près de tomber sur le flanc, présente l’arrière, et la lame, qui paraît nous engloutir, nous soulève. On jette la sonde ; elle rapporte vingt-sept brasses. Un hourrah monte jusqu’au ciel. »
Voici comment Albalat commente ce texte : « Voilà une page qui peut passer pour le modèle de toute espèce de description. On voit le procédé. Rien ne semble avoir été accordé à l’imagination. On dirait de la photographie. Ce sont des sensations vraies qui se succèdent. Et telle est la force des détails, qu’on dirait qu’il n’y a plus d’images, la métaphore se confond avec l’idée, l’intensité de la vision absorbe tout. »
Les détails significatifs qui donne un vision d’ensemble
Sans forcément me montrer aussi laudatif, je constate que Chateaubriand s’y entend pour, par petites touches, restituer un gigantesque ensemble qui chacune les met en valeur quand il ne les sublime pas. En revanche, avancer « qu’on dirait qu’il n’y a plus d’images » me semble discutable, car ce passage en est gorgées, et si elles se mêlent à « l’intensité de la vision », je n’ai pas l’impression que cette dernière « absorbe tout ». Ce qui d’ailleurs ne retire absolument rien aux fulgurances de cet extrait, d’autant plus si l’on songe que ce qui nous est rapporté là est le fruit d’une remémoration. Ça ne signifie pas que le tableau dressé par Chateaubriand garantisse le report fidèle de son propre vécu, mais que sa faculté d’observation est telle que même sous le coup d’une forte émotion (on peut sans trop craindre d’être démenti affirmer qu’il n’en existe peu ou pas de supérieure à celle ressentie quand on envisage l’imminence d’une mort brutale), ses pensées semblent s’être organisées aussi soudainement qu’un mécanisme de survie. Conserver vivaces une fois l’événement passé les éléments indispensables à sa reconstitution dépend de la capacité de « stockage mémoriel » variable selon les individus. Apparemment, la boîte crânienne de Chateaubriand devait abriter des rangées de containers.
La description à double sens
Bien que l’évocation de cette tempête soit d’une grande richesse, on se rend compte que l’écrivain n’a mis à contribution que deux de ses cinq sens, la vue et l’ouïe. Si on comprend que le goût ne tienne pas le premier rôle lors de cet épisode, on pourrait s’étonner que l’odorat et le toucher ne soient pas utilisés ; étonnement de courte durée, car il est connu que chez l’être humain un ou deux sens dominent, souvent ceux exploités par Chateaubriand. Pourtant, l’odeur du bois mouillé ou le côté spongieux d’un cordage détrempé auraient par exemple pu étoffer cette scène dantesque, même si en l’état elle ne donne pas le sentiment qu’une goutte d’eau y manque.
Dans l’ombre du Brio
C’est tout l’art du merveilleux styliste qu’est Chateaubriand (sans n’être « que » ça), fournir à son lecteur de quoi se perdre dans l’intelligence d’une tournure habile ou la beauté ciselée d’une image : accaparé par cette écriture de porcelaine, il ne verra que ce qui est, pas ce qui pourrait être. Cette façon d’imposer son talent, tel un prestidigitateur dissimulant ce qui ruinerait le tour, tout le monde ne la possède pas ; il faut du métier, mais ça ne suffit pas ; il faut avoir beaucoup lu, mais on ne lit jamais assez ; il faut être Chateaubriand, et personne d’autre ne l’est. Nulle intention ici de dénoncer chez lui les travers d’un truqueur quand c’est le magicien que je nomme : il est de ceux dont l’usage de la gomme est inutile pour effacer leurs rares défauts, qui s’estompent d’eux-mêmes dans l’ombre de leur brio.
Les naufrages, Les coups de roulis, Les voiles qui claquent et se déchirent au vent mauvais, Les vaisseaux qui gîtent, une pléthore de romanciers a dû leur consacrer des pages magnifiques, et s’il ne viendrait à l’idée de personne de toiser les lignes d’une énergie féérique qu’a alignées Chateaubriand pour reconstruire sa tempête, chacun est en droit de revendiquer la sienne comme la plus féroce ou la plus accablante pour l’âme d’un marin. Mais la mieux écrite… il faudrait, irréalisables travaux pharaoniques, tout comparer !
La pointe d’exaltation qui perce dans le discours d’Albalat lorsqu’il évoque la plume maritime de Chateaubriand rendrait de toute façon l’entreprise vide de sens : pour lui, la cause est entendue… et c’est très bien ainsi.
Complétez l’arsenal…
Albalat n’en parle pas, car sans doute n’était-ce pas en vogue quand il a rédigé L’art d’écrire enseigné en vingt leçons, mais on trouve désormais nombre d’ouvrages étudiant l’observation visuelle, et plus largement les cinq sens. N’en ayant hélas jamais eu un entre les mains, je ne sais quel crédit il faut leur accorder, mais on peut raisonnablement penser qu’il en existe abordant le sujet avec la compétence et la pertinence requises pour retirer de leur lecture un vrai bénéfice. Cela viendrait compléter l’arsenal ordinaire de l’écrivain, ses divers dictionnaires, ses traités de grammaire, ses bréviaires, etc.
« Une description ne doit jamais paraître imaginée. Voilà le grand principe. »
On a vu avec Hugo et son homme ensablé que cet impératif était un objectif atteignable, car en lisant son texte on n’a aucunement l’impression que l’auteur cherche à créer l’illusion du vrai, s’attachant au contraire à nous raconter cette mort atroce avec, dirait-on, l’affliction de qui y aurait effectivement assisté, figé dans une horreur attentive, trouvant dans le fait de relater cette pénible expérience le moyen d’alléger son fardeau. Adopter ce point de vue exige, dans le cas présent, d’entrer en empathie avec sa victime de papier pour mieux partager avec son lecteur une souffrance physique et morale, prélude à sa perte. Il me semble admissible que l’observation, imaginée ou de souvenir, requiert aussi une importante approche psychologique, une mise en condition particulière de l’écrivain au moment d’inventer le réel.
Observer pour décrire, c’est une fois les yeux repus de ce qui nous entoure, dialoguer avec soi à l’aide de mots choisis, puis confier au lecteur le fruit de cette conversation.
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