L’harmonie du style ? Quand la musicalité, le son des mots et leur rythme flattent le sens et l’esprit. Frédéric Barbas, écrivain et correcteur d’édition, revisite la leçon d’Antoine Albalat : L’art d’écrire enseigné en 20 leçons.
Leçon 7
Septième Leçon : l’harmonie style
« […] l’harmonie, c’est-à-dire le sens musical des mots et des phrases et l’art de les combiner agréablement pour l’oreille.
L’harmonie, pour les mots, consiste dans leur son propre.
L’harmonie, pour les phrases, consiste dans leur cadence et leur équilibre. »
Le bon voisinage des mots
Pourquoi choisissons-nous un mot plutôt qu’un autre ? On peut au moins y voir trois raisons : pour sa sonorité et pour les images qu’il déclenche en nous, deux sensations que l’on souhaitera communiquer à son lecteur dans une volonté de partage ; ne le nions pas, en espérant aussi qu’il nous trouve au minimum judicieux dans cette décision : in petto, une part de nous-même guette son approbation.
La troisième est que l’on préférera que ce vocable soit un bon voisin, qu’il prenne par la main ses petits camarades de phrase plutôt que de les bousculer au risque de détruire le bel ordonnancement de cette dernière : l’harmonie en question. Ne pas confondre cela avec une prose lisse ; comme le souligne Albalat, « Le mélange de ce qui est doux et de ce qui est rude est nécessaire pour faire un style. ».
Faire se côtoyer les mots de telle sorte qu’ils produisent une musicalité satisfaisante est un art en soi, ce qui donne son cachet à la prose de l’écrivain. Sachant qu’une grosse part de subjectivité entre en ligne de compte dès lors qu’il s’agit d’employer un terme plutôt qu’un autre — il n’y a pas de logique proprement dite, dans ce choix —, difficile de plaire au plus grand nombre. Il serait présomptueux de croire que l’on sera en mesure d’écrire à tous coups une phrase qui délivrera le son cristallin de la perfection, à l’instar d’un chanteur qui ne sera pas à même de décider que son album soit uniquement constitué de tubes.
Être le chef d’orchestre de ses phrases
Ecrire est un échange, presque un contrat passé avec son lecteur : d’un côté le travail fourni, le métier, le talent, de l’autre des milliers de regards (si l’on est chanceux) scrutant chaque mot pour s’assurer que la promesse tacite d’offrir une littérature de qualité soit tenue. Il sera donc sage de se ranger au côté d’un Albalat estimant qu’avec l’originalité et la concision, l’harmonie bonifie le style.
Si un auteur avisé s’évertuera à ce que ses mots forment un ensemble mélodieux, devenant le chef d’orchestre de ses phrases, il ne devra pas être trop déçu si d’aventure la cacophonie peut poindre au détour d’une ligne, car les meilleurs ne sont pas à l’abri des fausses notes :
« Non il n’est rien que Nanine n’honore. » Voltaire
« Comme les maladies de l’esprit ne se guérissent guère… » Montesquieu
« O Parques ! sœurs inévitables assises à l’essieu des sphères… » Chateaubriand
Albalat, citant Maupassant qui lui-même cite Flaubert, nous rappelle un bon moyen pour passer ses phrases à l’épreuve d’un redoutable révélateur :
« Une phrase est viable, disait-il, quand elle correspond à toutes les nécessités de la respiration. Je sais qu’elle est bonne, lorsqu’elle peut être lue tout haut. »
Essayez-vous à cet exercice, vous serez sûrement surpris de devoir reprendre votre souffle ou de peiner sur un enchaînement de mots que vous jugiez pourtant fluide, ou simplement correct… L’œuvre de Flaubert résonne des textes hurlés dans son gueuloir…
Les herses du style
« Une des grandes causes de dureté dans le style c’est l’emploi trop fréquent des qui et des que. »
Ce défaut, Albalat le pointe surtout chez les auteurs du XVIIe siècle, mais on le retrouve sporadiquement et de manière moins prononcée dans des écrits actuels. Si Albalat note que « L’abus des qui et des que a fini par disparaître de notre littérature. », il ajoute : « Flaubert les proscrivait comme le plus grand écueil de l’harmonie. ». Il faut donc s’en prémunir afin de ne pas tomber par exemple dans les travers de Pascal dans ses Pensées :
« Ils ont un instinct secret qui les porte à chercher le divertissement et l’occupation au dehors, qui vient du ressentiment de leurs misères continuelles ; et ils ont un autre instinct secret, qui reste de la grandeur de notre première nature, qui leur fait connaître que le bonheur n’est en effet que dans le repos et non pas dans le tumulte […]. »
Il faut bien sûr remettre cela dans le contexte littéraire d’une époque exigeant peut-être ces tournures lourdes sous couvert d’un effet de mode ou d’une manie coupable. Quoi qu’il en soit, on sera bien inspiré… de ne pas s’en inspirer !
Comme pour les auxiliaires avoir et être, Albalat propose des solutions de remplacement :
Cet usage qu’on trouvait ridicule, pour : cet usage jugé ridicule.
Le jeune homme qu’il avait aperçu la veille, pour : le jeune homme aperçu la veille.
Ce passage qui est cité dans tel livre, pour : ce passage cité dans tel livre…
Contrairement aux adverbes et aux épithètes, dont on use parfois à la manière de fanfreluches, ces pronoms n’ont rien de « sexy » ; leur seul caractère utilitaire ne flattant pas le texte, il y a peu de risques de les voir coloniser nos phrases. Ces herses du style ne devraient donc pas constituer un obstacle majeur à la mise en musique de sa prose pour l’auteur toilettant un texte avec le sérieux requis.
Comment faire tinter son style ?
« Il y a un charme, une musique spéciale, non pas seulement dans les mots exotiques et rares, mais dans les mots ordinaires de la langue, suivant l’emploi qu’on en fait. »
La tentation du beau, du mot pailleté, est compréhensible, mais ne doit pas occulter la manne que représentent les mots gris muraille, qui bien combinés peuvent susciter le ravissement :
« Sous les pieds des éléphants qui les écrasent, les poitrines craquaient comme des coffres. »
> Flaubert
Il y a du fracas dans cette phrase, quelque chose de puissant faisant qu’elle retient l’attention — on peut imaginer que plus d’un lecteur s’y est arrêté en la découvrant, savourant la fabrication de la trouvaille.
Pourtant, aucun mot rare ou exotique auxquels Albalat fait mention ne sont employés. Il s’agit juste d’une association qui sous des dehors faussement anodins provoque la subjugation.
Deux images fortes qu’une virgule sépare sont contenues dans cette phrase, la première amorçant dans l’esprit du lecteur, par l’intermédiaire du verbe écraser, un sentiment de destruction qui se prolonge dans la seconde avec le verbe craquer qui lui répond. Pour commencer, Flaubert nous soumet quelque chose d’immédiatement identifiable, des éléphants dans toute l’inéluctabilité de leur masse dévastatrice. Ensuite, il joue sur un registre plus subtil, mais l’impact ressenti se révèle d’une intensité égale. On peut s’interroger sur ces poitrines qui craquent comme des coffres, c’est une comparaison assez insolite, et parce qu’elle l’est elle en devient aussitôt frappante. On sait qu’une phrase sonne claire et juste quand lui retirer ne serait-ce qu’une virgule lui serait dommageable, et l’empâter ruinerait son effet.
« Le chagrin monte en croupe et galope avec lui. »
> Boileau
Des mots banals là encore, mais pleins de l’ivresse du mouvement. En personnifiant le chagrin, Boileau confère une dimension supérieure à la tristesse ordinaire, elle devient affolante de vivacité. S’agissant d’harmonie, cette phrase franchit sans anicroche le rempart des lèvres, rien ne vient heurter la diction de cette image fulgurante. La facilité aurait été d’écrire quelque chose comme « Le chagrin l’accompagne (ou l’escorte) sans relâche », formule en soi correcte, mais dont la platitude empêche qu’elle se gorge du dynamisme de la phrase de Boileau. Et les mots de Boileau, tout « ordinaires » qu’ils soient, sonnent avec élégance.
De tels maîtres sont à étudier pour qu’à son tour on ne laisse pas d’interstices dans nos phrases qui se verraient viciées par le mot de trop. Il faut les barricader. Et ne pas avoir peur de frotter la ouate contre l’acier, mots faibles et mots forts, pour créer le contraste qui fera que la littérature chante. Être en quête du choc harmonique, du terme qui épaulera notre pensée avec joliesse, voilà des objectifs atteignables à condition d’y consacrer du temps utile, celui qui nous plonge dans les livres et autres dictionnaires. Écrire comme on chantonne ou claironner sa prose, chacun s’y retrouvera dans le solfège des lettres.
On finira encore avec Boileau :
« … La plus noble pensée
Ne peut plaire à l’esprit quand l’oreille est blessée. »
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