On s’escrime à mettre en œuvre des techniques d’écriture afin d’élaborer les phrases les plus abouties. On lutte dans l’espoir qu’une idée se mette dans les glissières d’une autre pour que la narration d’un texte coulisse avec une fluidité exemplaire. On se bat contre ces inadvertances mettant la cohérence de notre récit en danger. On se démène pour arracher à des dialogues inventés de toutes pièces des accents de vérité. Et dans cette guerre des mots n’ayant de trêve que la préparation de la prochaine bataille, on oublie trop souvent l’essentiel : la victoire se trouve dans la joie d’écrire…

L’écriture, une contrariété heureuse

Aimer Gide comme on déteste Morand, et inversement

Qu’on l’attribue à Paul Morand ou à André Gide, la célébrissime formule « Je n’aime pas écrire. J’aime avoir écrit. » a forcément un jour ou l’autre alimenté nos découragements littéraires. Bien que j’ignore ce que l’auteur à qui on la doit avait précisément à l’esprit au moment où il l’a écrite ou prononcée, il est aisé d’y associer une de nos pénibles expériences où notre inspiration était en cale sèche. Cependant, la nuance n’a que peu de latitude dans la brièveté d’un trait d’esprit, aussi la supposée aversion pour l’écriture au moment où elle se dérobe à notre plume est peut-être à relativiser.

La tête entre les mains

Une vision tenace de l’écrivain pétrifié de désespoir a depuis longtemps pris ses quartiers dans l’inconscient collectif. Celle le montrant, la tête entre les mains, incapable d’ébranler la lourde mécanique de ses pensées, aucune phrase ne s’extrayant de cette pesante machinerie tournant au ralenti ; proche de la panne. Pire : menaçant d’être à jamais hors d’usage. Bien qu’un tantinet exagérée, cette description correspond assez bien aux sables mouvants de l’imagination, j’ai nommé la page blanche. Inutile de vous débattre, cela ne fera que précipiter le moment où votre rêve de devenir écrivain sera définitivement englouti. Si l’on voulait en croire les Cassandre, du moins.

L’ego dans la tourbière

Bon, soyons sérieux et avouons-le : ce calvaire dont on ne se libérerait qu’au prix d’une persévérance surhumaine relève surtout du fantasme. Celui destiné à flatter un ego qui n’aime rien tant qu’on l’extirpe de sa tourbière existentielle pour le mettre soigneusement en valeur, se contentant le plus souvent de la lueur d’une lampe de poche quand il rêverait d’être exposé sous le faisceau d’un puissant projecteur. Notre part d’écrivain maudit, engluée de tourments plus superficiels qu’existentiels, révèle surtout la recherche d’une récompense supérieure aux efforts entrepris pour l’obtenir. Et qu’avant tout, c’est bien la joie d’écrire qui l’emporte sur le reste.

Obstacles et satisfaction

La frustration en filigrane

Si l’on détestait écrire, personne ne nous y obligeant, pourquoi s’y astreindre ? L’appât du compliment ou l’atteinte d’un objectif justifient rarement de se livrer à un acte suscitant plus de dégoût que de plaisir. Dans le « J’aime avoir écrit », je vois plus la continuité d’un travail intellectuel qu’une opposition au fait de « Ne pas aimer écrire ». Dans ce rejet initial, subodorer en filigrane de la part de l’auteur la délicieuse frustration de l’attente d’un plaisir différé n’est pas incongru. L’élaboration d’une histoire est un processus impliquant son lot d’obstacles. Difficultés qui, par leur résolution, sont source de satisfaction.

Tout n’est pas que cahots

La voie de l’écriture, par ses accès complexes, soumet tour à tour à celui qui l’emprunte les rebutants cahots du langage comme l’herbe souple  des paragraphes s’enchaînant sans le moindre heurt. Ne pas aimer écrire supposerait d’office que le côté difficultueux du premier chemin l’emporte à tous coups sur l’harmonieuse balade que propose le second, ce que pour ma part j’ai beaucoup de mal à croire. Se pourrait-il qu’on dissocie à ce point les choses quand on écrit, en soupesant les bénéfices et les inconvénients, ces derniers jugés beaucoup plus nombreux, afin d’affirmer sans un bémol que tout est à jeter ? Là aussi, j’éprouve beaucoup de peine à songer que l’acte d’écrire puisse être perçu tout d’un bloc.

Pourquoi j’aime avoir écrit

Détachons-nous donc un peu de la fameuse formule – de Gide ou de Morand, peu me chaut – et en conclusion de cette première partie, repassons donc par son introduction. Une forme de cohérence me pousse en effet à revenir sur mes pas, puisqu’il s’est finalement agi de ça pour l’essentiel au cours de ce papier. Pour le commencer, j’ai énuméré quelques motifs faisant qu’on hésiterait peut-être à livrer la bataille de l’écriture si l’on n’y voyait qu’une succession de sacrifices, du moins si l’on oubliait la raison de combattre nos doutes d’auteur : en devenir vraiment un. Avec bien entendu comme corollaire d’en éprouver une joie intense. Et ça, voyez-vous, je compte bien m’attacher à le démontrer point par point dès la semaine prochaine. Alors soyez là : car j’aime avoir écrit pour que vous ayez encore envie de me lire…