Est-il nécessaire de posséder une excellente orthographe pour écrire une bonne histoire ? Non. Mais personne ne la lira si elle est truffée de fautes. À l’inverse, suffit-il de parfaitement maîtriser toutes les règles de français afin de proposer un récit passionnant ? Non plus. Les banalités les plus consternantes peuvent bien être orthographiées à la perfection, elles resteront sans intérêt. Derrière ce double constat, on va voir que le rapport de l’écrivain à l’orthographe est plus complexe qu’il n’y paraît, et que même sa créativité dépend de la connaissance des arcanes du vocabulaire…

Peut mieux faire

La fragilité de la perception

Selon une enquête de l’IFOP datant de juin 2023, 85% des Français estiment avoir un bon niveau en orthographe. Dans les faits, le résultat d’un test fondé sur 20 phrases dont il fallait juger si elles étaient correctes ou pas,  « d’un point de vue de la grammaire, de l’orthographe et de la conjugaison », révèle un pourcentage de bonnes réponses bien moins flatteur : 58%. Quel que soit le domaine concerné, on se voit souvent plus beau qu’on est, les certitudes – et l’ego – fragilisant la perception réelle de nos capacités.

https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/07/120075Resultats.pdf

Les grands-mères de l’orthographe

Des études d’opinion du même genre menées par différents instituts de sondage ne disent pas autre chose. Le consensus sur la question dénonce donc l’illusion collective qui voudrait que les difficultés de la langue française n’aient quasiment aucun secret pour nous. On peut aussi prendre en considération le marqueur d’une déperdition de nos acquis orthographiques consistant en le « c’était mieux avant ». En la matière, le bien écrire de nos grands-mères – plus exactement le mieux écrire –,  n’est pas une vision idéalisée, mais est au contraire corroboré par des faits vérifiables.

Les erreurs dans la vitrine

Par exemple, en dépit d’un accès moindre à l’information et plus globalement au savoir, les élèves d’antan ne parsemaient guère leurs dictées ou leurs rédactions de « comment sa va », « il a pas tord » ou des « comme bien même » tels que la vitrine des réseaux sociaux nous permet entre autres de les « admirer ». Certes, il y a bien entendu eu lors de ces époques révolues d’innombrables cancres. Le papier buvard n’avait pu empêcher qu’on relève sur leurs doigts tachés d’encre violette la prise d’empreinte de leur ignorance. Toutefois, il ne serait probablement pas valorisant pour nos chères têtes blondes d’aujourd’hui d’effectuer la comparaison avec les copies de leurs devanciers.

Et les écrivains ?

La vraie mort de Javert

Les auteurs sont-ils mieux lotis par rapport à l’usage de l’orthographe ne serait-ce que par la pratique régulière de l’écrit ? Très certainement, et bien que chez de très grands écrivains on ait pu relever à l’occasion quelques étourderies langagières dont la rareté faisait le sel – de Balzac à Baudelaire en passant par Hugo –, on imagine mal, à juste titre, l’auteur de Les Misérables écrire quelque chose comme « Jean Valjean croivait que l’évêque lui en voudrait d’avoir volé ses chandeliers ». Javert en serait mort sur le coup !

La sentence

Citons aussi, plus proches de nous, des auteurs tels que Daniel Pennac ou Daniel Picouly qui voyaient approcher l’heure de la dictée avec une certaine appréhension. Il s’agissait pour eux d’un exercice dans lequel ils étaient à des années-lumière de briller ; oui c’est plutôt rigolo formulé ainsi. Mais comme tous ceux pour qui ce devoir s’est toujours apparenté à un douloureux parcours semé d’embûches, les phrases articulées par l’instituteur devaient résonner comme la plus sévère des sentences. Sinon, pour le cas où vous vous surnommeriez Daniel et que vous connaissez de graves problèmes en orthographe, essayez de changer de prénom, pour voir. On ne sait jamais.

Les répercussions de la faute

La gomme illusoire

Il ne s’agit donc pas de jeter la pierre à qui commet des fautes, les étourderies orthographiques et les erreurs, récurrentes ou pas, ne traduisant pas une incompétence inéluctable pour peu qu’on se donne la peine de s’améliorer. Par contre, un manque d’effort dans l’acquisition, pour ne pas dire un je-m’en-foutisme patent de l’orthographe, désigne la paresse intellectuelle de qui se montre peu respectueux de ceux amenés à le lire. En ce cas, il ne faudra pas s’étonner de voir les regards se détourner promptement d’un texte dont son auteur est persuadé que son talent puisse gommer les fautes.

Les mécanismes de la faute

On peut aussi remarquer de la part de personnes dont le métier est pourtant de débusquer les fautes d’en laisser passer – je pense notamment aux correcteurs d’édition. C’est plus fréquent qu’on ne le pense, y compris chez des éditeurs dont les auteurs ont remporté le Goncourt, le Femina ou autre Renaudot. Si vous avez l’œil, je suis persuadé que vous remarquerez quelques-uns de ces « oublis » qu’à mon sens il convient plus de considérer avec un sourire indulgent que de foudroyer d’un regard courroucé. Ce n’est pas parce que l’on connaît tous les mécanismes d’un piège qu’on est à l’abri de le voir se refermer sur nous.

La corbeille du néant

Pour qui a dans l’idée de se faire éditer, une mauvaise orthographe sera plus qu’un éventuel sujet d’agacement : elle s’avèrera rédhibitoire. Il faut le savoir, si un responsable de réception des manuscrits ne devait avoir qu’un seul élément de mobilier dans son bureau, ce serait une corbeille à papier. Un rapide coup d’œil expert de sa part, un geste élégant rappelant celui du joueur de basket expédiant le ballon en direction du panier, et voilà le travail de plusieurs mois, voire de plusieurs années, réduit à néant en trente secondes. Sachant cela, ça vaut le coup d’y réfléchir avant d’envoyer son texte sans l’avoir lu et relu avec soin, non ?

Les bienfaits d’une bonne orthographe

Le sens de la précision

L’écrivain et l’orthographe, ce n’est pas qu’une volonté de mettre toutes les chances de son côté en espérant voir son texte publié. Cela entre en ligne de compte, mais au-delà des règles nécessaires à retenir pour présenter un travail sérieux, c’est une compréhension d’ensemble qu’il faut viser. Outre une façon d’écrire correctement un mot, c’est d’en saisir pleinement le sens qui donnera le plus de justesse à nos idées. Être précis est l’art de se désencombrer du superflu.

La déscolarisation de la créativité

Or, la précision de ce que l’on souhaite exprimer est en partie contenue dans l’orthographe. Être écrivain n’a rien à voir avec le fait d’obtenir une bonne note. Si se souvenir des bases apprises à l’école ou sur le tard est important, il est avant tout question de déscolariser sa créativité. C’est-à-dire conserver la chair de l’apprentissage sans être enfermé dans le squelette des conventions. C’est aussi employer le terme dont on sera certain qu’il ne trahira pas notre état d’esprit. Rien de plus frustrant que de mal dire ce que l’on pense si bien.

La recherche de la fusion

S’imprégner de la définition d’un mot ne garantit pas de l’écrire sans fautes mais permet d’en faire usage avec finesse et rigueur. L’écrivain a besoin de la diversité de l’orthographe pour qu’on ne puisse pas mieux formuler que lui ce qu’il a écrit. Entre deux vocables dont la signification est proche, il ne sera pas rare que l’un d’eux convienne mieux que l’autre. Là où le moins ajusté se contentera de traduire une idée, l’autre fusionnera avec elle. Sa façon bien huilée d’intégrer une phrase, la musicalité avec laquelle il s’y dépose, conditionneront également notre choix d’un mot.  

Architecte évanescente, l’imagination emprunte à l’orthographe ses précieux outils de bâtisseuse d’histoires…