Évidemment que vous souhaitez que vos personnages de fiction se démarquent. Ceci est un élément auquel un auteur doit songer avant de les mettre au monde.

Comment définir ses personnages afin de les rendre identifiables le plus rapidement possible ? Ce qui semblerait aller de soi se révèle moins évident qu’on pourrait se le figurer, car des auteurs en herbe rencontrent parfois des difficultés à réussir une caractérisation concluante. Ainsi, il arrive que des personnages paraissent interchangeables tant leur manière de se comporter, de parler ou de penser ne présente que d’infimes nuances là où il serait souhaitable de leur attribuer des différences plus prononcées. Car nous voulons que le lecteur les remarque, sinon à quoi bon leur donner vie ? Mais comment faire ? Justement, j’allais vous en parler…

Un costard sur mesure

L’immanquable

À quoi reconnaît-on un personnage à tous coups dès lors qu’il apparait dans un chapitre ? Ce peut être à sa manière de s’habiller, si jamais celle-ci présente une particularité faisant qu’on saurait immanquablement qu’il s’agit de lui, même en l’apercevant de dos. C’est pourquoi je vais m’empresser de vous décrire la façon dont Ted est accoutré afin que vous puissiez visualiser à quels artifices vestimentaires on peut recourir pour que notre personnage retienne l’attention. Ted ? Oui, le personnage qui nous accompagnera tout au long de cette première partie possédant la singularité d’avoir été écrite dans une cabine d’essayage, ou presque :

Les couleurs de la personnalité

« Je sus que c’était Ted en arrivant derrière lui alors qu’il se tenait debout devant le buffet froid, son éternelle panama jaune constamment incliné de guingois sur sa tête,  tranchant avec un de ses  costards rouge vif aux épaulettes rembourrées. Il était de notoriété publique qu’il en avait acheté un lot de cinq pour pas très cher. Il ne s’en vantait pas mais ne s’en cachait pas non plus si quelqu’un de peu délicat lui faisait remarquer qu’on le voyait toujours avec la même veste coordonnée au même pantalon. »

De la psychologie des facettes à franges

Quelqu’un ayant adopté un tel code vestimentaire, par choix ou souci d’économie, voire les deux, sera identifiable au premier coup d’œil. Ça nous dira quelque chose de son caractère, peut-être, bien qu’un jugement uniquement basé sur des fringues soit des plus hasardeux. Une telle personne est-elle plus originale que radine, dotée d’une personnalité forte le faisant se moquer du qu’en-dira-t-on ou bien « victime » d’une totale absence de goûts vestimentaires ? On le découvrira si l’auteur souhaite approfondir la psychologie de la veste à franges ou les ravages du jean baggy sur l’estime de soi. L’essentiel étant que la tenue arborée donne une indication des facettes intéressantes et donc remarquables de votre personnage. Pour qu’il soit impossible de le louper à l’instar d’un éléphant en train de meugler dans un couloir de porcelaine. Tiens, je crois bien que je viens de mélanger deux expressions, là, zut alors !

Causons un peu

Les tiraillements du personnage

La parole révèle l’homme, et en l’occurrence, de quel bois est fait notre personnage. Que ce soit par le biais d’une répartie qui fait mouche, d’un dialogue porteur d’une anecdote éclairant la façon dont il mène certains aspects de son existence, d’une pensée précisant sa vision des choses, les mots que prononce ou intériorise le personnage le définissent autant que ses actes, quand ces derniers n’entrent pas en contradiction avec son discours, complexifiant davantage sa personnalité. Pour sortir du lot, la confrontation de son idéal de vie avec des choix qui le trahissent dit combien sa sensibilité est soumise à des tiraillements.

Des idées pour plus de visibilité

Il faut réfléchir à ces tiraillements, et plus globalement, avoir des idées grâce auxquelles le personnage gagnera au fil des pages en visibilité et en densité. Se contenter de demeurer au stade où le personnage semble enfin construit serait une erreur, car il ne le sera pas entièrement, même s’il est parvenu à ce point de bascule de son exposition où il occupe tout l’espace qui lui revient dans l’histoire. Ces idées, avant d’être rattachées aux événements vécus ou provoqués par le personnage, doivent avant tout acquérir une forme d’indépendance.

Un monde dans l’univers

Ces idées sont le monde du personnage dans l’univers de l’auteur, sa spécificité. Elles lui appartiennent en propre, c’est-à-dire que le personnage pourrait avoir ces idées inchangées dans un tout autre contexte, au sein d’une histoire totalement différente. Elles représentent non seulement qui il est, mais aussi le côté intangible de ce qu’il est. Ce n’est pas le personnage d’un autre auteur qui souffrirait de revivre sous une autre plume, mais un personnage qui se doit de détenir la constance d’un personnage régulier sans en être un, avec les possibilités d’évolution de celui-ci. À la différence notable que ces évolutions s’effectueront dans le cadre d’un roman unique, pas au cours d’une série comme San-Antonio ou d’une saga comme Millenium. Voici quelques exemples dialogués ou sous la forme d’une réflexion de ce que pourrait être une tentative en direction de votre lecteur afin qu’il parvienne à mieux connaître, donc reconnaître, votre personnage :

« Qu’est-ce que tu n’as pas compris quand je t’ai dit non, Ted?

– Les trois premières lettres. »

« Salut Ted, tu as vu le patron ce matin ?

– Pas la peine, c’est le même qu’hier. »

« Au fait, Ted, tu es athée ? Je n’ai pas souvenir de t’avoir entendu dire que tu étais baptisé, si ?

– Tu sais, mon vieux était tellement bourré le matin du sacrement qu’il m’a vomi dessus. Alors en quelque sorte, oui, sauf que l’arrosage n’est pas venu du bénitier. Puis je n’ai jamais foutu les pieds à l’église ce jour-là, et encore moins ceux qui ont suivi. Au bout du bout, on peut dire que j’ai été baptisé au whiskey et que jusqu’à aujourd’hui je suis resté un fervent pratiquant. »

« Qu’est-ce que tu ferais si tu avais plein de pognon, Ted ?

– Je paierais quelqu’un pour répondre à ma place à ce genre de question. »

« Ted, mon gars, je me demande si tu tentes de faire de l’humour ou d’être honnête. » (Note de l’auteur ayant visiblement oublié qu’il s’est lâchement réfugié derrière son personnage pour tenter de faire sourire son lecteur).

Ted perd-il son temps ?

« Ted songeait aux derniers événements sans les amarrer à l’instant présent, qui selon lui n’existait pas vraiment tant sa propre temporalité s’apparentait à un incessant tiraillement entre le lustre nostalgique du passé et les craintes sans fondement de l’avenir. Ce qu’on réalisait dans la minute devenait un ancien projet la seconde d’après, rien à quoi il parvenait à cramponner son esprit, en tout cas. Il ne voyait aucune forme de nihilisme dans cette forme de non-appartenance à la course du monde, juste un truc susceptible de le déboussoler un peu plus qu’il ne l’était déjà.  Il vivait autant en marge de son existence qu’entre ses lignes, sans que la moindre page en ait été jamais tournée. » 

« Ted, mon pote, je te trouve un peu bizarre. » (Note de l’auteur n’ayant pas compris que ce que le personnage exprimait lui devait beaucoup, pour le pire et pour le meilleur).

Lui, je ne le connais pas

Au nom de l’illusion

N’entretenons pas une illusion : nommer un personnage ne suffit pas à lui conférer une quelconque épaisseur. Répercussion logique : la seule évocation de son patronyme risquera de ne pas constituer un repère mémoriel permettant à un lecteur de l’associer à un rôle précis. Vous pourrez répéter son prénom à l’envi, s’il ne dit ou ne fait rien de marquant, on l’oubliera cinq pages après qu’il aura été cité pour la première fois. Et si lors de sa deuxième apparition dans le récit il ne s’impose pas d’une manière ou d’une autre à l’esprit de ce même lecteur, vous pouvez d’ores et déjà lui donner rendez-vous cinq pages plus loin pour refaire les présentations : on ne saura toujours pas qui il est ni à quoi il sert.

Je ne sais pas d’où il sort, je ne l’ai pas vu entrer

C’est quand même assez ballot de se trouver dans un endroit où personne ne vous calcule, non ? Gageons qu’on ne reprendra plus notre personnage dont on a déjà oublié le nom à fréquenter des pages où l’auteur, faute de savoir-faire, ne lui a pas accordé une chance d’être reconnu. Quant au lecteur, qui se sera à peine rendu compte de son passage comme s’il s’était agi d’un invité dont le seul acte mémorable aurait été de sonner à la porte d’une villa où une fête se déroulait, autant dire qu’il le relèguera dans une des oubliettes de son esprit et plouf ! je sais plus qui tu es. Ou quand tout espoir de notoriété fusse-t-elle éphémère tombe à l’eau.

Ici, on recrute des personnages

Pour ne pas faire subir ce sort désagréable à vos personnages, ne les lancez pas dans le grand bain d’une histoire sans les voir comme vous les verriez face à vous au cours d’un entretien d’embauche que vous leur feriez passer. Vous devez recruter vos personnages, c’est ainsi que je vous propose de les aborder. En évaluant leurs compétences pour vous assurer qu’ils feront bien l’affaire. En les examinant sous toutes les coutures afin d’anticiper ce qu’il faudra modifier chez eux. Ou déterminer si l’image que vous avez décidé qu’ils renvoient ne nécessite que peu de retouches.

Ni habits ni paroles, juste la magie de l’inattendu

S’affranchir des archétypes

Savoir si vos personnages correspondent à des archétypes attendus par votre lecteur doit entrer en ligne de compte sans que ça dénature les valeurs que vous souhaitez qu’ils incarnent ni adoucir leurs traits les plus saillants. Ça ne doit pas vous obséder. Ils sont tels qu’ils doivent être, pas comme votre lecteur voudraient qu’ils agissent par rapport à ses propres codes. Ce dont vous avez besoin, c’est de la bonne personne à la bonne place, pas d’un profil type.  Un personnage dont vous avez envie, pas celui vu dans un autre roman qui ne pourrait s’insérer dans le moule de votre imagination sans perdre ce que vous aviez apprécié chez lui sous la plume d’un autre auteur. En résumé, la matière dont votre personnage doit être constituée est celle que vous êtes seul capable de façonner avec une idée d’une clarté absolue du résultat final que vous désirez obtenir. Celle que vous voulez qu’on remarque.

Une surprise de taille

Vous voulez créer un personnage de jeune femme atypique incorporant une équipe de basket-ball autour de laquelle se concentre l’intrigue de votre histoire ? Et, bien sûr, vous désirez qu’elle effectue une entrée remarquée dès votre introduction, cela va sans dire. Pourquoi ne pas s’inspirer d’une joueuse réelle comme modèle de départ ? La réalité réinventée est souvent convaincante, et quand elle porte en elle les germes d’une destinée hors du commun, elle fournit à un auteur décidant de l’exploiter un excellent matériau de base. Je songe ainsi à Céline Dumerc, qui avec ses 1,69 m a été l’une des plus talentueuses meneuses de jeu de l’équipe de France quand ses adversaires culminaient en moyenne à plus d’1,80m. En vous appuyant sur ce fait, vous pourriez par exemple commencer votre récit de la sorte :

Soyez l’auteur qui saisit la balle au bond

« Même si ça remonte à plus de quinze ans, je me souviens comme si j’entendais encore la porte du gymnase grincer du premier jour où ce petit concentré d’énergie qu’était Kelly Day fit son apparition sur le parquet. Elle s’était arrêtée au milieu du terrain alors que les filles y revenaient après s’être désaltérées. Moi, je l’avais vu arriver par une fenêtre donnant sur le parking du complexe sportif, sortant d’un mouvement fluide et vif de sa petite bagnole, un sac  en cuir craquelé qui paraissait contenir toute sa vie jeté sur son épaule. Elle marchait dans la lumière de cette matinée de juin d’un pas léger et déterminé à la fois.

L’œuf à hélice

Quand elle s’était pointée à l’intérieur, tranquille comme un œuf dans sa boîte, elle avait attendu là que chacune prenne le temps de l’observer à la dérobée, de la dévisager pour certaines. Elle n’en avait cure de ce qu’on pensait d’elle, ça se sentait. On en reparlerait après l’avoir vu à l’œuvre un ballon à la main, lancée dans ses dribbles enfiévrés, jaillissant d’entre des bras musclés pour lesquels elle se montrait insaisissable, rapide comme pas deux avec sa petite queue de cheval qui voletait en tous sens et semblait la propulser comme une hélice. Sûr qu’on en reparlerait.

Une fée véloce

Oui, Kelly Day  avait tout le temps de démontrer qu’il n’y avait pas plus véloce et adroite qu’elle. Prise dans un rayon de soleil traversant un des vasistas du bâtiment tandis que ses yeux clairs allaient des gradins aux paniers, elle semblait nimbée d’une aura de poussière dorée. Et ça faisait une drôle d’impression de la voir là comme une fée entourée d’une vitalité chargé d’électricité crépitant autour d’elle. Quand tout le monde l’avait eu jaugée, celle qu’on n’allait pas tarder à surnommer Quick Dust s’était avancée avec un petit sourire tranquille parmi les autres joueuses la dépassant toutes d’au moins une tête. J’avais appris plus tard qu’elle n’atteignait même pas 1,70 m, et ça se voyait. Mais j’avais eu l’intuition que ça ne l’inquiétait pas le moins du monde.

Une poussière rapide dans les yeux

Aujourd’hui encore, je la revois frappant avec décontraction, d’un geste souple plein d’entrain, dans les mains tendues de ses futures partenaires ; remarquant les regards moqueurs sans en tenir compte, écoutant les ricanements à peine contenus en les enregistrant distraitement comme des sons trop souvent entendus. Mais au terme de leur premier entraînement en commun, ses nouvelles équipières comprirent que Kelly « Quick Dust » Day n’avait pas besoin de lever la tête pour les regarder droit dans les yeux. Parce que la plus grande finalement, c’était bien elle. »

Vous vous en souviendrez ?

L’altération de la teinte originelle

J’ai procédé en utilisant un narrateur prenant conscience que quelque chose de peu ordinaire est en train de se dérouler sous ses yeux au point de s’en souvenir des années après et en témoigner avec la précision des instants qui marquent une vie. Il en informe le lecteur avec un recul n’ayant pas émoussé les images vivaces constituant le côté un peu magique de cet épisode de son existence. Même en admettant que ses souvenirs aient pu être altérés avec le temps – toutes les peintures finissent par perdre leur teinte originelle, après tout – c’est l’impression qui en subsiste qui vaut d’être racontée.

Bric-à-brac

La mémoire ne se contente pas de redonner des couleurs au passé : parfois, elle le magnifie. Nous, auteurs, décrivons souvent des personnages ayant traversé les temps immémoriaux de notre imagination. Il est impossible de dater précisément le moment où ils nous sont apparus, car le processus créatif qui les a fait émerger de notre esprit n’est pas figé dans un moment unique. Tiens, ç’aurait pu être une pensée de ce bon vieux Ted, ça. Bref, ça nous vient de diverses expériences survenues tout au long de notre plus ou moins longue balade sur cette planète. Comme si, depuis la première fois où nous avons écrit, nous n’attendions que le meilleur moment pour brandir sous les yeux de notre lecteur le patchwork dont sont composés les personnages qu’on espère remarquables. Souvenez-vous en : l’inspiration est un curieux bric-à-brac où, semblerait-il, nos personnages attendent leur heure.

Merci pour cette conclusion, Ted…