Un personnage intelligent est souvent moteur dans une histoire : on compte sur lui pour émettre une opinion pertinente, agir avec subtilité, trouver des solutions aux problèmes les plus épineux, venir à bout d’un mystère, indiquer une marche à suivre, etc. La question est de savoir quand et comment cette intelligence peut être amenée à se manifester…

 

 

L’intelligence entre preuves et déshabitudes

Démontrez l’intelligence

Il ne suffit pas d’affirmer à votre lecteur que votre personnage est intelligent pour qu’il adhère à cette assertion. Il lui faut des preuves. Si on vous disait d’un protagoniste qu’il est en mesure de résoudre une énigme avec la même faculté de déduction que Sherlock Holmes, vous demanderiez à voir, je suppose. Votre crédibilité d’auteur doit donc passer par la démonstration des capacités intellectuelles du personnage censé en être pourvu. De préférence, sans recourir à quelque procédé fumeux prêtant plus à une moue dubitative qu’à un commentaire admiratif.

L’intelligence de l’écrivain

Bien sûr, l’intelligence du personnage devra beaucoup à celle de l’écrivain qui l’a créé. Ce qui tombe plutôt bien car il est de notoriété publique qu’aucun auteur n’est stupide. J’entends par-là que je ne citerai pas de nom démontrant le contraire. Quoi qu’il en soit, tout ce qu’on possède de jugeote est bon à transmettre à un protagoniste dont on désire qu’il étonne le lecteur par sa vivacité d’esprit, l’étendue de sa culture, son ingéniosité face aux difficultés et sa parfaite maîtrise de la cuisson d’une côte de bœuf. Bien que ce dernier point puisse être facultatif.

L’intelligence hors du piège routinier

L’intelligence a un passé, donc une mémoire. Elle se souvient de nos échecs afin que nous ne les reproduisions pas ; de nos succès pour nous rappeler l’existence de la satisfaction. Elle tient la curiosité par la taille et pose sa tête sur l’épaule de l’expérience. Elle nous permet de comprendre le regard que les autres nous destinent et exerce le nôtre à observer les changements s’opérant en nous. L’intelligence, c’est le progrès de nos déshabitudes, la force qui nous détache de l’emprise du quotidien afin que sans cesse la nouveauté nous berce. La routine est un piège dans lequel elle se prend ; le goût de la découverte ce qui en écarte les mâchoires.

Le personnage intelligent face au lecteur

L’intelligence soupesée

Quand un auteur met dans la bouche de son personnage des propos se voulant intelligents, le lecteur, sans forcément y adhérer, doit au moins y trouver une source d’intérêt susceptible d’alimenter sa réflexion. Il faut alors qu’au-delà de ses propres croyances, il soit amené à s’interroger sur le bien-fondé de ce qu’il lit, démarche facilitée par la qualité de l’exposition du sujet. Pour cela, l’opinion qu’on lui soumet devra avoir été construite en amont du récit, mûrie après que le pour et le contre ont été pesés.   

Hurlement et bêlement

Par comparaison, si des arguments à l’emporte-pièce sont avancés plutôt que des faits étayés, ils souligneront le peu de profondeur d’un protagoniste. Les phrases qu’il aura empruntées à la pensée d’autrui, hurlant avec les loups pour se comporter en mouton, permettront de pointer son manque de personnalité. Superficialité et panurgisme ne sont que deux signes extérieurs d’inintelligence parmi ceux qui se révèlent quand on les confronte à une pensée fouillée et indépendante.

De la place pour tout le monde

L’intelligence du personnage ne doit pas envahir de certitudes l’espace de réflexion partagé entre l’écrivain et son lecteur : il faut laisser suffisamment de place au doute légitime de ce dernier. En ce sens, il est judicieux de passer d’emblée un pacte de non-agression intellectuelle avec le lecteur – on ne lui édictera rien par l’intermédiaire d’un personnage, mais on fera en sorte que celui-ci lui suggère des idées valant d’être considérées.

Véracité et plausibilité

Si un auteur tente d’imposer son avis, il est presque inévitable de songer qu’il l’imagine « supérieur » au nôtre et est destiné à le « remplacer » sans qu’on ait notre mot à dire. Il est préférable d’apostropher un lecteur en lui disant « Qu’est-ce que tu penses de telle chose ? » plutôt que « Je pense que les choses sont comme ça ! ». De lui énoncer notre opinion non pas comme vraie, mais comme plausible. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Différentes formes d’intelligence

Ce que n’est pas l’intelligence

Quand on veut mettre en évidence l’intelligence d’un personnage, sûrement est-il important de se souvenir de la formule de Jean Piaget : « L’intelligence ce n’est pas ce que l’on sait, mais ce que l’on fait quand on ne sait pas ». Inutile donc de se ruer vers le premier test Weschsler qui passe pour déterminer si le QI du personnage tutoie les cieux ou vouvoie les pâquerettes. On ne veut pas d’un animal savant, mais d’une personne employant ses ressources intellectuelles au mieux selon les situations rencontrées.

L’intelligence et la ruse du diable

On pourrait reprendre la citation de Baudelaire à propos du diable pour l’adapter à l’intelligence : la plus belle des ruses de l’intelligence  est de vous persuader qu’elle n’existe pas. Cette « intelligence incognito » convient merveilleusement à un écrivain pour fausser sciemment la perception que le lecteur aura dans un premier temps d’un personnage ; celui dont la réalité de qui il est ne sera révélée que lors du climax ou du retournement final.

L’intelligence mutique

Ainsi le « Chef » Bromden du roman Vol au-dessus d’un nid de coucou de Ken Kensey (et du film de Milos Forman) se fait-il passer pour sourd et muet avant que, lors d’un climax, les circonstances l’amènent à dévoiler ses batteries. Apparaissant dès lors plus rusé que ne le laissait supposer son mutisme, son rôle dans l’histoire s’en trouve radicalement changé. Jusque-là effacé et pour ainsi dire soumis à l’autorité de l’équipe médicale de l’asile, il commence à s’y opposer sous l’impulsion du vent de rébellion que fait souffler Mc Murphy.

Révélations

L’intelligence étourdissante

Autre exemple, essentiellement filmique celui-là, le cas du personnage de Verbal Kint qui, dans Usual Suspects, cache lui aussi parfaitement son jeu. Son véritable rôle dans l’histoire n’est connu qu’au cours du retournement final de l’intrigue dans une étourdissante remise en perspective de tout ce qui s’est déroulé jusqu’alors. Ces révélations, tardives ou non, constituent dans tous les cas un événement qu’il s’agit de préparer. Une préparation d’ailleurs chère à Lavandier, dont il souligne l’importance en relevant que « la force d’un obstacle dépend grandement de ce qui le précède ». Il est évident qu’on peut rapprocher d’un obstacle chaque point important d’un récit.  

La bêtise comme socle de l’intelligence

La narratrice peut également annoncer la couleur quant à son intelligence que nul ne subodore, telle Renée dans L’élégance du hérisson savoureusement écrit par Muriel Barbery : « Mais surtout, je suis si conforme à l’image que l’on se fait des concierges qu’il ne viendrait à l’idée de personne que je suis plus lettrée que tous ces riches suffisants. » Il s’agit ici non pas d’un manque d’humilité de sa part mais d’une observation du mépris poli que lui renvoient la plupart des habitants de l’immeuble, leur bêtise servant de socle à la vivacité d’esprit de Renée.

Dangerosité de l’intelligence

À travers le regard que les autres portent sur lui, il est possible de comprendre combien un personnage est intelligent. Dans Le silence des agneaux, Thomas Harris fait en sorte que ce qui a trait à Hannibal Lecter, lors notamment des discussions entre l’agent du FBI Clarice Sterling et le chef du département Jack Crawford, révèle à quel point sa puissance intellectuelle mise au service du mal est redoutable.  Les échanges le concernant associent  son extrême dangerosité à l’incroyable ingéniosité dont il fait montre pour l’exercer, agissant avec une habileté perverse sur les ressorts psychologiques de ses victimes.

Au-delà de son rayonnement sur l’histoire, le personnage intelligent l’imprègne d’un subtil magnétisme, offrant à la littérature le charme de l’esprit…