Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Le naturel dans un dialogue

Sommaire

Le naturel

L’erreur fréquemment commise dans un texte est de confondre le naturel avec la spontanéité. Cette dernière, si elle possède tous les codes que nous utilisons pour communiquer au quotidien, n’en restitue qu’une version altérée lorsqu’elle se retrouve couchée sur le papier. Nous allons essayer de comprendre pourquoi le naturel subit une telle transformation du parler à l’écrit. Un de ces jours, pour les plus polisson(ne)s, nous étudierons de plus près les naturistes…

Le naturel dans le dialogue

Quand le papier cause mal

Le dialogue est probablement celui qui souffre le plus du passage de la réalité à la fiction quand on le restitue tel qu’on le parle au jour le jour. Nos conversations sont tellement émaillées d’erreurs de langage que, dans une histoire, elles virent à un salmigondis rebutant le lecteur le plus téméraire. Ce n’est pas la seule cause de cet échec à retranscrire les dialogues. Quand vous discutez avec quelqu’un dans la vie courante, vous n’élaborez pas un plan dans votre tête pour que votre échange soit le plus linéaire possible. Lui non plus, d’ailleurs. C’est ballot.

La collision des thèmes

Au contraire, les sujets de discussion vont et viennent, sont repris trois minutes plus tard avant que votre interlocuteur passe à autre chose et que vous-même reveniez à celui dont vous vous entreteniez avant. Comment voulez-vous, dans ces conditions, que votre lecteur ne saisisse au mieux que des bribes de ce qui vient de se dire ? Pire encore, qu’il comprenne quel était le sujet de la discussion quand il n’y en avait pas moins de quatre en cours ? Et je n’évoque ici qu’une conversation mettant en scène deux personnages. Imaginez ce que cela donnerait avec un ou deux locuteurs de plus !

Le développement du point principal

Comment remédier à l’épineux problème de la transcription d’un dialogue avec le plus de clarté possible ? Oui, madame, qui m’écoutez attentivement depuis le début ? Le langage des signes ? Veuillez quitter la salle, s’il vous plait. Et ne croyez pas que je n’ai pas compris ce que signifiait votre dernier geste effectué avec le majeur dressé en ma direction. Reprenons. Dans l’écriture, un dialogue est naturel quand il se concentre sur un point principal développé par ceux qui l’ont abordé. La contradiction, s’il y en a une apportée par l’un, doit être l’occasion pour l’autre de donner un second son de cloche au lecteur. Et, dans tous les cas, de faire progresser une situation. Ça peut être une évolution entre les personnes qui parlent, un changement radical dans leur relation, une prise de décision commune, l’élaboration d’un plan, les motifs d’une rupture, une négociation, l’aveu d’un secret, etc.

Le naturel, l’enjeu et la caricature

L’enjeu et la position du dialogue

Pour y parvenir, il faut se souvenir que le lecteur suivra mieux l’importance de l’enjeu s’il lui est exposé sans être parasité par la présence d’un « itinéraire bis » de la conversation principale. Placer un dialogue dans un texte nécessite de réfléchir au meilleur endroit où le positionner afin qu’il ne crée pas une interruption dans une action en cours. Si vous opériez ainsi, vous prendriez le risque que la suite de votre dialogue ne soit que survolé, votre lecteur étant partagé entre ce qui se dit et ce qu’il est en train de se passer. Un dialogue ne doit être interrompu que par une personne amenée à y participer, ou aller jusqu’à son terme sans qu’aucune coupure ne mette sa conclusion en péril (hormis dans la recherche d’un effet de suspense).

La caricature involontaire

Il y a plusieurs niveaux de langage dans la vie courante, aussi n’est-ce pas étonnant de les y entendre s’y côtoyer dans les lignes d’un roman ou d’une nouvelle. Sans tomber dans l’exagération, bien sûr. Il serait tentant d’établir des marqueurs caricaturaux afin de caractériser voire d’opposer les couches sociales par le seul biais d’un dialogue qui se voudrait naturel alors qu’il s’éloigne de la réalité. Pire, qu’il la modifie au point que ce que vous écrivez n’y correspond pas, la travestissant avec bouffonnerie. Sans s’en rendre compte, il arrive que l’on en vienne à rendre ridicule ce que nous n’avons pas su interpréter.

Le naturel inintelligible

Amusez-vous à enregistrer des conversations à l’extérieur ou dans un café, par exemple. Quand vous les taperez à la virgule près sur votre ordinateur, vous vous apercevrez qu’il n’y quasiment aucune phrase à récupérer pas plus qu’un débit (sauf s’il est de boissons, lorsque ça se passe dans le café) verbal à imiter fidèlement. Ce sera intelligible au moment où vous les aurez entendues (enfin, ça dépendra si vous faites ou non la fermeture du bistrot), mais dès qu’il s’agira de les mettre en forme, vous ne pourrez pas faire l’économie de vous les réapproprier, de les transformer afin qu’elles demeurent cohérentes dans le cadre littéraire.

Le naturel et le style

Vaincre avec style

« Le style, c’est la victoire de l’art sur la spontanéité. ». Ça, c’est envoyé ! Cette splendide formule de Lucien Léonard, est dans Savoir rédiger, les voix de l’expression française, édité chez Bordas. Que doit-on en comprendre, au-delà de son aspect séduisant ? Qu’une opposition est faite entre une habileté à écrire et un flot verbal qui, aussi réfléchi soit-il, aussi organisé dans notre esprit puisse-t-il être, conserve les « carences » comme les « déchets » du discours dans le langage courant, spontané par essence. Au prix du litre à la pompe, je vous raconte pas les frais. Veuillez m’excuser pour cet aparté, j’étais en train de siphonner le réservoir de la voiture du voisin.

Soyez naturel, faites un effort !

Comme le signalait Antoine Albalat (eh oui, encore lui, vous ne lui échapperez pas), « On peut même dire que le naturel est le résultat d’un effort. ». D’un seul ? Non, il blague, je le connais. Ça, c’est juste pour ne pas vous effrayer. Afin de vous épargner, je ne vais m’attarder dans ce paragraphe que sur l’un d’entre eux : le sentiment d’évidence. C’est quoi cette bestiole, ça mord ? Que nenni. Je dirais même que c’est ce qui fait croustiller le naturel. Le sentiment d’évidence consiste, une fois glanés divers éléments du côté de la spontanéité, à imposer une  vérité travaillée par l’auteur pour la rendre acceptable par tous. Comment ? En retenant d’un propos ce qui est frappé du bon sens tout en soustrayant le côté exalté ou les raccourcis le discréditant.

Le tout-venant de la conversation

La spontanéité orale ne s’encombre pas de calculs, de raccourcis, d’un tri des mots. C’est le tout-venant de la conversation. L’évidence, « capturée » par le naturel, cristallise à l’inverse ce qui apparait commun lors de la confrontation d’avis opposés. Pour mieux défendre son point de vue, on admet que son vis-à-vis a raison sur un point pour s’appuyer sur cet éphémère terrain d’entente afin d’y avancer ses propres pions. La spontanéité veut que cela s’effectue dans l’instant, sans l’apport de fondements littéraires solides. Sans l’aide d’une structure mentale élaborée durant des journées entières pour apporter des réponses rigoureuses mettant à mal notre détracteur.

Quand le naturel amadoue la spontanéité

Si nous avons affaire à de brillants débatteurs sachant contrer les avancées de l’autre, même alors, il y aura une déperdition de chacun, quelque chose dont ils se diront, quelle que soit l’issue de leur joute oratoire : « Mince, j’aurais été mieux inspiré de lui glisser cette parade, quand il m’a dit ceci ! ». Voilà où le naturel s’insinue dans les dérives de la spontanéité pour en retirer le plus pur des nectars réels. En n’en prélevant que ce qui en vaut la peine. L’effacement progressif de la frontière entre le naturel et la spontanéité est compréhensible étant donné qu’ils finissent par en être au même stade d’aboutissement, le naturel l’ayant poli pour qu’il puisse dignement être enchâssé dans un texte à force de relectures minutieuses.

La moulinette de l’écrivain

La spontanéité à l’état brut doit, elle, se trouver le plus finement possible dégrossie par son passage à la moulinette de l’écrivain. À lui de déceler ce qu’il est possible d’extirper du langage de la rue ou des salons mondains. Des disputes entre amis et des réconciliations leur faisant suite. Du murmure de la confidence aux envolées lyriques du tribun. Et de démêler ce qui, pour le lecteur, rendra réaliste ce qui a parfois été amputé de ses accents les plus sincères. Pour emprunter un peu à Lucien Léonard : la part de ce qui semble vrai est naturellement le trophée du style…

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