Le blog d'Esprit Livre

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20 bonnes raisons de devenir écrivain – 5 – un style d’écriture original

Deux livres sur la plage arrière d'une voiture

Sommaire

Posséder un style d’écriture original est sans doute la première des conditions pour intéresser des lecteurs.  Il est tentant d’exploiter un sujet, un thème qui plaît déjà au risque de produire une littérature de seconde main. Cette nécessité rappelle aux écrivains qui doivent rester des créateurs  et accepter l’idée de ne pas vendre leur livre immédiatement. Un livre a besoin de temps pour trouver son public. A eux de trouver une démarche d’intéressement qui valorisera leurs textes. Comment augmenter cette créativité ?   Antoine Albalat apporte des réponses concrètes dans cette 5e leçon, revisitée par Frédéric Barbas, ex-correcteur d’édition pour L’esprit livre, aujourd’hui auteur et blogueur.

 

   Leçon 4    

  Cinquième Leçon : l’originalité du style

 

« Il y a un style tout fait, un style banal, à l’usage de tout le monde, un style cliché, dont les expressions neutres et usées servent à chacun ; un style incolore construit avec les seuls mots du dictionnaire ; un style mort, sans flamme, sans image, sans couleur, sans saillie, sans imprévu, un style terre à terre et élégant, grammatical et inexpressif, le style des écrivains qui ne sont pas artistes, un style bourgeois et correct, irréprochable et sans vie.
C’est avec ce style-là qu’il ne faut pas écrire.
Si vous devez écrire comme tout le monde, il est inutile de prendre la plume. »

 

Avoir quelque chose à dire et l’écrire comme personne

On pourra trouver Albalat d’une excessive dureté à travers ce passage, notamment dans sa dernière phrase. Ceux qui lisent ses mots, et dont le style n’est pas encore sûr, ressentiront certainement une pointe de découragement. Il faut relativiser les propos de l’auteur. Écrire comme tout le monde, c’est déjà savoir écrire, ce qui n’est pas rien. Simplement, il faut aussi savoir être honnête avec soi-même et admettre que quels que soient les efforts consentis, on ne se servira pour s’exprimer que des « seuls mots du dictionnaire ». Il est nécessaire de revenir sur cette formule qui peut paraître curieuse dans le sens où il semblerait qu’en faisant usage d’un ouvrage de référence, on s’abreuverait à une source fade, voire polluée. À quoi faire appel, si ce n’est à ce que notre langue nous propose ?

À de rares exceptions (on peut citer Anthony Burgess, dans « L’orange mécanique » et son parler nadsat, George Orwell et son novlangue dans « 1984 », ou Frédéric Dard, auquel un savoureux dictionnaire est carrément consacré), nous employons des mots courants, qui nous rapprochent et nous rassurent presque, car ils nous sont communs. Mais ce sont dans les combinaisons qu’il faut voir l’originalité, car peu sont capables de réinventer un langage avec succès. Certains s’y sont essayés, qui se sont vautrés dans l’incompréhensibilité plutôt que de créer un style novateur. Il semble donc plus judicieux de s’orienter vers l’inventivité dans l’emploi que l’on fait des mots, soit une sorte de numéro de jonglerie qui viserait à ravir, si ce n’est à hypnotiser, son lecteur.

Dans sa tirade, Albalat fait lui-même preuve d’un certain style qu’il convient ici d’étudier : d’emblée, on constate qu’il ne craint pas la répétition, et au contraire s’en sert pour imposer son point de vue ; le mot « style » revient à neuf reprises. On constate que la répétition n’est donc pas toujours condamnable, car ce passage n’est pas indigeste, il possède même de l’allant. C’est l’effet d’insistance qui fait qu’on se laisse captiver par le contenu de ce paragraphe, avec à chaque fois la dénonciation d’un travers littéraire par le biais de la préposition « sans », qui apparaît cinq fois. En même temps qu’il fustige, Albalat introduit des paradoxes, renvoyant « élégant » à « terre à terre » ou « irréprochable » à « sans vie ». C’est aussi ça, le style, interpeller le lecteur en le faisant s’arrêter sur des formules qui peuvent choquer le bon sens.

 

La chasse aux clichés

Antoine Albalat n’impose pas cette idée de nouveauté du sujet. Selon lui, « L’originalité réside surtout dans la façon de dire les choses, d’exprimer les idées, de faire valoir le fond». Rien n’est plus vrai. Il faut faire surgir sa pensée afin qu’elle éclate à la face du lecteur en ayant un discours construit de telle manière qu’il crée des aspérités, qu’il égratigne.

Comment s’y prendre ? Sans qu’on s’en rende forcément compte, une forme de paresse intellectuelle peut nous envahir quand vient le moment de coucher nos idées sur le papier, et l’on va au plus simple, au maniable, à la facilité qui tant desservent le style. On doit se faire violence pour surmonter l’obstacle et accéder à un niveau supérieur de notre intelligence. Digérer le tout-venant paraît une étape incontournable afin de le déféquer pour libérer les entrailles de l’inspiration. On s’aperçoit alors qu’il est envisageable de substituer un terme à un autre, de l’extirper de la fange. Il y a toujours, à la faveur d’un surcroît de réflexion, la possibilité d’embellir une phrase, de chambouler un paragraphe.

« Faire valoir le fond » pourrait paraître aisé, quand on a bien su tracer les contours de son sujet. Il suffirait d’y plaquer les mots appropriés afin de le faire apparaître. Mais parfois le choix d’expressions rebattues ternit le propos sous-jacent, l’appauvrit, ces dernières se révélant incapables d’en restituer son entière ampleur et sa réelle substance. Voilà pourquoi Albalat entre en lutte contre la boursouflure et la platitude du style. Pour ce faire, il dresse une liste des expressions banales qu’il faut éviter, établissant des jugements dont voici quelques exemples (il est souvent mordant dans cet exercice) :

Exemples de clichés

L’éclat de son teint.     Cent fois dit.
Ces sentiments se faisaient jour.     Style innommable !
Il devina instinctivement.     À quoi bon ? c’est par instinct que l’on devine.
Toutes ces qualités constituaient.     Style parlementaire.
Soulager d’un poids.     Quel poids ? et pourquoi rien qu’un ?
Une expression indéfinissable anima son visage.     Définissez cette expression ou n’en parlez pas.

« Il faut s’interdire de même les épithètes toutes faites, les épithètes obligatoires, dont on croit indispensablement devoir accompagner certains mots».
Horreur indicible.
Une sourde rumeur.
Une répulsion instinctive. (Elle est toujours instinctive.)
Une tristesse grave.     (Serait-ce une tristesse joyeuse ?)
Charme pénétrant.
Malaise intolérable.
Esprit pénétrant.
Chevelure abondante.
Etc.

La hache et le scalpel

Albalat pointe le surpoids des locutions, il veut les dégraisser. Il faudrait partir en littérature comme on part en voyage, en se délestant le plus possible de bagages inutiles. Il y a des épithètes qui assomment une phrase, chaque écrivain devrait en avoir conscience. On pense renforcer son idée en lui accrochant une rose à la boutonnière, mais la joliesse n’est pas l’efficacité. Il ne faut pas confondre embellir son écriture et la surcharger, sinon on noie son discours plutôt que de le rehausser. L’adjectif ne doit pas apporter du clinquant, mais donner de la signification, de la stabilité à la phrase. Il faut viser l’amélioration, pas l’exagération.

Il faut cependant reconnaître que le recours à l’épithète est une tentation quasi permanente et compréhensible, tant cela donne l’impression de chamarrer un style qu’on craindrait pris dans la grisaille de mots donnant la fausse apparence de ne pas se suffire à eux-mêmes. Dans la louable intention d’offrir à son lecteur une prose qui flattera son esprit, il sera bon d’à la fois manier la hache et le scalpel pour dégrossir (couper les branches), puis affiner son écriture (tailler les feuilles).

Ne pas chasser le naturel

« Ce vice (le style banal) en amène un autre, non moins dangereux : c’est la périphrase, qui est une circonlocution, un circuit de paroles, pour dire longuement une chose qui pourrait être dite brièvement. »

On prête souvent à sourire quand on traîne sa pensée le long de chemins tortueux en imaginant qu’en lui faisant prendre l’air plus que de raison, elle paraîtra plus fraîche, plus éclatante, alors que c’est l’inverse qui se produit presque à tous coups : au mieux on l’affadit, au pire on la ridiculise. La périphrase peut donc se révéler un phénomène d’usure de la phrase, l’érosion de la pensée d’un auteur qui estime qu’en la compliquant à l’infini elle va gagner en force.

Cependant, Albalat propose une approche nuancée de la périphrase, puisqu’il écrit plus loin : « Aujourd’hui le terrain est déblayé, le mot propre triomphe, bien que l’emploi de la périphrase, en certains cas, soit légitime et fort littéraire. » Mais, citant Burson à qui il donne raison : « Rien n’est plus opposé au beau naturel que la peine qu’on se donne pour exprimer des choses ordinaires ou communes d’une manière singulière ou pompeuse ; rien ne dégrade plus l’écrivain. On le plaint d’avoir passé tant de temps à faire de nouvelles combinaisons de syllabes, pour ne dire que ce que tout le monde dit. »

Pour équilibrer la balance, il mentionne Bossuet, auteur d’une « superbe périphrase […] pour désigner le confessionnal. » ; la voici : « Ces tribunaux qui justifient ceux qui s’accusent. »

C’est donc vers le naturel qu’on se dirigera pour éviter de l’embonpoint à ses tournures, vers « le mot propre, le mot simple et exact. », et le choisir de telle sorte qu’il ne soit pas « remplaçable », car « le naturel et la simplicité sont la vraie énergie. »

Tendre vers ce fameux naturel, c’est dans un premier temps ne pas céder aux sirènes des mots scintillants, sorte de boule à facettes qui jetterait ses reflets factices sur une prose moyenne pour en dissimuler les défauts et en  rehausser de prétendues qualités. Ce n’est pas ainsi que l’on enjolive son style, qui souffrira d’être mis à l’épreuve  d’une lumière crue, celle de la lucidité du lecteur qui ne se laissera pas berner par des atours superficiels, par de l’enflure et du rajout.

Dans un second temps, c’est faire montre d’un travail acharné tout en essayant d’en gommer tous les contours de telle manière que l’impression d’effort même disparaisse, comme on démonterait un échafaudage afin de ne laisser voir que la splendeur de l’ouvrage qu’il a permis de construire : « L’illusion que donne le naturel, c’est que cela a été écrit sans peine. On dirait que ce n’est pas cherché et il semble que chacun eût pu en écrire autant. Or, c’est le rebours qui arrive. »

 

Non aux bourrelets

Il peut être frustrant de penser que celui qui nous lit n’imagine pas le mal qu’on s’est donné pour faire triompher une idée ou coucher sur le papier une pensée brillante, une tournure idéale. Mais on sera bien récompensé en retour quand notre lecteur trouvera qu’il n’y a rien à ajouter ni à retrancher, que dans le puzzle de mots que nous lui proposons, chaque pièce est à sa place. Sans aucun effort… apparent.

On retiendra qu’il est nécessaire de lutter contre l’obésité du style en trouvant le mot juste, et pour ce faire passer sans cesse le racloir dans nos pensées. L’auteur débutant aura tendance à se réfugier dans la littérature-confettis, car il sera avide de tous les mots que la langue française met à sa portée. Une erreur bien compréhensible, mais qu’il faut corriger au plus vite, même s’il est difficile de résister à cette corne d’abondance. On préférera le choix à la dispersion, dès lors qu’on veut imposer ses vues.

En résumé, le texte réclame de la chair, mais pas de bourrelets…

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