Personnaliser son écriture en s’y investissant à fond résulte en un échange entre l’auteur et son lecteur qui en retirent, tous les deux, satisfaction. Si l’auteur en herbe ne s’investit pas suffisamment dans son texte, il ne parvient pas à lui conférer cette saveur particulière faisant qu’il contienne un je-ne-sais-quoi remarquable. Voyons comment mettre plus de soi dans une histoire pour la rendre intéressante…

 

Chasser ses peurs pour mieux écrire

Fuir les phrases désincarnées

Il existe parfois une sorte de peur parmi les écrivains qui débutent : celle de trop se dévoiler. De fournir au lecteur des éléments à même de lui permettre d’avoir un aperçu de qui nous sommes. Cette pudeur, quand elle est trop développée, nuit à notre travail. Vous n’écrirez jamais rien de marquant en vous cantonnant à des généralités, en ne mettant pas en avant cette part de vous-même qui insuffle de l’originalité à votre écriture. La générosité d’un auteur et son refus d’avancer constamment masqué enrichissent sa prose bien plus que de jolies phrases désincarnées.

Manifester sa présence

Le lecteur doit sentir qu’il existe quelqu’un derrière les lignes d’un récit. C’est pourquoi on doit manifester notre présence d’une manière ou d’une autre. Apposer une empreinte nous rendant reconnaissable. Combien de fois se dit-on, en tombant par hasard sur l’extrait d’un texte, voire sur une citation : tiens, ça ressemble à du Oscar Wilde, à du Pierre Desproges, à du Karen Blixen ou à du Philip Roth ? Et d’où nous vient cette quasi-certitude ? Il y a une voix derrière leurs mots, celle que, consciemment, ils ont désiré nous faire entendre. Un proverbe chinois dit ceci : « Tant que les mots restent dans ta bouche, ils sont à toi ; prononcés, ils sont à tout le monde. » Un auteur digne de ce nom doit oser ce partage.

Qui êtes-vous ?

Mais comment faire entrevoir autre chose que la lisière de notre personnalité ? Comment dire avec netteté : « Voilà qui je suis. » ? Quelqu’un dans l’assistance, là, au fond de la salle à gauche, vient de me rétorquer : « Bah, à quoi ça sert au lecteur de savoir qui l’on est ? ». Question pertinente. Mais par mesure de précaution, merci de bien vouloir faire évacuer cet individu. Eh bien, il ne s’agit pas à tout prix de sortir les cadavres de nos placards, quand il y en a – des placards, je veux dire, car des cadavres, il y en a toujours. C’est ce qui est exquis. J’ai réussi à tenir trois paragraphes avant de commettre un jeu de mots. Je note tout de suite ça dans mon carnet secret intitulé « Je progresse. »

 

Vos personnages parlent pour vous

Sortir de l’ombre

L’intérêt pour un auteur de ne pas complètement demeurer dans l’ombre réside plus dans sa volonté de donner des indications sur sa vision du monde que de valoriser son ego. Quand, à travers ses écrits, on en arrive à parler de soi, il est préférable que ce soit fait dans le but de soumettre des idées que de désirer à toute force les imposer. Cela implique de réfléchir à la nature de notre message, si l’on en a un, et de veiller à le délivrer de la façon la plus claire possible. Vos personnages doivent donc en partie être étudiés pour atteindre cet objectif. Quand ils disent quelque chose allant à l’encontre de votre philosophie de vie, il faut que le lecteur puisse s’en rendre compte. Ça vaut aussi lorsque vous souhaitez mettre en lumière une chose pour laquelle vous seriez prêt à militer. En bref, faites attention à ne pas mettre sous votre plume des maladresses qui trahiraient la signification de votre discours.

S’exposer pour être marquant

Si un écrivain ne s’expose pas un minimum, au mieux ses histoires seront neutres, au pire elles paraîtront fadasses. Je le redis : il est primordial que votre voix d’auteur résonne dans l’esprit du lecteur. Sans quoi vous rejoindrez très vite le bataillon des oubliables. De celles et ceux dont on se dit : « Ah oui, j’ai dû lire un de ses bouquins, mais de quoi ça parlait, déjà ? ». D’un écrivain marquant, qui a pleinement investi son sujet en ne se dissimulant pas derrière ses mots mais bien en les portant à bout de bras, en les brandissant au visage de son lectorat, on pensera : « Punaise, ça me parle ce qu’il dit là ! ». Vous pouvez remplacer « Punaise » par un terme que vous utilisez plus fréquemment au quotidien. « Diantre ! », par exemple.

Entrer dans la tête de son lecteur

Moi qui aime beaucoup le tennis bien plus que je ne le pratique, désormais, j’ai découvert une expression qui je suppose doit s’appliquer à d’autres sports : « Il est entré dans sa tête ». Elle s’emploie lorsqu’un joueur finit par ronger l’esprit de son adversaire à force de lui poser des problèmes auxquels il n’a, au fil du match, plus aucune solution. J’évoque ceci pour en renverser le sens premier, c’est-à-dire qu’on se doit d’entrer dans la tête de notre lecteur non pas pour le vaincre, mais pour le séduire. Pour l’amener à considérer avec le plus vif intérêt ce que nos histoires recèlent au-delà de l’intrigue proposée. Non pas qu’il faille à tout prix qu’un sens caché doive se glisser dans chacun de nos paragraphes. Mais on doit à notre lecteur une pointe de complicité pour qu’il se dise : « Bon sang, ça me touche ce qu’il écrit là ! ». Vous pouvez changer « Bon sang » par un vocable dont vous avez plus naturellement l’usage. « Bigre ! », par exemple. Si jamais vous vous posez la question, c’est bien un perroquet qui m’a appris le comique de répétition.

 

Soyez sans peur

Un p’tit tour en papamobile

Pour redevenir un peu sérieux – j’ai parfaitement vu que vous étiez dissipé, et qu’on ne me réplique pas « c’est celui qui dit qui y est » –, voici ce que j’aimerais que vous reteniez de cet article plutôt bien torché quand même : n’ayez pas le moindre complexe en vous adressant à votre lecteur. Ne redoutez pas son jugement, ce qui même à votre corps défendant vous inhiberait. Si vous ressentez le besoin de dire quelque chose qui vous tient à cœur, ne bégayez pas. Allez-y franco. Non, je ne vous propose pas un voyage dans le temps au sein d’une Espagne à la démocratie discutable. Montrez qui vous êtes à travers les opinions exprimées par vos personnages. Ne craignez pas d’aborder des sujets pour la simple raison qu’ils seraient susceptibles de créer un débat un peu houleux. Bref, comme disait Jean-Paul : « N’ayez pas peur ». Bon, je prends ma papamobile pour me rendre jusqu’au dernier paragraphe.

Chercher le Graal, corps et âme

L’écriture nécessite, pour ne pas dire qu’elle exige, que l’on s’y consacre corps et âme. Et qu’on y apporte nos caractéristiques personnelles. Qu’importe que vous soyez un vieux grincheux (comme moi) ou quelqu’un plein d’empathie (comme moi aussi) : l’essentiel est de l’aborder avec, en tête, l’envie de communiquer nos émotions, de faire valoir notre point de vue quitte à en effaroucher certain(e)s. On s’en fout. Notre Graal, c’est de coucher sur le papier ce que la vie nous inspire et, si possible, d’en tirer de bonnes histoires. Il est somme toute facile d’y parvenir quand, assis à notre table de travail, on se dit que l’on va entamer une discussion avec notre lecteur en l’espérant compréhensif. Du moins, si on ne joue pas un rôle. S’investir dans l’écriture, c’est venir noircir des pages avec nos valeurs, pas uniquement dans le but de plaire. Laissons ça à celles et ceux ne respirant que l’air vicié de la flagornerie…