Le titre de cet article, pour facétieux qu’il soit, traduit tout de même une envie de repositionner chacun sur l’échiquier littéraire. Dans un monde où l’on voudrait parfois faire passer l’inversion des valeurs pour du bon sens, il m’a paru intéressant d’aborder les métiers d’écrivain, de correcteur et de relecteur en pointant ce que des bataillons d’algorithmes sont incapables de réaliser à leur place. Tout en considérant l’importance de la haute technologie numérique pour ses apports désormais incontournables afin d’optimiser les savoir-faire de l’humain, bien entendu…
Comprendre la machine
Une nouvelle façon de surfer sur le Web
À l’ère du « Tout va trop vite, accélérons ! », l’IA semble condamner à l’oubli d’anciennes façons de cliquer. À plus ou moins long terme, certes, mais on a déjà le doigt posé sur de nouvelles pratiques du Net. Les laborieuses successions de recherches sur différents sites en scrollant comme des forcenés afin de grappiller des infos par-ci par-là pour se constituer un matériau de travail plus ou moins fiable, ça ne fait plus rêver les souris. Elles veulent du clic sûr de lui, allant à l’essentiel, et l’IA le leur offre. Brian Wilson, le membre emblématique de The Beach Boys est mort en juin dernier, et déjà, le surf n’est plus ce qu’il était.
Bête comme une cafetière
Pour alimenter cet article, qu’ai-je fait ? J’ai notamment élaboré un prompt de telle sorte que l’IA me fournisse des éléments factuels sur les raisons de son inaptitude à remplacer l’humain dans différents travaux d’écriture. La cause la plus connue est simple : en dépit d’un incessant brassage de millions de données, l’IA ne peut les utiliser autrement qu’en étant guidée pour ce faire. Elle est bête comme une cafetière. Elle dispose d’un nombre illimité de dosettes, mais se révèle incapable de savoir si vous désirez un cappuccino plutôt qu’un expresso. Et votre choix effectué, c’est vous qui appuyez sur le bouton. Alors, c’est qui le patron ?
S’extraire des tentacules
Évidemment, ce constat triomphaliste va rapidement être pondéré – sans toutefois que soit réduit à néant cet élan optimiste voyant l’humain comme décideur ultime. En effet, dicter la marche à suivre à l’IA ne signifie évidemment pas que nos pauvres petits neurones en surchauffe soient en mesure de rivaliser face à son système tentaculaire de détection d’erreurs et de collecte instantanée de corrections. Au lieu de s’en désoler, il faut y voir une opportunité d’être plus efficace à condition de redéfinir notre approche des métiers de l’écriture, autrement dit, savoir se servir de ce nouvel outil.
Progrès ou danger ?
L’IA, une chasseresse d’écrivains ?
Dans l’absolu, c’est un progrès merveilleux. Gagner du temps en reléguant peu à peu aux oubliettes de l’informatique ce dont on sait qu’il ne répondra plus aux besoins d’une époque, quoi de plus normal ? Sauf à considérer que nous-mêmes, gens de lettres et d’esprit, ne devenions à notre tour obsolètes, vestiges d’un passé récent où nos talents de plume paraissaient incontournables. Alors, l’IA serait-elle cette chasseresse nous ôtant définitivement l’illusion d’être une espèce protégée ?
Un Parrain qui vous veut du bien
Si nous attendions passivement accoudés à notre encrier que le progrès l’assèche, le risque d’être fossilisés dans nos habitudes serait réel. Le meilleur moyen de ne pas se faire éliminer par un adversaire étant, par certains aspects, plus puissant que soi, est de s’allier avec lui. Sous ses allures de dicton de chef mafieux, cette phrase dit bien qu’un correcteur d’édition – ou un écrivain – a tout intérêt à évaluer les forces en présence et à comprendre comment se les concilier. La peur de l’inconnu effraie toujours les moins bien renseignés. Alors autant s’informer à la source en cuisinant un peu l’IA, non ?
L’auge syntaxique
Analyser, corriger, réécrire un texte basique, voici ce dont une IA peut se charger avec rigueur sans même qu’on le lui demande. Pour ceux n’ayant jamais fait l’essai, tapez trois phrases écrites avec les pieds et contenant chacune deux fautes par mot et vous verrez la magie algorithmique agir sous vos yeux en une fraction de seconde. Le tout avec un sympathique commentaire de l’IA qui, sans vous dire que vous écrivez comme un cochon, vous expliquera gentiment pourquoi il était nécessaire de récurer votre auge syntaxique. Pour la tester, j’ai proposé cette phrase de mon cru :
« LE troisième hommes partez assez vite, mais l’autre posséder déjà une belle avance »
Ah oui quand même…
Quand l’IA fait preuve de correction(s)
Le placard du cancre
Apparemment guère effrayée par la collection de bonnets d’âne que je devais dissimuler dans quelque sombre placard fermé à triple tour témoignant d’un lourd passé de cancre, c’est avec une affabilité extrême que l’IA a attiré mon attention sur l’urgence qu’était la mienne d’investir une poignée de deniers dans l’achat d’un Bescherelle et d’un dictionnaire Le Robert, même si elle ne l’a pas formulé ainsi :
Ta phrase semble contenir quelques erreurs grammaticales ou de conjugaison. Voici une version corrigée :
« Le troisième homme part assez vite, mais l’autre possède déjà une belle avance. »
Explication :
« hommes » → doit être « homme » (au singulier) pour accorder avec « le troisième ».
« partez » → doit être « part », 3ᵉ personne du singulier.
« posséder » → doit être « possède », au présent.
C’est comme tu le sens, mec !
On voit déjà quels précieux services l’IA peut rendre à des gens en délicatesse avec leur orthographe. Il faut noter qu’en cette occasion, elle fait preuve d’autonomie pour me faire part de mes « quelques erreurs », ce qui ne signifie aucunement qu’elle acquiert son indépendance et prend les choses en main. Toutefois, elle s’enhardit jusqu’à émettre des propositions supplémentaires une fois le texte nettoyé. Emportée par son élan de franche camaraderie – « si je peux aider, ça me fait plaisir » est sa ligne de conduite ordinaire – elle m’a en effet ensuite soumis des choix visant à retravailler ledit texte selon mes goûts. « T’inquiète pas, mec, tu gardes le contrôle » est aussi un de ses paramètres intégrés :
Souhaites-tu que je reformule la phrase de manière plus littéraire ou expressive ?
C’est pour ainsi dire proposé avec un sourire resplendissant de tous ses kilo-octets, non ? J’ai un peu tiqué sur le fait que l’IA ait adopté d’emblée un tutoiement familier pouvant laisser à penser que nous avions gardé les cochons ensemble, puis me rappelant qu’elle aurait pu me cataloguer dans la race orthographo-porcine suite à ma phrase initiale, je lui ai donné mon accord d’un lapidaire « oui » pour voir de quelle nature seraient ses suggestions, et là encore il ne m’a pas fallu attendre longtemps pour que le résultat fuse :
Voici plusieurs reformulations, selon le ton que tu souhaites adopter :
1. Littéraire / narratif :
« Le troisième homme s’élance à vive allure, mais l’autre jouit déjà d’une confortable avance. »
2. Classique / fluide :
« Le troisième homme démarre rapidement, mais l’autre a déjà une belle avance. »
3. Dramatique / soutenu :
« Bien que le troisième homme accélère, il peine à combler l’avance déjà prise par son rival. »
4. Poétique :
« Le troisième s’élance, vif et déterminé, mais l’autre est loin, happé par l’horizon. »
Derniers clics
L’insensible puissance de feu
À ce stade-là, on se situe à un niveau d’écriture satisfaisant mais passe-partout, ce qui dans bien des cas peut suffire pour une base de travail sans visée littéraire. Mais une machine n’aura ni de l’imagination, et encore moins de la sensibilité à votre place, sans parler de votre vécu et de votre ressenti. L’honnêteté intellectuelle m’oblige à reconnaître à l’IA une admirable persévérance dans sa volonté d’améliorer ma phrase en affinant les solutions que sa puissance de feu peut instantanément mettre à ma disposition :
Souhaites-tu une ambiance particulière (suspense, ironie, épopée, etc.) pour mieux adapter le style ?
Version thriller / suspense :
« Le troisième homme bondit dans la ruelle, mais l’autre — silhouette déjà lointaine — avait pris une longueur d’avance. Le temps jouait contre lui. »
Version humour léger :
« Le troisième homme se lance à toute allure… enfin, aussi vite qu’on peut le faire après deux cafés et zéro cardio. Dommage : l’autre avait déjà filé comme une lettre à la poste. »
La mâchoire tiendra
Pas de quoi être frappé d’extase devant l’originalité du style ou devenir subitement prognathe en se décrochant la mâchoire de rire, mais au moins la promesse est-elle tenue. Inutile de préciser que les éditeurs ne s’arracheront pas ce genre de « littérature ». Cependant, il est toujours bon de pouvoir se référer à des modèles, même banals, afin d’articuler sa pensée autour de ce qu’ils évoquent, une idée en entraînant une autre. L’inspiration connaît parfois d’insoupçonnables points de départ. Quoi qu’il en soit, les constats effectués par la machine sur ce dont elle est dépourvue par rapport à vous ou moi sont intéressants :
« Un correcteur humain saisit les nuances, les sous-entendus, l’ironie, l’humour ou les références culturelles propres à chaque texte. L’IA, même avancée, ne perçoit pas l’intention profonde de l’auteur ni la subtilité du style. […] Le correcteur adapte ses interventions pour préserver la singularité de l’écriture, là où l’IA tend à normaliser ou à « aplatir » le texte, risquant d’effacer la personnalité littéraire. […] La réécriture exige parfois de trouver des solutions originales, de jouer avec la langue, d’inventer des tournures adaptées au contexte : une compétence humaine difficilement automatisable. »
Retour à la machine
J’ai comme l’impression que l’humain marque des points sur ce coup-là. Et que certains de mes lecteurs viennent de pousser un ouf ! de soulagement… Qu’il s’agisse d’écriture de fiction ou de correction/réécriture de texte, la finesse d’esprit ne se numérise pas, pas plus, comme le reconnaît l’IA, qu’une machine ne saurait saisir l’intention profonde de l’auteur. Sans celle-ci, L’IA se heurte à une forme d’inaboutissement, une impasse intellectuelle qui l’empêchera à tous coups de s’emparer d’une question avant que vous l’ayez formulée. Je vous laisse sur cette conclusion forcément provisoire, L’IA étant en perpétuelle évolution. De mon côté, je vais à présent déguster un bon cappuccino. Ou un expresso…