Seconde partie
Avant d’arriver à rendre un personnage captivant, rappelons nous que dans la première partie, nous avons posé les fondations : motivations claires, traits essentiels, cohérence interne. Cette suite vous invite à franchir un nouveau palier : donner à vos personnages un arc narratif qui les fait évoluer, les confronter aux autres pour révéler leur nature, et créer des dialogues qui respirent et frappent juste. Chaque technique, si elle est maîtrisée, rapproche le lecteur de la vie intérieure de vos protagonistes.
Construire un arc narratif solide pour votre personnage
Donnez à votre personnage une évolution crédible
Un personnage réussi est celui qui donne la sensation de vivre réellement ce qu’il traverse. Sa progression dans le récit, marquée par ses accomplissements ou ses renoncements, participe au déploiement dynamique de son arc narratif. La mise en scène de ses échecs comme de ses réussites vise un même objectif : empêcher la stagnation et nourrir une évolution pensée avec soin. Il vous incombe de guider cette évolution en tirant le meilleur parti des caractéristiques que vous lui avez données.
Faites ressentir au lecteur la transformation de votre personnage
D’une certaine manière, votre personnage est une recrue dont vous êtes le sergent instructeur : vous êtes là pour l’aider à se dépasser, à révéler son potentiel, à grandir au fil des pages. L’arc narratif est la méthode nécessaire à cette métamorphose progressive que le lecteur perçoit parfois sans en avoir pleinement conscience. Il doit néanmoins constater lorsqu’il referme le livre que le personnage n’est plus exactement celui qu’il a rencontré au début. Dans le cas contraire, vous l’aurez laissé prisonnier de l’archétype.
Les limites de l’archétype
Le personnage archétypal suscite chez le lecteur l’impression d’être en terrain connu. Il agit toujours de façon attendue, selon des codes bien identifiés, ce qui en fait un repère stable. Cet atout devient une limite en raison de sa caractérisation interchangeable. Manquant d’aspérités et figé dans un symbole incarnant une idée plutôt qu’un individu, il lui manque la profondeur qui lui permettrait d’évoluer – et d’émouvoir. À vous de trouver l’alchimie entre cette sensation de déjà-vu et la singularité nécessaire pour le transformer en une personnalité à laquelle le lecteur pourra réellement s’attacher.
Créez des interactions qui révèlent vos personnages
La confrontation
Si vous souhaitez que le lecteur comprenne pleinement votre personnage, rien de tel que le confronter aux autres. Les frictions dévoilent des facettes qu’une simple description ne soulignerait pas. Nommer un trait de caractère n’en révèle pas la portée. Par exemple, évoquer la susceptibilité d’un personnage n’est rien comparé au fait de le voir piqué au vif, dépassé par ce qu’il peut encaisser. L’intensité d’une colère ne se révèle que dans la pratique, comme on ne mesure la puissance de l’eau qu’un barrage retient qu’au moment où celui-ci cède.
Le mantra de l’écrivain : montrez, ne dites pas
Les dialogues, les désaccords, les alliances temporaires ou les tensions latentes servent à révéler ce que votre protagoniste veut cacher, ce qu’il peine à assumer ou ce qu’il ignore encore de lui-même. Ils le rendent humain. Inutile de le souffler à l’oreille du lecteur : il en aura la preuve sous les yeux grâce à des interactions bien menées qui, en prime, dynamisent la narration. Comme le suggère cette phrase souvent attribuée à tort à Tchekov : « Ne me dites pas que la lune brille ; montrez-moi le reflet de sa lumière sur un morceau de verre brisé. » C’est exactement ce que les interactions vous permettent de faire.
Des dialogues crédibles pour transcender la nature de vos personnages
La fausse bonne idée d’imiter « la vraie vie »
Installez-vous dans un bistrot avec de quoi écrire. Écoutez les confidences d’amis accoudés au zinc, le monde refait à demi-mot, les regrets touillés dans la mousse d’un café crème. C’est vivant, âpre, parfois irrésistible. Jean-Marie Gourio en a d’ailleurs tiré ses Brèves de comptoir, ces fulgurances verbales saisies entre deux verres qui s’entrechoquent. Un nectar intellectuel apte à stimuler notre imaginaire de dialoguiste. Sauf que…
Pourquoi les conversations réelles ne créent pas un bon dialogue
Sauf que ces fragments ne sont pas des dialogues. Ils pétillent dans l’instant présent et n’existent que par eux-mêmes. Mis bout à bout, ils sont dépourvus d’intention, de rythme, de progression dramatique. Autrement dit : savoureux à entendre… mais presque jamais exploitables à l’écrit. Alors observez, écoutez, imprégnez-vous. Puis refermez votre carnet Moleskine. Le vrai travail du dialogue commence quand la vie brute devient matière littéraire — pas avant. On se délectera néanmoins de ces perles :
« Selon les derniers sondages, 47% des statistiques sont fausses. »
Brèves de comptoir (1988) – Jean-Marie Gourio – Éditions J’ai lu.
« Il est con comme un iceberg, trois fois plus con que ce qu’on voit ! »
Brèves de comptoir (1988) – Jean-Marie Gourio – Éditions J’ai lu.
« Des ampoules qui marchent pendant dix ans ? C’est bien, mais c’est la fin de l’escabeau. »
Brèves de comptoir (1980-1990) – Jean-Marie Gourio – Éditions J’ai lu/Pocket.
« Ils ont écrit « connard » sur sa boîte aux lettres, et le pire, c’est qu’il continue à recevoir du courrier ! »
Brèves de comptoir (1988 ou L’anniversaire !, 2008) – Pocket.
Comment un dialogue rend un personnage vivant
Outre l’impulsion narrative qu’ils donnent au récit, les dialogues définissent vos personnages avec plus d’efficacité que des descriptions parfois trop convenues, voire barbantes – et vite oubliées. Une réplique cinglante, un murmure comme discret écho d’un non-dit, un mot s’effaçant dans une hésitation marquent autrement l’esprit. Cela en dit long sur la personnalité de vos protagonistes, leurs émotions et leur manière de penser. Dès qu’un personnage ouvre la bouche, il doit s’animer à travers des particularités de langage lui donnant un contour psychologique reconnaissable.
Évitez les dialogues artificiels ou surchargés
Certains dialogues croulent sous le verbiage. Explicatifs à l’excès, délayant le message dans un discours désorganisé, ils étouffent le personnage et ralentissent le récit. Un dialogue est une respiration littéraire : accordez-lui suffisamment de souffle. Votre lecteur doit intégrer des informations essentielles sans effort, pas effectuer un tri dans ce que l’auteur n’a pas su gérer. Jouez avec les sous-entendus, les paroles maladroites trahissant l’embarras, la complicité naturelle née d’un échange. Ces nuances donnent de la crédibilité à vos scènes et les rendent plus vivantes sans jamais alourdir la narration.
L’équipement
Un arc narratif affirmé, des interactions soigneusement orchestrées et des dialogues vivants… votre équipement du parfait aventurier littéraire, ainsi complété, est désormais bien fourni. De quoi s’engager avec confiance dans un récit en sachant quels sentiers hasardeux éviter et quels raccourcis emprunter afin d’atteindre votre objectif sans plus perdre de temps. Et n’oubliez pas : le meilleur moment pour écrire, c’est tout de suite.




