Le blog d'Esprit Livre

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Discours emballé sous vide

lettres font

Sommaire

Ces petites phrases politiques…

Je lisais il y a peu l’article d’un magazine prenant la littérature par tous les bouts, la réflexion sur un discours politique entrant dans ce cadre indéfini, alimentée par deux Raphaël rompus à l’art de l’éloquence. Qu’importe le fond du sujet dont ces écrivains débattaient, c’est ce que l’un d’entre eux a relevé à propos d’un élu de premier plan qui m’a paru intéressant. Voici sa phrase : « Le combat autour des mots est le cœur des batailles culturelles, et sa force [de cet élu] fut d’identifier les mots vides qu’il pouvait redéfinir pour se tisser un habit politique autre que le simple libéralisme. » (1)

Jolie formule, ma foi, dont je retins surtout, hors de toute boussole politique, cet étonnant concept de mot vide. Comme une valise dans laquelle chacun entasserait ses propres définitions ? Je ne saisissais pas bien. Afin d’en avoir le cœur net, je me lançai illico sur la piste d’un mot vide dans mon dictionnaire : le spécimen ne devait pas être si difficile à trouver puisque R.G., notre débatteur (je trouvais dans ses initiales une référence amusante à « tintin », dans le sens de « rien du tout », parlant du vide), essayiste de son état, fils de philosophe,  ne semblait pas surpris qu’on puisse en identifier plusieurs.

 

Quand on fait le plein de mots vides de sens

Mais la quête que j’imaginais facile se révéla rapidement un casse-tête : si c’est d’une main innocente que je me mis à feuilleter mon ouvrage de référence, mon regard, lui, s’avéra coquin, tombant d’emblée sur « bondage ». Cette « Pratique sexuelle sadomasochiste dans laquelle un des partenaires est attaché. » suggérait un mot à la chair bien sanglée. De vide, ici, point.

Cela n’entrava pas longtemps mes recherches, poursuivies en débusquant « convent », soit une « Assemblée générale de francs-maçons. » Voilà qui ne cimentait guère ma certitude sincère de voir le vide s’inscrire en toutes lettres sous mes yeux, puisque par essence, le dictionnaire, en comblant mes lacunes, empêchait systématiquement qu’un néant quelconque s’installe dans mon esprit. Alors ?

L’évidence me frappa : il fallait remonter aux sources du vide. Pas celles imaginées par Cioran dans « Syllogismes de l’amertume » – bien qu’une phrase d’Emil telle que « Ces idées qui survolent l’espace, et qui, tout à coup, se heurtent aux parois du crâne… » évoque étrangement des mots, les doigts des idées, fouillant aveuglément une conscience humaine désertique jusqu’à ses limites osseuses.

 

On s’approche du néant

Non, ces mots errant dans un infini portatif souffriraient sans doute de n’être pas redéfinis comme R.G l’entendait. Au lieu du bel habit à l’étoffe lexicale épaissie d’un nouveau sens risquaient de surgir les lambeaux des vieux discours dont on s’attife plus qu’on les porte. C’est bien à la source dictionnairique du vide qu’il fallait que je m’abreuve urgemment, aussi les pages défilèrent-elles sous mes doigts impatients  – vous n’avez pas idée ! –  jusqu’au « V » de la victoire sur l’incompréhension (je n’en doutais pas).

À l’entrée « vide », c’était plein.

Je comptai quarante-cinq lignes, non pas pour ne rien m’expliquer, mais afin de m’expliquer le rien. Retenant l’essentiel, « Qui ne contient rien de perceptible », j’étais confronté à quelque chose sans accès ni issue, une sorte de notion de toute éternité qui semblait dès le commencement devoir me faire rester sur ma fin. Tout au plus pouvais-je mesurer l’espace séparant « vidangeur » de « vidéaste » – environ 36 centimètres carrés de papier –, le « vide » entre les mots, mais pas les mots vides.

L’heure avançant, je renonçai provisoirement, sans m’effrayer à la perspective de voir se dresser d’autres obstacles devant moi, car c’est impavide qu’on triomphe de tous les maux. Je sortis et démarrai ma voiture : je devais faire le plein.

(1) Cette phrase est tirée d’un article : Raphaël Enthoven face à Raphaël Glucksman, Le Magazine Littéraire, N° 6 – juin 2018.

Lire une autre chronique de Frédéric Barbas

 

https://esprit-livre.com/litterature/ces-livres-qui-vous-choisissent-31-10-2018

 

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