Présentation
L’existence est régie par des lois immuables qui dépassent notre conscience ordinaire. Pourtant nous sommes tous prompts à tenter de les déjouer pour affirmer notre volonté. Voici pour preuve onze histoires où l’improbable côtoie l’ironie du sort afin de mettre en échec les désirs les plus affirmés. Ces destins de papier semblent être réglés par une implacable rationalité et pourtant sont confrontés à une déraisonnable efficacité des mathématiques.
Ces personnages indécis, frustrés, obnubilés, naïfs, balancent entre croire et savoir, et découvrent un beau jour que leur monde est bancal. L’application des règles, lois et axiomes mathématiques imbriqués les uns dans les autres façonne et dérègle le cours ordinaire de ces onze nouvelles, autant de démonstrations que nul ne peut y échapper. Un dérèglement logique, forcément.
Sommaire
- Invariable géométrie.
La fille du boulanger amène un camarade de classe à vérifier concrètement les propriétés de l’horizontale et de la verticale. Mais comment aurait-elle pu prévoir qu’elles l’entraîneraient sur un tout autre terrain, celui des rumeurs villageoises ? Et cette fois, c’est le boulanger lui-même qui est touché par les lois de la géométrie dans une affaire de mœurs.
- Équation à un inconnu
Cette professeure de mathématiques, confrontée à la peur de la maladie, découvre que ses certitudes logiques ne lui servent plus à rien. Elle se réfugie dans un comportement irrationnel, seul remède à son angoisse. Prise entre le besoin de croire et le désir de savoir, elle voit toute sa vie remise en question.
- Symétrie
Dans cet abattoir, Gatard, en mal de conquêtes féminines, subit l’ascendant de Joseph. Joseph, tueur, est réputé pour savoir partager une carcasse de bœuf en deux moitiés parfaitement symétriques. Son obsession d’être le meilleur risque de l’exposer à de sérieux déboires. Justement, ce jour-là, avec leur plastique appétissante, deux auto-stoppeuses en tee-shirt dos-nu vont lui faire perdre la tête.
- L’heure, c’est l’heure
Sandra revient à Paris pour assister à une vente aux enchères d’objets d’art ayant appartenu à son ancien patron. Elle y apprend que ce notaire respecté collectionnait les horloges pour en faire un usage très particulier.
- C’est du bidon
Charlot a trouvé l’amour. Un amour au-dessus de ses moyens. Torturé par sa conscience, il tente de retrouver la sérénité auprès d’un prêtre excentrique qui lui impose des règlements comptables et spirituels intenables. Il se demande comment il va sauver et son âme et sa peau.
6. Bonne mesure
Ce basketteur à la stature démesurée retrouve avec bonheur un camarade de classe, resté petit et malingre. Après un parcours professionnel qui a hissé les deux hommes au sommet, un banal souvenir scolaire pourrait raviver un complexe de taille et d’importance. Comment vont-ils parvenir à contenir les résurgences du passé. ?
- Dans de beaux draps
Au décès de leur mère, l’aînée des deux sœurs compte bien garder pour elle le domaine familial. Elle entraîne sa cadette dans une partie de pliage de draps qui ramène celle-ci à l’image du rectangle de l’écluse où leur père s’est noyé. L’aînée paiera sans doute très cher l’imprudence d’avoir réveillé de vieux démons.
8. Parabole
Par hasard, Élisabeth remarque qu’un fer d’outil, accidentellement projeté en l’air, décrit une courbe parabolique qui le transforme en arme contondante. Déçue de ne pas pouvoir appliquer cette découverte à son beau-père qu’elle déteste, elle lui trouve une autre cible en la personne d’un passionné de ball-trap qui empoisonne la vie de sa seule amie, Corinne. Élisabeth n’en a pas fini avec les paraboles. Mais pour ce qui est de l’amitié…
- Faites vos jeux
Un jeune homme, désireux d’améliorer sa situation sociale, accepte une partie de poker avec un joueur chevronné. S’ensuit une lutte effrénée entre ce jeune joueur convaincu d’apprivoiser la chance et cet expert, quelque peu pervers, sûr de son affaire et confiant en la suprématie des probabilités. Bien malin celui qui pourra deviner qui sortira vainqueur.
- Gros temps
Suzanne Escher veut savoir si, quarante ans plus tôt, elle a eu raison de quitter son métier après avoir publié une critique négative du film Casablanca, en 1947. Le jeune météorologue qu’elle rencontre a fait, lui, une erreur de calcul dans son métier qui remet en cause son avenir professionnel. L’un comme l’autre se retrouvent confrontés aux interrogations et aux exigences qu’implique un choix.
- Anamorphoses
Un peintre de fresques, fou amoureux de son épouse, découvre qu’elle le trompe. Loin de s’abandonner aux scènes de ménage et aux aigreurs de la déception amoureuse ou de la colère, il utilise les ressources de son art pour lui faire comprendre qu’elle a elle-même détruit leur couple.
EXTRAIT
C’est du bidon
Charlot a trouvé l’amour. Un amour au- dessus de ses moyens. Torturé par sa conscience, il tente de retrouver la sérénité auprès d’un prêtre excentrique qui lui impose des règlements comptables et spirituels intenables. Il se demande comment il va sauver et son âme et sa peau.
Dans la maison forestière de la Grande Berthonnière, Charlot, même juché sur la pointe des pieds au sommet de l’escabeau, n’arrivait pas à atteindre le plafond de la grande salle qui servait à tout.
« Tu vois, toi et tes idées, je t’avais dit que ça serait un problème de refaire ces peintures. »
Écroulée en-dessous dans le vieux clic-clac qui touchait terre sous la masse, Micheline ne s’émut pas de la critique :
« C’est pas grave si tu vas pas jusqu’au plafond, on regarde jamais tout en haut. Mais fais bien attention de ne pas tacher les meubles en passant autour. J’ai pas envie d’avoir du rouge sur le buffet. »
Sans transition, elle ajouta :
« Il est quelle heure, là ? Je commence à avoir faim. »
Charlot soupira. Manger, toujours manger. De son perchoir, il avait une vue imprenable sur le caleçon à rayures, elle mettait toujours des caleçons à rayures, pensant que ça l’amincissait, comme si c’était possible avec ses cent vingt kilos pour un mètre soixante. De toute façon ça lui était bien égal, c’était ce qu’il aimait, cette masse qui lui laissait juste la place de loger sa maigre carcasse dans le lit, et puis cette nuque puissante comme celle d’un taureau, incongrue chez cette femme fanée qui ne faisait pas grand- chose de ses journées, à part écouter la radio, regarder la télévision et arroser les deux jardinières de géraniums qu‘elle entretenait à côté de la porte.
Il soupira encore. Aujourd’hui, elle voulait des peintures neuves, hier c’était autre chose, et demain ce serait quoi ? Charlot faisait ce qu’il pouvait pour étaler l’acrylique en promotion de chez Castorama, mais le cœur n’y était pas. Malgré la radio, car c’était l’heure du feuilleton de Micheline, il tendait l’oreille vers un bruit venant de la départementale, cette route de la Vendée qui charriait un flot incessant de camions. Il pleuvait, ce serait bien pour les géraniums et pour remplir le grand bidon en tôle placé sous la dalle. Il sentait une vague menace planer dans l’air par cette matinée d‘octobre ordinaire, au bout de l’allée forestière craquant sous les feuilles des châtaigniers. Pourtant tout semblait en ordre, depuis les oies qui couvaient, sauf celle qu’il en empêchait pour que Micheline ait son œuf à la coque du matin, jusqu’à la voiturette qu’il avait bâchée, même si elle était à l’abri dans la grange.
Le vrombissement se rapprochait, Charlot reconnut une Mercedes, et elle arrivait à toute allure, mais les chiens couchés devant la maison n‘aboyèrent pas. Il ne regarda pas Micheline, se concentra sur son pinceau de toutes ses forces en se disant que ce n’était peut- être pas ce qu’il pensait.
En général, le comte de la Roche Poupard, propriétaire de la maison et patron de Char-lot se déplaçait avec Gonnord, son garde qu’il chargeait du sale boulot, annoncer la hausse du fermage, ou réclamer sa part de bois de chauffage parce que le fermier avait mis trop de grosses branches dans ses fagots. Mais là, il était seul, et rien qu’à entendre la portière vio-lemment claquée, tout d’un coup Charlot sentit comme un coup dans son estomac.
L’auteur, Dominique Beck
Parcours de l’auteur
Le jour où Dominique Beck est entrée dans l’atelier de formation à l’écriture de L’esprit livre dirigé par Jocelyne Barbas, l’auteure de Equation à un inconnu ne cherchait qu’une distraction. Quelques années plus tard, après s’être frottée aux consignes de l’atelier et aux retours sur textes des correcteurs, la situation n’était plus la même…
Plus de consignes. C’était le saut dans le grand bain que lui proposait l’Esprit livre. Ecrire toute seule, sur le sujet de son choix, dans le genre romanesque. Choisir entre une nouvelle longue ou un recueil de nouvelles. Tout en en restant accompagnée dans sa démarche, Jocelyne Barbas demeurant toujours présente.
C’est là qu’elle s’est rappelé une expérience ancienne, qui l’a fait réfléchir : la confrontation avec le monde des mathématiques.
Le monde scientifique s’adresse en principe à des gens raisonnables. Mais l’auteure l’est-elle ? On peut en douter, en prenant pour preuve ces onze histoires…
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