L’Histoire avec son grand « H » est captivante, bien sûr. Maintenant que dire de l’histoire de l’écriture quand on en est passionné ? Qu’il n’y a rien de plus enrichissant. Suivre son parcours à travers les âges a de quoi faire chauffer les crayons… ou les pouces…

Dans l’Égypte antique, l’écriture a enfanté les scribes, et plus tard sous d’autres cieux, les moines copistes. Bien que nos écrits actuels soient rarement ornés d’enluminures, chacun à sa façon perpétue aujourd’hui les gestes ancestraux fondateurs pour partie de bien des civilisations. En dépit de ce que cela me coûte, force m’est d’admettre que même le langage sms fasse partie du Grand Tout des signes. De la sensuelle odeur de l’encre à l’impassibilité numérique, l’Humain ne se passe de mots que pour mieux nourrir ses silences, et ce d’hier à aujourd’hui…

Par monts, par vaux, et parchemin

L’écriture a emprunté bien des voies pour venir jusqu’à nous. Des chemins d’abord parsemés non pas de cailloux façon petit Poucet, mais de pesantes pierres où se sont inscrits des caractères lourds de sens. Ce n’est pas pour rien que l’on emploie toujours la formule « gravé dans le marbre ». Eh oui, à l’époque déjà, le poids des mots, le choc des marteaux. Puis on a allégé nos pensées, des tablettes d’argile de Babylone à celles de cire, de l’os au tissu, partout dans le monde l’écriture a trouvé un support. Partout dans le monde elle s’est nichée dans toutes les matières. Partout dans le monde elle a survécu. Jusqu’à se réfugier dans des anaphores, c’est dire !

De l’Historique à l’hystérique

Depuis les pensées inspirantes couchées sur des matériaux devenus poussière depuis des millénaires, l’écriture grouille à présent dans notre monde moderne avec une frénésie confinant trop souvent à l’hystérie. Le cogito ergo sum se mue parfois ainsi en « Je pense donc j’écris ». Mais penser n’est pas forcément réfléchir. Quand écrire sert de défouloir en un clic, un avis peut très vite devenir péremptoire… et dénué de fondement. La place réservée au doute s’amenuise pour que s’impose une « expertise » en une phrase réduite à la vérité d’un jour ne tenant pas compte de celle du lendemain. Les idées agitent les mots comme le vocabulaire bouscule la réflexion, et, dans une époque où tout va trop vite, on en viendrait presque à considérer miraculeux le simple fait de s’exprimer avec discernement.

Les tressautements de l’écriture

Ces dernières années, l’espace aménagé pour l’écriture s’est considérablement agrandi pour le meilleur et pour le pire. On a ainsi pu voir sur le Net des envolées et des excès, autant de pensées magnifiques que de propos méprisables. Que la parole se libère est une bonne chose. Qu’elle s’évade sous couvert d’anonymat peut très vite s’apparenter à une cavale se transformant en cabale. Mais dans cet incessant brassage de mots, qu’ils soient gros ou beaux, l’écriture n’a jamais été aussi vivace, nourrie de réactions fougueuses suscitées entre autres par les tressautements de notre époque.

L’attente timbrée

La place de l’écriture sous toutes ses formes est donc de nos jours au cœur de notre société, qu’elle se pare de littérarité ou s’habille des effets les plus simples. Au seuil des années 2000, on écrivait encore des milliards de lettres, quand à présent on ne cachète plus les enveloppes que par millions. Les courriels sont passés par là, la force de l’instantanéité ayant fini par terrasser les délices d’une attente timbrée. On peut s’en désoler en repensant à toutes ces correspondances célèbres, de Victor Hugo à Juliette Drouet, de Jean Cocteau à Jean Marais en passant par Jean-Paul Sartre et son fameux « castor », Simone de Beauvoir. Cette dernière lui faisant peut-être barrage pour qu’il la surnomme ainsi.

L’alphabet endiablé

Pour autant, l’encre des sentiments ne s’est pas asséchée au fil des décennies. De l’encrier à l’encodage, les émotions ont seulement changé de support. Mais j’ai remarqué autour de moi, il y a de ça plusieurs années, que le plaisir de tracer des lettres, et de s’appliquer pour le faire, tendait à se raréfier. C’est pourquoi je laisse régulièrement mon clavier de côté pour retrouver cette sensation d’avoir des paroles entre mes doigts avec l’élégance contenue dans l’application à former la boucle parfaite d’une majuscule. Ou sentir la merveilleuse nervosité d’écrire dans l’urgence, quand les caractères se forment sous mes yeux en un alphabet endiablé, voire rageur. Surtout quand j’écris à la perception des impôts.

Des mots pour exister

Plus que jamais, écrire c’est exister socialement. Affirmer qui l’on est par le biais de mots les mieux choisis possible. Enfin ça, ce serait dans un monde idéal. Certain(e)s ne maîtrisent tout simplement pas l’exercice plus compliqué qu’il n’y paraît de s’exprimer. Ça s’apprend. Pour prendre dans l’actualité politique un exemple tout simple, des candidats peuvent du jour au lendemain perdre des points d’intention de vote à cause d’une phrase malheureuse, car mal formulée. C’est l’essentialité de l’écriture que de véhiculer avec une précision parfaite le message qu’on souhaite délivrer. Je ne parle pas ici – allez, je me trempe vite fait les doigts dans les anglicismes – de produire des punchlines pour faire le buzz. Mais bien de tenir un propos construit et solidement argumenté.

Être otage du talent

Les penseurs, les philosophes, les écrivains dans leur ensemble, ont toujours été pour les meilleurs d’entre eux les témoins fiables de passés dont on mesure leur rôle dans l’évolution nous ayant menés là où nous en sommes à présent. C’est-à-dire dans une dèche pas possible. Oh, je ne m’inquiète pas outre mesure du devenir de l’écriture : elle nous accompagnera jusqu’à ce que nous tournions notre dernière page. Et continuera à nous ravir dans les deux sens du terme : elle nous fera nous extasier et nous kidnappera en tant qu’otages d’un récit si bien articulé qu’on en sera les prisonniers volontaires le temps de le lire. Vraiment, je ne m’en fais pas pour ça. À condition que chacune et chacun d’entre nous poursuivent un idéal voulant qu’une société des lettres s’érigent comme un rempart face à l’obscurantisme. Poil au populisme…