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> Première partie : la phrase choc ou punchline
L’humour à l’arraché : la punchline, comment écrire avec humour
C’est connu, l’humour compte parmi l’une des émotions intellectuelles les moins évidentes à susciter. Ne dit-on d’ailleurs pas « arracher un sourire à quelqu’un ? ». Exprimé ainsi, on pense plus à un vol de sac à main qu’à la volonté de transmettre de la bonne humeur. Comme dans l’essentiel des domaines littéraires, on observe quantité de règles dont il est possible de s’inspirer sans toutes les respecter, car ce qui fonctionnera dans un cas fera un flop dans l’autre. Le contexte, le public auquel on s’adresse – le fameux « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui » –, la tendance humoristique du moment (le rire a ses modes) détermineront en partie notre approche de ce registre particulier.
Punchlines ou phrases chocs : un procédé indémorable
Du Parthénon au cabaret du Chat noir : l’impertinence des bons mots
S’il existe une évolution dans la façon de faire sourire ou s’esclaffer un lecteur, des auteurs n’appartenant ni à notre siècle ni à celui d’avant sont aujourd’hui encore en mesure de nous amuser. Des Grecs anciens à Rodolphe Salis en passant par Rabelais, les plaisanteries bon enfant, l’ironie mordante ou la truculence ont jalonné l’Histoire orale et littéraire comme en témoigne cette blague issue de très lointains temps helléniques :
C’est un idiot qui dort avec un sourd.
L’idiot pète.
Le sourd sent l’odeur pestilentielle et se met à rouspéter.
« Mais alors, dit l’imbécile, tu m’as mené en bateau !… Tu n’es pas sourd ! »
Ref : Va te marrer chez les Grecs – Arnaud Zucker, Éditions Mille et une nuits
Du côté de Montmartre, l’heure n’était pas plus à la mélancolie. Salis, qui s’est « payé » Émile Zola et son style naturaliste plus souvent qu’à son tour, ne négligeait aucun moyen pour l’épingler dans la revue du Chat noir, notamment par l’intermédiaire de petites annonces toutes plus farfelues les unes que les autres : On demande, à Médan, un jardinier-comptable pour laver, brosser et compter les petits cailloux des allées d’une villa de mauvais goût. S’adresser à M. Émile Zola, parvenu.
Pour finir comme on a commencé ce petit tour d’horizon, avec des flatulences, on sollicitera Rabelais sans crainte d’être déçu (voyez là toute l’importance de la cédille, comme Philippe Geluck le prouve plus loin) : «Voyant cela, Pantagruel voulut en faire autant ; mais du pet qu’il fit la terre trembla neuf lieues à la ronde, et avec l’air corrompu de ce pet, il engendra plus de cinquante mille petits hommes, nains et contrefaits ; d’une vesse qu’il fit, il engendra autant de petites femmes rabougries, comme vous en voyez en plusieurs endroits elles ne se développent jamais, sinon, comme les queues de vaches, vers le bas, ou bien, comme les raves du Limousin, en s’arrondissant. » Pantagruel – François Rabelais, Éditions Points
Du chansonnier au sniper : imprégnez-vous de leurs trouvailles
Chez les écrivains passés et présents s’étant spécialisés dans l’humour, leur art dédié à provoquer le rire diffère de celui employé pour le roman et la nouvelle. Quelques ressorts demeurant toutefois les mêmes, il est incontournable de s’y intéresser.
Parmi ceux-ci, la phrase choc, terme remis à la mode ces dernières années sous sa version originelle anglaise de punchline ( ou punchline), donnera du piment à vos dialogues ou à vos chutes. L’avantage de ce mot d’esprit est qu’il est d’usage simple, puisqu’il n’est pas issu d’une longue élaboration. Qu’il dépende d’une phrase sur laquelle il rebondit, résume un sentiment général ou tourne en dérision un comportement, c’est de l’humour « instantané ». La difficulté consiste en ce qu’il doit contenir toute sa pertinence dans la brièveté.
Qu’elle soit d’une finesse vacharde ou d’une outrance assassine, la phrase choc pourrait aujourd’hui trouver sa raison d’être dans le « Tirez pour tuer ! », puisqu’il est entré dans le langage essentiellement télévisuel et dans une moindre mesure radiophonique de désigner sous le nom de « sniper » celui qui la manie. On y associe naturellement la notion de buzz, voire de clash si affinités. Elle peut être considérée comme l’une des nombreuses excroissances de la verve des chansonniers ou des mots d’auteurs, sans toutefois s’y substituer.
Une sélection de punchlines
Fleurissant tant en littérature et dans la bande-dessinée qu’au cinéma ou en politique, elles sont la porosité de la morosité, de petits trous dans le marasme :
« Je n’ai pas parlé à ma belle-mère depuis 18 mois. Je n’aime pas l’interrompre. » Ken Dodd
« J’ai un truc pour se souvenir de la date d’anniversaire de votre femme : il suffit de l’oublier une fois ! » Michel Galabru
« On appelle voiture d’occasion une voiture dont toutes les pièces font du bruit sauf le klaxon. » Pierre Dac
« Il paraît que l’inventeur de la cédille est un certain Groçon. » Philippe Geluck
« Pourquoi contredire une femme ? Il est tellement plus simple d’attendre qu’elle change d’avis. » Jean Anouilh
« En politique, si vous voulez que quelque chose soit dit, demandez à un homme. Si vous voulez que quelque chose soit fait, demandez à une femme. » Margaret Thatcher
« C’est à une demi-heure d’ici. J’y suis dans dix minutes. » Winston Wolfe (Harvey Keitel), dans le film Pulp Fiction.
Employez efficacement l’humour dans votre texte
Comment réutiliser dans un texte vos punchlines
Imaginez que vous soyez l’auteur d’une de ces phrases et que vous la placiez au cœur d’un de vos dialogues, ou pour débuter un paragraphe, un chapitre, voire les clôturer. Situons le contexte et voyons ce que cela pourrait donner.
Le personnage principal de cette scène inventée pour illustrer mon propos, Frank, est un homme de main chargé, dans le cadre d’un racket, d’encaisser des sommes d’argent pour le compte d’un puissant chef de gang. Ce percepteur de l’ombre est connu pour ses méthodes musclées et n’est pas réputé avoir la plaisanterie facile :
« Salut Tony. T’es pas à jour de tes cotisations et mon patron s’impatiente. Ça le rend nerveux quand la balance de l’entreprise tombe pas juste.
– Frank, je suis dans le rouge ce mois-ci. Il me faudrait quelques jours pour me retourner, je t’assure que j’ai le couteau sous la gorge en ce moment !
– Tu pourrais vraiment l’avoir si tu ne craches pas les biftons tout de suite, c’est sûr, rétorqua Frank en ignorant l’air implorant de Tony.
– Frank, tu peux me croire, j’ai à peine de quoi remplir mon frigo, ces temps derniers !
– Ah ouais ? C’est curieux, j’ai vu qu’il y avait une nouvelle bagnole dans ton allée…
– Oh, je l’ai eue pour rien, c’est une vieille guimbarde tu sais, une occasion bas de gamme en bout de course… »
Frank hocha la tête, pensif, puis il sortit de chez Tony sans dire un mot. Ce dernier commençait à respirer de nouveau normalement quand trois coups d’avertisseur sonore retentirent dans le calme du petit matin. Il sursauta. Frank refit son apparition quelques secondes plus tard, le visage indéchiffrable, et lâcha : « On appelle voiture d’occasion une voiture dont toutes les pièces font du bruit sauf le klaxon. »
Cette démonstration vise juste à vous faire sentir l’humour et non à vous inciter à picoquer des citations et punchlines célèbres pour en farcir vos textes. A vous de vous imprégner et d’inventer les vôtres.
Comment jaunir le rire
À partir du moment où cette phrase est prononcée, on peut au moins envisager deux issues :
Un sourire se dessine lentement sur le visage de Frank qui finit par éclater de rire, content de son bon mot, et la situation se détend.
Le chapitre se termine sur ces dernières paroles de Frank, laissant le lecteur imaginer quel sort il réserve à Tony en attendant qu’on revienne vers ces deux personnages – si on y revient.
Notez que la formule de Pierre Dac, aussi drôle soit-elle, peut prendre des allures de menace dans le second cas, quand Frank, sur un ton badin, signifie à Tony que ce dernier s’est moqué de lui et va probablement devoir en payer les conséquences. On pourrait même, afin d’appuyer l’effet, compléter la formule de Dac : « La tienne, c’est tout l’inverse. »
Il ne faut pas oublier que l’humour permet aussi de rire jaune.
L’importance d’avoir des réserves
C’est bien joli, allez-vous me dire, d’utiliser ces phrases-là, mais je n’ai pas les miennes propres en magasin !
Si tel est le cas, si vous n’avez jamais pensé à vous constituer un stock de punchlines, commencez dès aujourd’hui à adopter ce réflexe bien simple : créez un fichier spécial « répliques/petites phrases/jeux de mots/traits d’esprit, et référez-vous-y chaque fois que votre réservoir imaginatif est à sec.
Vous verrez, bien souvent, une phrase appelle l’autre, provoque l’embryon d’une idée, fait naître un calembour, bref, vous finirez par avoir plus de bois que votre cheminée peut en brûler.
L’union fait la farce
Vous constaterez qu’il est même possible d’en regrouper plusieurs dans le même paragraphe bien qu’elles aient été écrites à différents moments et, concernant la scène ci-dessous créée là aussi pour l’occasion, par différents auteurs.
Contexte : au cours d’une discussion entre deux amis, Nicolas et Romain, les considérations sur les femmes vont bon train :
« Alors Romain, comment ça se passe avec ta belle-famille ?
– Tu sais, je n’ai pas parlé à ma belle-mère depuis 18 mois. Je n’aime pas l’interrompre.
Nicolas rit de bon cœur de cette pique avant d’emboîter le pas à son ami :
« Essaie juste de la contredire, tu en reprendras pour 18 mois.
– Pourquoi contredire une femme ? Il est tellement plus simple d’attendre qu’elle change d’avis.
– C’est vrai au point que lorsque je veux avoir raison avec la mienne, je lui rappelle ce qu’elle a dit la veille pour la mettre en défaut par rapport à ce qu’elle m’affirme le jour-même.
– C’est futé, ça. Sinon, de mon côté, je me suis mis mon beau-père dans la poche en lui donnant un merveilleux conseil.
– Lequel ? dit Nicolas, déjà amusé.
– Je lui ai affirmé que j’avais une parade infaillible pour se souvenir de la date d’anniversaire de sa femme ; crois-moi, il a tendu l’oreille !
– Curieux à mon tour de connaître ce redoutable stratagème…
– Oh c’est très facile : il suffit de l’oublier une fois ! »
A suivre
On verra dans la suite de cet article comment inventer des formules mordantes mais drôles, ou l’art et la manière de posséder une écriture incisive sans forcément avoir la dent dure…
Références de l’article
Va te marrer chez les Grecs – Arnaud Zucker, Éditions Mille et une nuits
Pantagruel – François Rabelais, Éditions Points – https://fr.wikipedia.org/wiki/Phrase_choc
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