Comment bien écrire de la littérature ? L’art de l’écriture est méconnu. Pourtant nous apprécions tous le bon style, l’éloquence, des formules qui font mouche, les belles métaphores…. Fait étonnant, la grande majorité des Français nie son apprentissage croyant fermement au don d’écrire. Cet article aborde quelques motifs qui disqualifient son apprentissage et contribuent à cet oubli.
Bien écrire, un art difficile à définir
Tout le monde écrit et tout le monde a son avis sur la question. La pluralité des points de vue ne contribue pas à définir facilement l’art d’écrire.
Les amateurs d’écriture aimeront retrouver dans cette définition leurs rêves, leurs désirs et leurs plaisirs d’écrire tant leur écriture fait désormais partie d’eux et de leur existence. Les écrivains chevronnés useront de leur autorité pour faire entendre leur voix. Ce sont eux les professionnels, eux qui sont rémunérés par les lecteurs, comme les journalistes. Les universitaires useront de leurs savoirs reconnus en haut lieu. Quant aux enseignants, ils ont raison de faire valoir que le savoir écrire relève des missions de l’école…
Celui qui écrit se réfère à ses propres expériences pour qualifier ce qu’il connait. Comme l’expérience est par définition personnelle et unique, il existe potentiellement autant de définitions de l’art d’écrire que d’expériences, autant vouloir faire l’inventaire des grains de sable d’un désert !
Afin d’aboutir à une vision plus nette de cette discipline, un consensus s’impose. Ce qui nécessiterait de tolérer des savoir-faire différents, complémentaires, fragmentaires, utilisés par de nombreuses personnes. Tout ne monde n’est pas prêt à se montrer respectueux de la compétence d’autrui.
La mécanique implacable de l’oubli
A la décharge des néophytes, il faut déjà avoir pratiqué une discipline afin de s’en faire une idée plus précise. Lorsqu’un livre arrive sur la table du libraire, tout le travail entrepris par l’auteur reste invisible. Le lecteur ne contemple qu’un résultat. Le plaisir de se laisser emporter par sa lecture masque la belle facture du texte. Toutes ces années d’apprentissage qui ont permis à l’auteur d’acquérir l’aisance à écrire sont estompées au profit d’une impression de facilité. Combien de lecteurs peuvent reconnaître les procédés employés par un auteur ?
Cette dissimilation fait même partie intégrante de cet art, comme le soulignait l’académicien, Maurice Garçon dans son Essai sur l’éloquence judiciaire. « Une grande partie du talent d’un orateur consiste à dissimuler son art et à montrer un naturel qui crée, entre celui qui écoute et lui-même, un courant de sympathie et de confiance. »
Dans l’inconscient collectif, l’art d’écrire est associé au métier d’écrivain, profession subordonnée à l’exposition médiatique et à la célébrité. A tel point que la notoriété est devenue la reconnaissance publique du talent. Si l’on écrit, c’est pour être écrivain et être édité par le plus grand éditeur, le plus réputé. Gallimard, sinon rien ! Dans cette logique, on ne parle plus d’enseigner l’art d’écrire mais de l’art de susciter l’admiration de ses contemporains. On n’enseigne pas à devenir un grand homme, un écrivain ! Heureusement que la téléréalité ne s’y est pas mêlé ? Existe-t-il un marché pour filmer des écrivains à l’œuvre, confinés dans un univers clos 24 h sur 24 H ? Pas assez sexy…
Les ateliers d’écriture auraient pu faire évoluer les mentalités en France s’ils ne s’étaient limités, pour la majorité, aux loisirs culturels, au développement personnel, aux balbutiements d’une pratique d’une discipline artistique s’affirmant en marge des cursus d’apprentissages. Les ateliers d’écriture ayant pignon sur rue ont presque réussi à faire oublier qu’un atelier n’est qu’un mode d’apprentissage connu depuis l’antiquité. Dans la grande disparité des ateliers, très peu d’entre eux ont pour vocation de former des écrivains. Ils offrent généralement des activités d’écriture créant du lien social, favorisant l’expression à la création littéraire.
Le manque d’humilité des auteurs : le talent vs la formation
Comment les écrivains considèrent eux-mêmes l’art d’écriture ? Beaucoup d’entre eux préfèrent mettre en avant leur livre et leur talent naturel. C’est difficile parfois de reconnaître que l’on doit quelque chose à quelqu’un, comme si cet aveu diminuait sa propre valeur. C’est tentant de laisser croire que l’on s’est fait tout seule et que le mérite nous en revient entièrement. Frédéric Dard écrivait à ce sujet, avec la verve qu’on lui connaît. « Le talent, c’est facile comme explication ! »
Selon Nicolas Boileau, le manque d’humilité conduirait à nier l’utilité de l’apprentissage. Relisons ces quelques lignes de son art poétique.
« Soyez-vous à vous-même un sévère critique. L’ignorance toujours est prête à s’admirer. Faites-vous des amis prompts à vous censurer. Qu’ils soient de vos écrits les confidents sincères. Et de tous vos défauts les zélés adversaires. Dépouillez devant eux l’arrogance d’auteur ; mais sachez de l’ami reconnaître le flatteur ; tel vous semble applaudir, qui vous raille ou vous joue, aimez que l’on vous conseille et non pas qu’on vous loue. »
Il existe heureusement des écrivains intègres qui parlent sans détours de leur discipline. Citons par exemple, Jules Renard : « Le talent n’est pas d’écrire une page : c’est d’en écrire 300. Il n’est pas de roman qu’une intelligence ordinaire ne puisse concevoir, pas de phrase si belle qu’un débutant ne puisse construire. Reste la plume à soulever, l’action de régler son papier, de patiemment l’emplir. Les forts n’hésitent pas. Ils s’attableront, ils sueront. Ils iront jusqu’au bout. Ils épuiseront l’encre, ils useront le papier. Cela seul les différentie des hommes de talent des lâches qui ne commenceront jamais. En littérature, il n’y a que des bœufs. »
Une discipline méconnue et vaste !
Si l’art d’écrire est méconnu, l’écriture est une discipline vaste. Le dictionnaire des sciences du langage paru aux éditions Points distingue 11 domaines dont la rhétorique, la stylistique, la poétique, la sémiologie, la narratologie et la philosophie du langage sans parler de notions tels que les genres littéraires, le style et ses figures…
On sent bien que la classification reste flottante. L’encyclopédie Universalis se réfère à la tradition et parle d’un art poétique, qui se veut un art du discours et une science de la littérature, ce qui nous renvoie aux ouvrages d’Aristote.
Ajoutons aussi La poïétique qui « a pour objet l’étude des potentialités inscrites dans une situation donnée qui débouche sur une création nouvelle. Chez Platon la poïèsis, la production d’une œuvre d’art, se définit comme « La cause qui, quelle que soit la chose considérée, fait passer celle-ci du non-être à l’être » (Le Banquet, 205 b). ». Elle désigne « En art, étude des processus de création et du rapport de l’auteur à l’œuvre. » Wikipédia.
Hélas seuls les étudiants, les universitaires ont accès à ces richesses.
Les formations d’écriture : au cœur des confusions
L’enseignement de l’écriture est resté en France un sujet polémique. Cette situation a contribué à hisser ce déni de J’art d’écrire au rang de la certitude et du fait culturel. Les journalistes ont globalement relayé ces opinions en semant à leur ces discrédits. Si l’on devait appliquer cette logique à leur métier, le résultat serait plutôt comique. Imaginons un entretien d’embauche :
« – Vous voulez écrire un article pour notre journal ? Comment comptez-vous vous y prendre ?
– J’ai le talent !
– Ah, vous me rassurez. C’est une chance, car si vous aviez dû prendre des cours… »
Cela fait sourire évidemment, car tout le monde sait qu’il existe des écoles de journalistes. Il n’en va pas de même pour les écrivains, même si, ces dernières années, quelques universités se sont lancées à la conquête d’un nouveau marché, sans doute encouragées par l’existence d’initiatives privées, prônant un apprentissage entre pairs. Rares sont les organismes de formation qui se sont jetés dans l’aventure.
Cet article peut vous intéresser