Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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20 bonnes raisons de devenir écrivain – l’invention

Sommaire

Avoir des idées neuves fait partie d’une discipline de la rhétorique : l’invention. « La composition littéraire peut se définir : l’art de développer un sujet ; autrement dit, l’art de trouver des idées, de les arranger et de les exprimer. D’où cette division, logique et naturelle : Invention. Disposition. Élocution. » Frédéric Barbas, ex- correcteur d’édition pour l’esprit livre, aujourd’hui blogueur, partage avec vous ses lectures de L’art d’écrire en 20 leçons d’Antoine Albalat. La lecture de cet article vous permettra de voir à quelle point cette notion d’invention est généralement mal comprise…

 

« L’invention est l’effort d’esprit par lequel on trouve un sujet et les développements qui s’y rapportent. »

« C’est pour ne pas avoir assez réfléchi sur son sujet, dit Buffon, qu’un auteur est embarrassé pour écrire. »

 

Ecrire au fil des mots, quelle erreur !

Se lancer tête baissée dans l’écriture d’une histoire sans avoir mûri son projet, c’est se construire un mur contre lequel, tôt ou tard, on butera. En deux mots on appelle ça le blocage, que nombreux d’entre nous subissent un jour ou l’autre. On connaît la sensation d’impuissance, pour ne pas dire d’angoisse, qui s’y rattache. On est là, devant sa page, et rien ne vient si ce ne sont des pensées trop fugaces pour qu’on les saisisse et que l’on parvienne à les mettre en mots. Tout n’est pas identifiable dans les causes qui font que l’on échoue à produire du texte, mais celle évoquée par Buffon semble frappée au coin du bon sens : il faut réfléchir avant d’agir. Cela semble bête quand on l’énonce ainsi, mais c’est pourtant ce qui génère l’explosivité d’une pensée, la symbiose des phrases, le choix inspiré d’un vocable parmi tant d’autres.

Quand Albalat parle de « l’effort d’esprit », cela indique une contrainte intellectuelle sans laquelle le talent n’est rien, n’en déplaise à celles ou ceux qui vivent dans l’illusion de la poudre de perlimpinpin de leur génie. Il ne faut pas voir chez les écrivains prodiges la réalité d’une profession : pour un Jack London, un Stephen King, une Karen Blixen, combien de plumitifs ? Des bataillons entiers, qui s’exaspèrent que ce « génie » ne soit pas reconnu, oublieux de cet « effort d’esprit » qu’il fallait produire en amont. Les meilleurs, eux, ne se sont jamais ménagés pour faire fructifier leur talent naturel, ils ne se sont pas limités à leurs prédispositions pour l’écriture.

L’aisance a écrire n’a jamais été synonyme d’absence d’efforts ou le signe d’un don. « L’art d’écrire est un perpétuel effort, sauf pour les grands génies qui ont, néanmoins, eux aussi, énormément travaillé. » L’invention, Albalat la considère aussi sous cet angle : « La nécessité de porter longtemps son sujet, la gestation, en un mot, est une condition absolue du don d’écrire. » ; prendre son temps n’est pas le perdre, c’est au contraire s’offrir le luxe d’affiner une intrigue, varier son vocabulaire, essorer sa pensée pour en extraire le meilleur jus, et débarbouiller sa prose de la facilité.

Au-delà des idées connues…

L’invention, c’est aussi se surprendre soi-même, voir avec ravissement qu’un mot oublié resurgit à point nommé dans une phrase qui sans lui aurait été quelconque. Ça échappe parfois à la logique, aux analyses fines, mais on doit accepter une infime part de « surnaturel » — on dira aussi d’aléatoire — dans l’écriture, à ce qui fait qu’une trouvaille puise sa force dans un inconnu qu’on ne peut domestiquer. « Il vous arrive un accident, une douleur ; un épisode de votre vie vous frappe. Rien de plus aisé que de sentir de pareils sujets […] la difficulté, c’est de choisir un sujet étranger […]. » Voilà à quoi on se retrouve confronté bien souvent, si l’on accepte de se mettre en danger, de sortir de sa zone de confort… d’imaginer.

J’ai dit plus avant qu’on ne parle jamais aussi bien que de ce que l’on connaît, structure robuste qui supportera le poids de l’élargissement des habitudes. On brode un peu sans trop s’éloigner, et voici un récit honnête qu’on peut proposer à son lecteur.

Inventer est autre chose, ce n’est pas dire n’importe quoi, mais mettre notre imagination à contribution de telle sorte qu’elle produise des idées neuves. Il y a ce qui nous passe par la tête, flots particulièrement généreux qu’il est indispensable de canaliser sans quoi on doit faire face à un fouillis décourageant. C’est une matière qu’il faut modeler pour la rendre accessible à notre lecteur : essayer de le dérouter sans pour autant le perdre, telle est la gageure. Une idée neuve n’est pas obligatoirement quelque chose de jamais lu — et c’est d’ailleurs rarement le cas, tant des millions de livres ont été écrits. Mais on peut apposer l’originalité de son point de vue à un sujet mille fois évoqué, le débarrassant de son caractère rebattu en exploitant l’un de ses aspects que personne n’avait songé à dégrossir, ou d’une façon insuffisamment pertinente. Il existe aussi chez certains la faculté de se projeter au-delà de leur siècle, de dépasser ce qui conditionne leur quotidien pour en façonner un autre ; on parle ici d’anticipation ou de science-fiction, des genres qui peuvent générer des pensées tant visionnaires que farfelues, mais qui dans un cas comme dans l’autre véhiculent leur part d’invention.

La lecture comme première source d’invention

« Réveillez par la lecture votre imagination assoupie. Ce procédé réussit toujours. » Ce n’est pas la première fois que, dans son ouvrage, Albalat cible la nécessité de sans cesse se nourrir de l’encre séchée des auteurs qui ont écrit de belles pages. Il a raison d’insister sur ce point, car un écrivain qui ne lit pas, aussi bon soit-il, perd de son mordant et son univers devient moins vaste. Il ne s’agit pas d’engouffrer des milliers de pages, mais on peut picorer çà et là, chez nos auteurs favoris, de quoi s’inspirer. Une phrase lue dans un de nos bréviaires peut constituer un déclencheur, décoincer ce qui grippe. Personnellement, quand je ne me sens plus en verve, j’ai recours à cette méthode, et force est de reconnaître que cela fonctionne neuf fois sur dix.

Même quand on doute, on peut ainsi se remettre rapidement sur les rails. Si on ne retrouve pas le mot juste dans l’instant, la métaphore qui fait mouche, le lien qui soude les idées, il n’y a pas de quoi s’inquiéter : l’esprit, souvent, dérive ou paresse.  La lecture d’une page peut réactiver le processus créatif en un tournemain, et permettre d’accéder à l’invention par le renforcement de méthodes littéraires qui nous sont habituelles, ou par l’imprégnation d’un style qui ne nous est pas propre mais qui survolte notre intellect dès lors qu’on souhaite se l’approprier.

 

Ne traitez pas les idées neuves comme des OVNIS

« Même quand vous inventerez, ayez des points de repère dans la vérité des choses, mettez des circonstances et des alentours pris dans la vie réelle et qui vous aideront à traiter le sujet ».

Il est certain que l’invention ne surgit pas de nulle part, et que notre imaginaire doit trouver plusieurs points d’ancrage dans notre quotidien. On s’appuiera avec bonheur sur des choses concrètes, parlant au lecteur, pour développer des thèmes novateurs ou pour le moins abordés de manière originale. En lisant, on se ressource et on engrange de l’expérience, comme dans n’importe quel autre métier où la pratique conditionne l’amélioration, et lire est l’une des pratiques du métier d’écrivain. Plongez-vous dans l’œuvre d’un Oscar Wilde, d’un Kazuo Ishiguro ou d’un Jim Harrison, la stimulation sera au bout, car vous aurez à cœur d’atteindre l’excellence qu’ils ont placée dans leur art. Je n’en cite que quelques-uns, sachant que les goûts de chacun les conduiront vers d’autres écrivains qui les inspireront.

Oser inventer c’est prendre le risque de déplaire

« Comme on ne raconte que pour plaire et pour convaincre, on manque le but, si on choque la vérité, la vraisemblance et l’expérience. »

On peut être en désaccord avec Albalat dans la première partie de sa phrase, car quantité d’entre nous ne cherchent ni à plaire, ni à convaincre, mais tout simplement à écrire pour, comme on dit, la beauté du geste. Certes, chacun d’entre nous espère une forme de  reconnaissance de ce que notre prose est en mesure d’apporter à notre lecteur, ça peut même être de l’ordre de l’affectif. Écrire pour se sentir aimé à travers l’exercice de sa passion peut être un moteur, mais il faut voir au-delà, sans quoi on se cantonne à une émotion plutôt que d’exercer son métier.

La seconde partie de sa phrase peut être observée avec intérêt, car en trois mots elle définit bien ce qu’il faut éviter si l’on veut demeurer crédible. Même dans un texte le plus délirant, la cohérence doit être de mise. L’invention contient un côté foutraque qu’il ne faut pas brider, tout en essayant de maintenir un tant soit peu l’équilibre entre littérature novatrice, ou pour le moins originale, et le fait d’enclore un message, un contenu.

Ce que, pour terminer cette leçon, on pourra dire sur l’invention, c’est qu’elle caractérise la pensée de l’auteur dans ce qu’elle peut avoir d’unique, si tel est le cas. Il ne faut pas se leurrer : on ne saura irriguer toutes nos phrases d’un sang neuf, mais parfois, à condition que l’on soit exigeant avec soi-même, on parviendra à trouver le petit plus qui fera qu’une formule exerce une séduction immédiate sur notre lecteur, qu’elle l’enthousiasme, le fasse rire ou le touche. Et c’est bien là, parallèlement à l’intérêt de l’intrigue, à la force de l’histoire, l’essence même de la littérature.

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