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20 bonnes raisons de devenir écrivain – l’art épistolaire : de l’obligation à la littérature

Sommaire

L’art épistolaire ne se limite pas à des correspondances ordinaires. De nombreux écrivains ont inventé ainsi un art de la conversation différée dans leurs écrits intimes. Cette 20 e leçon d’Antoine Albalat commentée par Frédéric Barbas, est la dernière de cette série. Il est étonnant qu’Albalat aborde un peu rapidement le sujet… esquivant ainsi de mentionner comment passer des correspondances dictées par la nécessité à l’écriture de pages littéraires destinées à des êtres chers. Il reste à l’évidence, bien des pages et des chapitres à écrire sur ce sujet.

 

Du style épistolaire : de l’obligation d’écrire à la littérature

Il peut paraître étonnant qu’Antoine Albalat termine son manuel sur l’art d’écriture par un cours sur l’art épistolaire. Voici son principal conseil :

« On conçoit l’enseignement du style en général, une démonstration de l’art d’écrire en vue d’une description, d’un article, d’un livre ; mais la lettre, dans le train ordinaire, n’est pas un genre voulu, un travail de choix. C’est une obligation. On a telle missive à envoyer, telle correspondance à faire, selon les hasards de la vie, parce qu’il vous arrive telle ou telle chose. En un mot, le but, le sujet, les raisons, les circonstances de la lettre sont éminemment individuels. Dans ces conditions, tout le monde s’en tire. Il n’y a qu’un conseil à suivre : lire beaucoup de modèles. La lecture seule des lettres apprend à en écrire. »

À dire vrai, après avoir lu ça, nous voilà fort peu avancés !

Pour être honnête, j’avais (notez l’imparfait, s’il vous plaît) du mal à voir l’art épistolaire autrement que la cinquième roue du carrosse du style… et j’ai bien l’impression que ce cher Antoine n’est pas loin, de son côté, si ce n’est de ressentir quelques réticences à l’évoquer, du moins ne pas y voir l’un des volets majeurs de son objet d’étude…

Tout au plus prêche-t-il le naturel opposé à « ceux qui écrivaient par système, comme les lettres de Voiture et de Balzac, surnommés les grands épistoliers de France. Ceux-là écrivaient de parti pris sur des riens, pour étaler leur esprit et amuser le grand monde. Ils faisaient assaut de galanterie, de recherche et d’affectation. »

Parvenu à la fin de cet ouvrage, je commence à bien connaître « mon » Albalat, à force de le « fréquenter » au fil des mois, et je sens que le mot fantaisie chauffait à blanc le bec de sa plume quand il a rédigé ces phrases. Pour des raisons qu’il ne me revient pas d’approfondir, lorsqu’ il cite Balzac, son encrier semble entrer en ébullition…

Sentez-vous comme moi que cette dernière leçon risque hélas de tourner un peu court, puisque « La lecture seule des lettres apprend à en écrire. » ? On trouve de trop rares conseils, dans ces ultimes pages dont Albalat dit lui-même qu’elles ne traitent que sommairement du sujet.

 

Quelques conseils pour ses correspondances ordinaires

La simplicité d’aller trop au but

Ceux-ci, tout de même : « Exprimez-vous simplement, non pas avec négligence, mais avec abandon. Il faut écrire comme on parle, à la condition de bien parler ; il faut même écrire un peu mieux qu’on ne parle, puisqu’on a le loisir de mettre de l’arrangement dans ce qu’on dit. »

Et encore : « Le début d’une lettre doit être brusque et sans apprêt. […] Il faut également que les fins des lettres soient simples, sans effort. »

Je vous l’accorde, ça reste malheureusement assez basique, sans doute parce que ce dont on parle n’incite pas aux grands développements. Malgré tout, il est intéressant de voir quelle idée Albalat se fait d’un début « sans apprêt » et de fins « simples, sans effort » (ce sont des lettres envoyées par Mme de Sévigné à sa fille) :

« Ah ! ma fille ! quelle lettre ! Quelle peinture de l’état où vous avez été ! »

Ou : « Je n’en ai reçu que trois, de ces aimables lettres qui me pénètrent le cœur ; il y en a une qui ne revient pas. »

 

Conclure avec élégance et politesse

Quant aux fins :

« Je suis à vous, ma très aimable, et je ne trouve de bien employé que le temps que je vous donne : tout cède au moindre de vos intérêts. J’embrasse ce pauvre comte : dois-je l’aimer toujours ? en êtes-vous contente ? »

Et : « Adieu, je vous embrasse ; mais quand pourrai-je vous embrasser de plus près ? La vie est si courte ! Ah ! voilà sur quoi il ne faut pas s’arrêter : c’est maintenant vos lettres que j’attends avec impatience. »

On peut retirer quelques enseignements de ces parties « stratégiques » d’une lettre d’autant plus quand c’est Mme de Sévigné qui y consacre son talent : si la simplicité annoncée par Albalat peut se constater (rien d’alambiqué ni de prétentieux dans sa manière de formuler les choses), on voit aussi une grande maîtrise du style, avec par exemple ce « je ne trouve bien employé que le temps que je vous donne », malgré la répétition de « que » ; c’est charmant et touchant ; qui plus est, il n’est pas évident de restituer en quelques mots une profonde affection assortie d’une retenue pudique.

Je ne sais pas trop dans quelle mesure il est profitable de s’appuyer sur de tels modèles, car il faut déjà posséder l’aisance nécessaire afin de prétendre soi-même à une égale suavité de ton, mais force est d’admettre, bien que s’agissant d’une littérature « autre », qu’elle réserve de belles pages, donc matière à réflexion pour s’améliorer.

J’écris « Je ne sais pas trop… », mais une piste lanternait dans un coin de mon esprit au moment d’aborder cette leçon : on pourrait éventuellement tirer bénéfice de la proximité existant entre les dialogues et le style épistolaire, du moins y vois-je des points de convergence. La démarche consistant à s’adresser à quelqu’un qui n’existe que dans notre imagination (le dialogue), et à une personne bien vivante mais existant surtout dans notre imagination au moment où on lui écrit peut solliciter des mécanismes intellectuels proches, d’où, peut-être, la possibilité que ces deux pratiques se nourrissent l’une l’autre, dans l’hypothèse où, parmi vous, certains auraient l’opportunité d’entreprendre une correspondance « à l’ancienne ».

 

La lettre littéraire : un art de la conversation écrite

Si la chose n’est pas à portée de timbres, la lecture d’auteurs connus dont la correspondance est demeurée célèbre pourra je pense constituer un excellent substitut, rien que pour tenter de comprendre comment leur esprit s’exerce dans ce cadre particulier : Charles Baudelaire, George Sand, Stefan Zweig, Henry Miller, Karen Blixen, Jean Cocteau, Marcel Proust, François Mauriac, Franz Kafka, Simone de Beauvoir… Je n’ose me fendre d’un « etc. » qui donnerait l’impression qu’on relègue celles et ceux dont le nombre interdit que je puisse tous les citer au rang de « plumes de second ordre », ce qui n’est évidemment pas le cas. Chacun ira vers la source qu’il estimera la mieux à même d’étancher sa soif d’apprendre ce que l’intimité révèle du talent, et inversement.

Ces confessions intimes fournissent par ailleurs la matière aux romans. Plus encore, la lettre a su trouver sa place dans le genre romanesque. Les romans épistolaires survivent même à l’époque où l’e-mail se substitue aux courriers postaux. Ces correspondances suivies permettant de reconstituer des pans entiers d’une histoire sur un mode intimiste. Le procédé est habile pour l’auteur : en employant le ton de la confidence, il véhicule cette belle intention de n’écrire exclusivement pour son lecteur, comme s’il était choisi et préféré à tous les autres. La lettre ne s’adresse en effet qu’à un seul destinataire. Cette priorité et cette attention augmentent la considération que l’auteur porte à son lecteur. Il induit des sentiments de connivence, de complicité voir de l’affection.

Alberto Manguel, dans son journal d’un lecteur explique que : « La lecture est une conversation. Des fous se lancent dans des dialogues imaginaires dont ils entendent l’écho quelque part dans leur tête ; les lecteurs se lancent dans un dialogue similaire, provoqué par les mots sur une page. » Citation que j’associe à celle-ci en raison des plaisirs que nous partageons lorsque nous conversons :

« Le plaisir est une chose mystérieuse et celui que l’on titre d’une conversation réussie tient à fort peu : un climat de connivence soudain établi, une confidence inattendue, un sourire volé à la dérobée… C’est peu et c’est beaucoup. (…) Notre conversation n’est jamais si à l’aise que lorsqu’elle délaisse les sentiers battus pour vagabonder à sa guise, légère, libre, évanescente. (…) Fondée sur le principe de considération réciproque, savante, mondaine ou populaire, la conversation suppose élection et reconnaissance : elle tend donc toujours à féconder un imaginaire… » Extraits de la conversation, un art de l’instant. Ed. Autrement.

Dommage qu’Antoine Albalat n’ait pas développé davantage son propos.

Il est temps maintenant de cacheter l’enveloppe, laisser Albalat conclure, et qu’à l’ombre à la fois sévère et bienveillante de la montagne de mots qu’il nous lègue nous soit offert le frisson de la créativité : « Rien ne déplaît comme l’envie de vouloir briller. Les lettres ne doivent pas être surchargées d’ornements ; il suffit qu’elles soient correctes, écrites sans périodes ni cadence, avec la facilité du cœur. Laissez venir tout seuls l’esprit, la saillie, la grâce, l’anecdote. »

 

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