Brady Udall , auteur américain à découvrir, Lâchons les chiens : cette littérature qui nous effare. Onze nouvelles pour planter un univers.
On les connaît tous, ces auteurs d’outre-Atlantique qui nous ont compté leur pays de manière brillante, dans ses dérives comme dans ses magnificences. Ceux qui ont su façonner un rêve avec lequel on s’endormait, entrevoyant un univers parallèle à ce que nous vivions.
Des Kerouac, des Harrison, des McCarthy, des Auster…
Sans trop m’avancer, je pense que Brady Udall fait désormais partie de cette bande-là.
L’écrivain dont on cause
Il me faut vous parler de l’ami Brady Udall.
J’emploie le terme ami, car à le lire, il donne l’impression que nous pourrions être pote avec lui.
J’estime qu’on entendra parler de lui, dans les décennies qui viennent.
Son style doit sûrement contribuer à ce sentiment : tout l’art d’une fausse simplicité contenu dans onze nouvelles. Rien n’étant plus compliqué que d’être simple, je lui voue une admiration immédiate pour ça avec dressage de totem à son effigie, chose assez rare de ma part. Je n’ai pas trop de place dans le jardin.
Que nous raconte-t-il, ce sacré Brady ? Une Amérique plus ou moins désenchantée, à travers la trajectoire de sublimes perdants, de magnifiques seconds couteaux en lutte contre un destin noir.
L’humour pour réchauffer des idées glaçantes
Si tout ça n’était pas traversé d’un humour vif nous prenant au dépourvu, Lâchons les chiens serait désespérant. Mais non. Udall cultive une sorte d’espoir revigorant, même quand tout part en vrille, que les ennuis se font insistants et les jours plus durs qu’un rocher :
« On travaille toute la journée, on transpire tellement et on se crève tellement le cul qu’on n’a même pas le temps de penser. On bosse, on bosse, et quand on finit par lever les yeux, le soleil est presque couché et il est temps de rentrer. […] On arrive à la maison, on se prépare à dîner et même s’il ne reste plus qu’une boîte de chili ou de la purée instantanée, on fait le meilleur repas de sa vie. » (Il se soûle profondément et fameusement).
Des personnages écrits avec la simplicité menant aux complications
Ses personnages ne sont pas à proprement parler des losers : ils remorquent dans leur sillage un passé compliqué, ou se dirigent à pas traînants vers ce que leur existence pourrait leur offrir de meilleur. Ils sont dans l’attente d’une rime à leur vie, d’un signe leur indiquant quelle voie emprunter pour se sentir mieux.
Quand tout semble incertain, rien n’est définitif, semble nous dire Udall.
Des phrases qui valent le détour
Vous serez étonnés des petits trésors ordinaires que ses nouvelles recèlent, j’en prends le pari.
Plongés dans la poussière d’un pays qui se lasse de tout, on respire difficilement d’un texte à l’autre, preuve d’un talent brut imposé par des images frappantes :
« Il crevait tellement de chaleur qu’il lui semblait que ses vêtements pourrissaient sur lui. » (Lâchons les chiens).
« Un courant glacial d’air conditionné m’enveloppe et j’ai le sentiment de trébucher sur le seuil du paradis. » (Raid nocturne).
D’un jeune cowboy pensif et enragé par un drame à un robuste Indien portant une chèvre mais se prenant d’affection pour un chien, une vision inconfortable et à peine concevable se dessine sur le monde.
Un regard clair sur la noirceur
Chez cet auteur, la lucidité se cogne aux montagnes ou à un immense tas de bois, s’assèche dans les plaines harassées de soleil, mais au final, même cabossée, demeure intacte. Le regard posé sur des paumés qui auraient pu réussir possède plusieurs tonalités, rien n’est blanc ni noir.
Ne cherchez pas l’art de la chute, chez Udall : ses fins sont toutes des portes ouvertes sur ce que personne n’espère, vers des ailleurs qui dès qu’on les évoque sont des cicatrices.
Sans rien réclamer d’autre que le droit de vivre de la moins moche des façons, la tribu de Brady s’agite avec nonchalance, et subsiste dans cet oxymore. Il y a des regards brûlés de peine, dans ce recueil, et aussi quelques enthousiasmes aptes à gonfler notre cœur :
« Green est de ces types toujours sombres, graves, mais il a de temps en temps un sourire qui peut suffire à illuminer toute votre journée. » (La beauté).
L’amour en filigrane, la violence accessible, une nostalgie de ce qu’on n’a pas pu être, tout ça est contenu au fil des pages de Lâchons les chiens.
Des choix déroutants
Si ces thèmes peuvent sembler trop évidents, sachez que Monsieur Udall les réinventent : vous croyez tout savoir d’une âme indienne ? Un serpent dira comme un Blanc peut l’atteindre. (Le serpent).
Vous pensez que des gens qui nous sont différents craignent l’inattendu et ne nous apportent rien ? Un regard par une fenêtre vous fera comprendre le contraire. (Le contraire de la solitude).
Vous imaginez qu’un mormon est retiré tout d’un bloc dans ses certitudes ? Udall vous dira comment il peut en être autrement.
Il y a chez Udall plein de possibilités, comme celle de nous montrer du doigt un sentier où nous n’aurions pas songé nous engager. Il est rare qu’un écrivain désigne autant de directions, brisant notre boussole. Et pourtant, tout égarés que nous serons, les chemins empruntés nous deviendrons familiers.
Parce que là où des sentiments cèdent, des ressources jaillissent. Ainsi Brady nous explique-t-il son Amérique, celle où on va chasser des cerfs, trouver une amie, jouer un basket crépusculaire, et presque tuer son passé.
Nommer la pudeur pour se dévoiler
Lorsque dans une nouvelle d’une page et demie tout est dit (La perruque), que l’émotion s’accroche à chaque ligne, on ne doute pas du talent d’un homme. Vous l’avez compris, on retirera de la lecture de ce recueil, outre la satisfaction d’avoir accès à ces pépites, une véritable leçon d’écriture. Sans chichis. Mais avec une méthode restituant une réalité étrange, celle des faits divers qui nous étonnent, celle de ce que la vie nous refuse, et après quoi on court.
Celle dont on arrache le voile pudique.
En s’agrippant à ce que les heures ont de morne, Udall leur confère un éclat particulier sans d’autres artifices que de transcender les ficelles du métier, c’est pourquoi il faut le lire.
Quand vous saurez pour quelle raison les chiens ont été lâchés, vous comprendrez qui est Udall. C’est le type que Brady essaie de tenir en laisse. Et qui n’y parvient pas, pour notre plus grand bonheur.
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