Première partie : découvrez les rouages de votre propre écriture à travers les récits de voyage
Qu’advient-il lorsqu’un voyage nous construit en tant qu’écrivain ? En quoi un dépaysement parvient-il à remodeler notre écriture ? L’inspiration circule valise ouverte, happant des souvenirs et des expériences au gré de nos destinations. De retour chez soi, les fermoirs de ce curieux bagage à peine débloqués, le couvercle cabossé par les idées pressées d’en jaillir se soulève sur ce qu’on a vécu. Alors l’écrivain-voyageur voit s’élever des terres qu’il a traversées, irriguées de son imagination fertile, une récolte dont il ne soupçonnait pas qu’elle puisse être si différente de sa production habituelle. Car voyager c’est aussi partir de soi, vers soi.
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Redécouvrez votre écriture,
partez à l’aventure !
Aller sur la lune, ce n’est pas si loin. Le voyage le plus lointain, c’est à l’intérieur de soi-même. Anaïs Nin
Le voyage c’est aller de soi à soi en passant par les autres. Proverbe touareg
Le territoire qu’on a en soi
Votre propre écriture est peut-être le plus grand territoire qu’il vous reste à découvrir, et vous n’aurez probablement pas assez de toute votre vie pour le parcourir. Vous parviendrez toutefois à en explorer bien des recoins si vous n’êtes pas de ces plumes frileuses, guère aventureuses. Car on évolue peu en se blottissant entre les frontières de son confort intellectuel. Un voyage, en même temps qu’il bouscule nos habitudes, stimule chez celui désirant en faire le récit des ressources dont la plupart du temps il ne se savait pas détenteur. Franchir des douanes peut modifier la géographie d’un esprit soumis à quelques glissements de terrain d’ordre philosophique, culturel, artistique, etc., le tout déployé dans les paysages les plus divers.
Changez d’air pour un renouveau littéraire
Notre pensée s’abreuve en partie de ce qui l’entoure, de ce dont un décor l’impacte, des vibrations se dégageant d’un relief, de la mémoire contenue dans les vestiges d’un bâtiment, et bien sûr des personnes qu’on côtoie. Si on évolue en permanence dans le même environnement, qu’on y est habitué au point de ne plus le voir, de ne plus être à l’écoute de ce qu’il a à nous « dire » — mais peut-être nous a-t-il déjà confié tous ses secrets — il ne provoque en nous plus aucune surprise, ne déclenche rien de neuf. Changer d’air est un moyen d’apporter un souffle frais à notre littérature pour qu’elle se régénère. Néanmoins, si ce n’est pas dans ce que notre quotidien a d’immuable que se niche la capacité à se réinventer, la stabilité qu’il apporte à notre processus créateur demeure précieuse, pour ne pas dire indispensable.
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Déplacements avec intérêt
Aller observer sur place ce à quoi on a accès depuis chez soi, quel intérêt ? Un bon magazine ou quelques clics, et bien peinard dans son fauteuil on contemple les merveilles du monde. Il est vrai qu’on peut obtenir un bon texte en décrivant, d’après une photographie, une lande sauvage un jour de tempête. Mais la dépeindre cerné par une bruyère dont nous sommes devenus l’unique racine alors que le vent qui la transperce ébouriffe nos cheveux et fait claquer les pages de notre carnet de moleskine quand, le stylo à la main, nous vacillons entre des rochers gris… c’est autre chose. Ces mots tumultueux griffonnés à la va-vite, malhabiles peut-être, comme jetés sur le papier par des rafales, possèderont l’intensité de l’authenticité. L’imprégnation directe de certains spectacles gifle notre imagination au point que seules des phrases écrites dans l’urgence permettent d’en restituer la brûlure ressentie. Même en le retravaillant, ce moment conservera l’énergie de ce qui a été saisi sur le vif. Et cette vigueur-là ne s’apprend pas, elle se vit.
Faites le portrait de votre voyage
Celui qui voyage sans rencontrer l’autre ne voyage pas, il se déplace. Alexandra David-Néel
Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui. Montaigne
Les visages du voyage
Un voyage, c’est aussi celui qu’on accomplit en discutant avec les personnes qui sont les voix du pays où l’on se trouve. Les femmes et les hommes qui ont poussé là, mais aussi les déracinés s’étant réimplantés dans une terre d’accueil. La vision intérieure et le regard extérieur, qui en se croisant quadrillent des territoires et nous les rendent moins « étrangers ». Chaque être vivant au cœur des lieux que sont nos découvertes en est l’une des pulsations. Un écrivain-voyageur touchera d’autant plus son lecteur qu’il restituera avec justesse, mais aussi sensibilité, l’humanité des gens rencontrés. Ces voix, ces regards, ces battements de cœur, constituent les visages de nos voyages, et à travers eux, la planète parle.
L’ancre bien encrée de Titouan Lamazou
Aussi, quand un marin lève l’ancre pour mieux jeter l’encre au fil des flots avec à l’idée que le monde dont il a eu vent puisse se dévoiler, ça nous vaut un ouvrage absolument splendide. Titouan Lamazou nous offre dans Femmes du monde plus d’une cinquantaine de portraits de femmes qui ont leur mot à dire sur la vie en parlant de la leur. Des photos et de magnifiques peintures de l’auteur apportent à ce beau-livre une coloration unique. De la Corne de l’Afrique au Népal, de la Sibérie à l’Australie, la peau de ce visage de papier est pigmentée des nuances de tous ces témoignages. Qu’elles soient soldate ou chorégraphe, docker ou artiste de cirque, leurs paroles tracent des chemins dans notre esprit. À emprunter dès que possible.
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Laissez parler les autres pour que votre lecteur les écoute
Se situant dans l’échange, Titouan Lamazou paraît avant tout désireux de mettre en valeur ses interlocutrices et modèles. De son don d’observateur découle naturellement une forme de mise en retrait. Difficile de dire s’il s’agit de la meilleure façon de rendre vivant un récit de voyage, mais ne pas s’imposer au détriment du sujet que l’on traite semble aller de soi. Si la patte de l’écrivain ne doit pas disparaître derrière ce dont il parle, du moins est-il préférable qu’elle s’estompe afin de ne pas contaminer la réalité par une surcharge stylistique ou un discours verbeux. Ainsi l’auteur fait-il preuve d’un certain laconisme non affecté ; sans être aride, sa prose concise est un éclairage cru qui souligne des silhouettes délivrant leur part d’ombre.
Pour se faire une idée de l’ambiance de cet ouvrage, j’ai choisi au hasard(un texte valant l’autre, une trajectoire de vie une autre) un extrait de récit d’une de ces femmes, puis le commentaire de Lamazou qui le contextualise :
Haregua Miss Képi blanc
« Je suis serveuse dans ce bar depuis longtemps […] Et puis j’ai été élue Miss Képi blanc 2002 lors du bal annuel de la Légion étrangère et c’est bon pour attirer la clientèle… Il y a beaucoup d’étrangers ici, c’est vrai, mais ce sont tous des militaires. Je sais que certaines filles se sont mariées et sont parties en Europe avec leur mari, mais moi je n’en ai jamais connu. Ils ne viennent que pour se soûler et le plus loin où on m’a jamais emmenée, c’est dans une chambre d’hôtel au coin de la rue… »
« En ce mois de juin à Djibouti ville, lorsque la température redescend à un niveau insupportable acceptable, les rues du centre se mettent à ressembler à un décor de théâtre. Les palmiers se découpent dans la nuit étoilée. Sous les arcades sombres des façades coloniales s’allument et clignotent, les unes après les autres, les lanternes rouges, violettes ou orange des bars à putes qui se succèdent de manière ininterrompue. On dirait que tous les corps d’armée du monde se sont donnés rendez-vous à Djibouti. »
L’importance d’être absent
Rester, c’est exister. Voyager, c’est vivre. Gustave Nadaud
Pratiquez l’absence créative
Un auteur ayant écumé le monde a rarement moins de choses à raconter que celui ne s’étant jamais risqué hors des limites de son quartier. Ses anecdotes ne sentent pas le réchauffé tant elles sont variées. Certains des endroits qu’il décrit, on n’y mettra jamais les pieds mais l’entendre les évoquer est une façon d’en fouler le sol. Les cultures auxquelles il a été confronté, qu’il y ait adhéré ou non, qu’il s’en soit imprégné ou pas, sont autant de sources de réflexion. Et ces anecdotes, ces endroits, ces cultures sont une multitude de richesses qu’il éparpille dans son écriture. Sans opposer l’échotier des quartiers au conteur des ailleurs, on voit quels bénéfices un écrivain tirera de n’être pas tout le temps chez lui.
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De cet abandon qui comble
Pour un écrivain-voyageur, le voyage est un abandon permanent. Sur le départ, il quitte ses proches. Sur le retour, il se sépare de ceux qui le sont devenus, là-bas, dans tous les lointains de son existence. Allant de découvertes en retrouvailles, il laisse toujours quelqu’un ou quelque chose derrière lui. Mais ce qui pourrait paraître triste est pourtant la sève de sa littérature, et de permanent l’abandon devient relatif : quitte-t-on vraiment ceux à qui on consacre des livres ? Ceux à travers lesquels on vit soi-même ? Et tous ces lieux chéris que, faute de ne pouvoir les transbahuter sur nos épaules, on doit se résigner à ne pas emporter, on finit par en retrouver chaque pierre en nous. C’est ainsi que pour un écrivain-voyageur, l’abandon devient l’abondance.
Abondance de biens n’ennuie pas
Un écrivain-voyageur n’a d’autre projet que de partager le butin dont il dispose : les longs colliers de paroles ayant été ses rencontres et qui n’ont pas de prix, les couronnes de nuages, parfois rehaussées d’un éclat solaire, ceignant sa tête sous tous les cieux du monde, les bagues qu’ont formées les remous autour de ses doigts lorsqu’il les a plongés dans quelque fleuve envoûtant… Rien n’est en toc dans sa bijouterie textuelle, une richesse dont il ne fait étalage que pour captiver son lecteur. À vous de devenir un joaillier littéraire pour à votre tour faire scintiller vos textes de la brillance de l’inattendu et de l’émerveillement…
Livre cité dans cet article
Femmes du monde, Titouan Lamassou, Ed. Gallimard
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