Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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L’usage des mots

Sommaire

Le bon usage des mots dépend à la fois du choix, du contexte et de l’étendue de son vocabulaire. Cette combinaison est moins simple qu’il n’y paraît.

Il arrive, à l’oral comme à l’écrit, qu’on fasse de la surenchère afin d’imposer son point de vue. Mais le verbiage n’est pas la persuasion, et un mot n’en vaut pas toujours un autre. Présenter les choses sous le plus d’angles imaginables ne garantit pas que la personne à qui on les expose soit convaincue par l’un d’entre eux. Nos interlocuteurs et nos lecteurs ne sont pas des machines à trier. C’est à nous que revient de leur faire une proposition intellectuelle claire, nette et précise. Le bon angle, les bons mots, et rien d’autre, cela suffirait-il pour prendre du sens ? Selon les situations, la tendance qu’on a parfois à être trop sûr de soi ou la difficulté de faire l’apprentissage de certains mots, on va voir que tout n’est pas si simple…

A noter Voir la 1ère partie de cet article

Les mots affaiblis

Les mots du sultan

Les mots peuvent être affaiblis par les sujets qu’ils essaient de cerner ou les circonstances auxquelles ils sont confrontés. L’actualité dans ce qu’elle a de plus éprouvant nous rappelle à tout moment qu’il est presque impossible d’être inspiré  – sans même parler de paraître intelligent – quand on réagit à quelque chose d’horrible. Certains profitent pourtant d’avoir voix au chapitre pour chapitrer leur prochain. Afin de donner notre avis puisqu’on nous le demande, et que l’époque exige qu’on en ait un, le mâtiner de morale pour justifier la perception qu’on a d’un acte est monnaie courante. Alors, les mots ordinaires n’y suffisent plus, et s’il faut « grandiloquer », nous « grandileloquerons » ! Il n’est pas rare qu’en consultant quelqu’un, ce ne soit pas le sultan qui réponde… Peut-être personne ne se reconnaîtra-t-il dans ce malicieux jugement dont ma propre morale n’est pas exclue, mais à qui fais-je allusion, ici ?

Les mots dans le caniveau

Je parle du débatteur professionnel comme de l’éditorialiste reconnu ; de l’orateur cultivé aux élans de tribun comme de l’écrivain chevronné aux fulgurances littéraires ; mais aussi de l’homme de la rue bombardé expert le temps d’une interview express. On entend souvent lors d’un micro-trottoir se déverser dans le plus proche caniveau les déchets lexicaux du passant qu’on sollicite. Le degré d’orientation de la question posée par le journaliste et les coupes au montage déterminent en partie ce qu’il y a de recyclable dans le jugement arraché à la foule. C’est pourquoi même certains avis autorisés sont interdits d’antenne. Hélas, que l’on soit bref ou long on fait de beaux discours, dont la raison s’absente quand on est pris de court. Dans tous les cas, conserver sa force au verbe implique de ne pas céder à la faiblesse de se croire à coup sûr pertinent.

Des mots et des glouglous

On peut bien tenir le propos le plus sensé qui soit, utiliser les termes les mieux appropriés, la portée de ce dont on traite dépasse certaines fois la verbalisation qu’on peut en faire. Pourtant, un réflexe assez fréquent une fois prononcée une phrase comme « Je n’ai pas les mots » est de s’empresser d’en trouver malgré tout ! Ah, ces défis qu’on se lance, ces ressources lexicales qu’on espère dénicher comme si nous n’avions pas déjà exploré toutes les solutions pour décrire l’indicible, Lovecraft des émotions que nous sommes ! Mais avons-nous tort de tenter le coup ? De s’essayer à l’éloquence ?  Bien sûr que non, à condition de ne pas se noyer dans le verre qui, lorsque la coupe est pleine, nous paraît toujours à moitié vide. Glougloutons un peu…

Ces mots qui nous mettent en nage

Les mots baignent dans les faits, quand ils n’en sont pas la source – l’un n’empêchant pas l’autre lorsque le serpent se mord l’aqueux. C’est le cas pour l’écriture d’une histoire, où l’auteur tente que style et intrigue cohabitent sans que l’un nage dans le couloir de l’autre. Ainsi le vocabulaire peut-il être englouti par le tourbillon des événements, ou le récit être submergé par un raz-de-marée de mots. Cette recherche constante d’équilibre afin d’éviter le chavirage d’un roman ou d’une nouvelle, chaque écrivain se doit de l’atteindre. En n’oubliant surtout pas que si l’angle est le gouvernail, les mots sont les rames. D’où l’importance de soigneusement sélectionner ceux qui vous assureront de maintenir votre cap.

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Paupières closes sur regard neuf

 « Ce qu’il y a de plus important, c’est le plus difficile à dire. Des choses dont on finit par avoir honte, parce que les mots ne leur rendent pas justice – les mots rapetissent des pensées qui semblaient sans limites, et elles ne sont qu’à hauteur d’homme quand on finit par les exprimer. »

Préambule de Stephen King à sa longue nouvelle – ou court roman – Stand by me (Le corps), dans le recueil Différentes saisons. (1)

Les mots de fil en aiguille

On pourrait imaginer qu’à l’écrit, la couture entre mots et pensées soit plus fine que lors d’une conversation. Que leurs fils respectifs se nouent au plus près en n’oubliant aucun point. Débarrassé de la pression de l’oralité, du poids direct du regard d’autrui, notre discours aurait le temps de s’articuler autour d’idées soutenues par un vocabulaire mélioratif. L’écriture serait donc le moyen idéal de traduire avec le plus de justesse ce qui est en nous, avec la possibilité de supprimer ce bafouillage de l’écrivain que sont les ratures… Pas si sûr.

De l’ombre des mots aux mots en nombre

Même libéré de ses chaînes extérieures, notre geste verbal conserve des entraves réduisant son amplitude en raison de nos cadenas mentaux. Certains mots demeurent prisonniers entre les strates de nos connaissances et de nos savoir-faire, piégés par notre incapacité à les haler jusqu’où nos phrases en auraient le plus besoin. Coincés de bien des façons, ils risquent de devenir les poids empêchant à maintes reprises notre pensée de s’élever, et nous frustrer de n’en percevoir que les ombres. Posséder du vocabulaire en abondance est le meilleur moyen d’alléger notre style. Rien de paradoxal là-dedans : plus on dispose de mots, moins on se répète. Quelle folie nous pousse à en restreindre le nombre ?

Bienvenue dans la chorale des mots

C’est plus notre manque de volonté d’intégrer ces mots à notre prose que leur caractère inaccessible qui nous prive de leur précieux apport. Manque d’empressement à se les approprier parce que cela exige de s’aventurer vers des territoires sémantiques trop éloignés de ceux qu’on fréquente d’ordinaire ? Ou crainte de ne pas être à la hauteur de ce que l’acquisition cérébrale d’un substantif suppose ? Car un mot se mérite. Il faut en apprivoiser le sens, l’étudier en profondeur, appréhender ses combinaisons potentielles. C’est du boulot. Comme d’introduire un nouveau chanteur au sein d’une chorale et d’être en mesure – c’est le mot ! – d’en comprendre la spécificité afin de saisir ce qu’elle peut apporter à l’ensemble.

Il ne faut pas confondre s’amuser avec un cadavre et jouer avec le feu.

En écriture comme en tout, la routine et le confort sont des paupières closes sur un regard neuf. La première chasse l’effort quand le second nuit à la découverte. Qu’importe le domaine, se montrer réfractaire à la nouveauté complique l’appropriation d’un outil jusqu’à se persuader de notre inaptitude à l’utiliser. Écrire est un jeu qui demande du travail,  aussi souvenez-vous d’une chose : quand on s’amuse, on ne travaille jamais tout à fait. Alors mettez-vous au boulot et ne tirez pas cette tête d’enterrement, bon sang !

(1) Différentes saisons, Stephen King, Éditions Albin Michel.

A noter Voir la 1ère partie de cet article

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Photo by Julie Ricard on Unsplash

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