L’harmonie des phrases ? Vous en avez sans doute une vague idée. Vous connaissez cette injonction « Variez la structure de vos phrases afin d’échapper à la monotonie ». Cette article vous apporte des précisions utiles quant à la proportion, l’équilibre, la logique de la phrase. L’objectif de rendre la lecture attrayante et de faciliter la transmission de vos pensées. L’harmonie est une notion importante dans la formation du style d’un écrivain.
Leçon 9
L’harmonie des phrases
« De même que les mots, selon leurs sons et leurs combinaisons, produisent une harmonie qui anime le style, de même la construction des phrases produit une harmonie générale qui domine le style et lui donne sa cadence, son allure définitive. »
Comment produire cet effet ?
Segmenter ses phrases
On sait l’écho qu’un mot peut délivrer dans notre esprit. Puissant par sa seule sonorité, il prend davantage de poids quand une bonne inspiration fait qu’on l’associe à un autre terme qui chacun les valorise. La phrase est autre, qui constitue un bloc au sein d’un paragraphe, et consolide le discours d’un auteur si elle est bien ajustée. Chercher le bon mot est tout autant affaire de goût que de hasard, tant le talent se révèle pétri d’incertitude. Bâtir une phrase requiert d’autres qualités, comme de prévoir de quelle manière on va boucler sa pensée et faire en sorte qu’elle empoigne la suivante.
Afin de tendre vers une efficacité maximum dans l’élaboration de ses phrases on peut, comme on opère avec les mots, les amener à se confronter. On a vu que pour les mots, selon le son qu’ils rendent, on pouvait les agencer de manière à créer une musicalité. On possède deux leviers pour structurer ses phrases : soit en leur sein même, en les segmentant en périodes plus ou moins distendues, soit en jouant sur l’alternance courtes/longues des phrases au cœur d’un paragraphe pour imprimer du rythme au texte.
Quand on doit structurer son texte, la phrase est le principal outil qu’il nous faut manier. Dans l’idéal, chacune d’entre elles doit constituer soit la rampe de lancement de la suivante, soit un contrepoids qui donne tout son équilibre à un paragraphe. Pour ce faire, Albalat parle de « la marche progressive des mots et des idées. » ; c’est quelque chose que l’on n’a pas toujours en tête quand, accaparé par le trottinement de nos pensées, on ne songe plus à les hiérarchiser, laissant une phrase s’échouer sur une autre sans rien créer de plus qu’une molle agitation, quand on croyait produire un bouillonnement laissant notre lecteur en pleine effervescence. Ce ne sera le cas que si l’on a une vue d’ensemble de ce que l’on veut écrire, et pour la concrétiser, lui donner un souffle, et varier ses phrases au possible :
« On ne doit pas plus adopter le style à longues phrases que le style à phrases courtes. C’est le mélange seul qui produit la variété. Rien n’est agréable comme de se reposer l’esprit sur des phrases brèves, après avoir lu des phrases majestueuses. »
La tête hors des mots
Il faut penser au confort du lecteur, à ce qu’il ne s’écœure pas dans l’engloutissement de phrases qu’il devra mâchonner sans fin, voire sans faim. Hors, ce lecteur, il faut le mettre en appétit. On peut être enclin à rédiger des phrases sans réelle saveur, oubliables, pensant que les suivantes, au parfum plus entêtant, rehausseront l’ensemble. C’est une erreur. On ne doit jamais succomber à l’illusion qu’une phrase puisse sauver l’autre. Il faut les concevoir comme des engrenages qui font tourner le récit, lui impulsant tantôt un train d’enfer, tantôt instaurant des plages plus paisibles. Albalat voudrait qu’on dispose quelques coussins dans notre prose, à juste raison : un esprit survolté en permanence finit par ne plus percevoir les informations qu’on lui délivre. Le flux propre à une phrase doit être calculé. Certains ruinent leur propos dans un flot de paroles qui a tôt fait de nous noyer. Le lecteur veut bien être emporté dans des remous littéraires à condition qu’il puisse y surnager. Il faut le maintenir la tête hors des mots.
Mettre un butoir à sa pensée
La phrase peut être une caresse ou un uppercut, selon que l’on veuille séduire ou chambouler son lecteur, mais voici comment Albalat la décompose : « Une période est une phrase partagée entre plusieurs membres (lesquels peuvent se subdiviser en phrases incidentes), et dont le sens complet est suspendu jusqu’à un dernier et parfait repos. » Décryptons : on peut plus ou moins moduler sa phrase en ayant par exemple recours à des incises (les incidentes) et l’enrichir d’un contenu qui s’adossera sur une conclusion dans tout l’aspect définitif que cela suppose. Il faut un butoir à sa pensée.
Équilibrer son écriture sans la rendre rigide
Structurer et articuler souplement ses phrases et ses idées
« Une phrase doit être bouclée, cadencée, bien tombante, bien proportionnée.
Si, dans un premier membre, vous avez mis deux ou trois épithètes, il faut, dans le second membre, en mettre également deux ou trois. Sans cela, le style a quelque chose de hasardeux, d’inachevé, une allure qui chevauche. »
Albalat pose cela comme une règle absolue à laquelle on peut objecter qu’il doit être possible, voire nécessaire, de faire quelques entorses. À défaut de quoi on pourrait tomber dans une « littérature-mathématique » digne d’une fameuse scène du film « Le cercle des poètes disparus » ; il est amusant de s’y référer : « Si l’on note la perfection du poème sur la ligne horizontale d’un graphique, et son importance sur la verticale, l’aire totale ainsi obtenue par le poème indiquera la mesure exacte de sa valeur. ». Le ridicule achevé de cette méthode n’est bien sûr pas à mettre en parallèle avec ce que propose Albalat, mais, bien que je partage avec l’auteur que l’écriture puisse être une science, on n’est pas obligé d’écrire sur du papier millimétré pour qu’une phrase restitue harmonieusement une idée.
Il faut évidemment que la phrase ne donne pas le sentiment d’être bancale, mais ce n’est pas toujours une balance dont on devra alourdir équitablement les plateaux (les membres) afin qu’elle trouve son équilibre. Il faut sentir ce que pèse une phrase quand on l’écrit, afin qu’elle ne tangue pas. Bien sûr, nous n’avons pas le cerveau comme un niveau de chantier, avec la bulle bien au centre. Mais on peut s’approcher d’une construction qui ne vacille pas en veillant à ce que les mots clos dans la phrase se renvoient un écho agréable. Tout n’est pas affaire de mesure quand l’émotion doit l’emporter ; on doit certes la canaliser, mais pas systématiquement la soustraire à des calculs savants. Il faut de la rigueur pour que l’harmonie apparaisse, c’est un fait indéniable ; seulement, on peut se permettre quelques envolées non calibrées, qui feront éclore des touches étonnantes dans notre discours. Et le lecteur ne demande rien de mieux que d’être étonné !
« Évitez aussi d’accumuler dans une même phrase des pensées qui n’ont pas assez de rapports entre elles et avec lesquelles on pourrait faire plusieurs phrases séparées. »
Albalat touche là un point important : le danger de la dispersion. On a une tendance naturelle, quand les idées nous viennent, à les jeter en grappes dans notre texte, supposant que cela l’enrichit. On verse alors dans le fouillis, dans l’imprécis. Autant que faire se peut, il est bénéfique de compartimenter ses pensées, sans sécheresse, mais avec discernement. Il est parfois malaisé de détacher une idée d’une autre, car on a tôt fait de jeter un pont entre les deux qui nous paraît les renforcer l’une l’autre. Il arrive que ce soit le cas, mais il faut se méfier des strates intellectuelles finissant par encombrer l’esprit du lecteur. La littérature exige de la continuité, quand l’entassement est à proscrire.
Le vocabulaire dans le sillage de la comète
« En résumé, c’est la proportion, l’équilibre, la logique qui détermineront a priori l’harmonie d’une phrase, et c’est en soignant surtout les finales qu’on obtiendra l’effet musical complet. »
On ne saurait mieux dire. La conclusion d’une phrase est comme la scène finale d’un film, elle peut laisser une empreinte marquante ou affadir l’ensemble. C’est cette note qu’il revient à l’écrivain de trouver, et d’y consacrer toute son énergie. On doit à chaque fois viser l’apothéose qui clouera une image forte, durable, dans l’esprit du lecteur. Soit qu’on termine sur un mot peu usité ou inattendu (ce qui ne pourra pas, en toute logique, se renouveler à chaque fois), soit qu’on utilise une formule choc, soit enfin une révélation qui, dans son sillage, entraîne tout comme une comète.
« Une phrase est une pensée principale. Pour être fidèle au sens, à la logique, à l’harmonie, il faut que les accessoires ne la diminuent pas et ne la fassent jamais perdre de vue. »
Quand Albalat parle des accessoires, on pourrait n’y voir que des colifichets qui pendouilleraient de manière inélégante et donneraient un aspect vulgaire à la phrase. Si ce n’est pas précisément ce que l’auteur exprime ici, on peut retenir le verbe « diminuer » et y voir, si l’on veut forcer le trait, le risque que la pensée soit dégradée — ou dénaturée si l’on veut être plus doux — par l’abus de ces fameux accessoires (on imagine qu’il peut s’agir des épithètes, des adverbes, et comme le mentionne Albalat, des parenthèses, à l’image de celle que je viens de commettre). Il y a une constante dans le discours d’Albalat, celle de mettre en garde contre la surcharge ; si un camion a un excédent de chargement, le danger existe qu’il finisse dans le fossé, soit le hors sujet pour un écrivain. Quand il écrit « Une phrase est une pensée principale. », il sous-entend bien qu’elle doit contenir un tout cohérent ne souffrant pas de ramifications qui auraient tôt fait d’en détruire l’essence même. Rien n’est facile dans l’écriture, mais la capacité à renoncer à son aspect superfétatoire est peut-être celle qui demande le plus de maîtrise à notre plume.
« On doit donc aimer l’harmonie, la rechercher, la cultiver, mais jamais aux dépens de la vie, du relief, de l’observation, de l’originalité. »
Soigner l’enchaînement de vos phrases pour ne pas borner vos idées
Si Albalat voit dans la phrase la poutre qui garantit à l’édifice littéraire toute sa solidité, avec ce que cela suppose de mots-rivets, il n’occulte pas le côté moins technique, en dehors des règles strictes permettant à un texte de donner sa pleine mesure. Si un cadre peut embellir un tableau, il n’en demeure pas moins que c’est l’histoire peinte qui attire le regard. L’imagination, la fulgurance d’une formule, l’idée dont la pertinence trouvera un écho chez le lecteur, tout cela fait — aussi — qu’une expérience de lecture existe. Bien qu’il faille verrouiller ses phrases pour qu’elles délivrent chacune leur vérité, il est certain que les rendre étanches condamnerait notre verve. On s’appauvrirait. L’harmonie des phrases, c’est peut-être que l’une répande une certaine résonnance chez la suivante sans pour autant empiéter sur son discours interne. Pas de la contamination, mais un apport subtil.
Quand Albalat souhaite insuffler « […] de la vie, du relief, de l’observation, de l’originalité. », il semble vouloir engrainer et arroser des plantes en pot, étrécies dans leur support, exubérantes dans leur croissance. C’est le paradoxe du théoricien s’extasiant devant le foisonnement du vocabulaire, lui conférant un temps plus de puissance qu’aux règles qu’il inculque… car conscient de l’importance du style dont son ouvrage est l’objet. Comme les célèbres formules que l’on prête à Flaubert ou à Louis XIV, on pourrait les modifier et consentir à Albalat cette variante : « La phrase, c’est moi. »
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