Première partie
On débute en tout. Pour tout auteur débutant, il s’agit d’un parcours artistique sans fin. De par les connaissances qu’il exige, des savoir-faire qu’on se doit de maîtriser, du métier qui chaque jour s’apprend. Des erreurs qu’on commet. Bien des choses font de l’avancée vers le point de bascule entre l’apprentissage de l’écriture et sa relative maîtrise est un vertigineux prolongement de la première phrase qu’un jour nous avons osé coucher sur le papier.
Exigeante, cette amante littéraire sera comblée à l’aune de nos audaces créatives. Indulgente, elle fera de ces balbutiements qu’on croyait extatiques les bases de nos fougues stylistiques à venir. Cette introduction étant trop belle pour qu’elle n’en reste qu’à ses préliminaires, je vous propose d’aller plus avant dans cette réflexion sur l’art de se penser, enfin, en écrivain mature…
L’expansion du cosmos littéraire
Quand un écrivain parle de son art, il est toujours profitable de l’écouter. Même s’il donne parfois le sentiment d’être le centre de l’univers qu’il dépeint, les galaxies de pensées, d’aphorismes, d’idées qu’il fait scintiller en nous deviennent le Big Bang permettant l’expansion de notre propre cosmos littéraire. C’est en m’appuyant sur quelques-unes des météorites spirituelles traversant notre esprit en y laissant un précieux sillage que j’ai construit cet article. En espérant que lorsque vous passerez un bon coup de balai pour disperser la poussière d’étoiles de mes mots, il en restera d’infinis grains afin d’ensemencer votre désir d’écrire.
« Qui sait écrire ? C’est se battre avec l’encre pour se faire entendre. »
(Jean Cocteau en verve – Pierre Chanel – Éditions Horay, groupe Albin Michel)
Salissez d’encre vos gants de papier
Êtes-vous prêt à vous battre avec l’encre pour que votre voix intérieure porte au-delà de votre esprit ? Je veux dire, vous sentez-vous désormais suffisamment rompu à ce Noble art voyant le poids plume quitter enfin la salle d’entraînement pour livrer son tout premier combat sur le ring où il faudra s’attendre à être mis dans les cordes par les critiques ? Savoir écrire, c’est montrer aux autres de quel cuir nos gants de papier sont fait, c’est le courage d’admettre que les premiers temps notre style sera trop brouillon, le déplacement de nos idées trop lent pour terrasser notre lecteur.
Tenez les défauts en respect
La victoire de l’écrivain, c’est infliger un K.-O. à son lecteur avec autant de hargne que d’élégance. La hargne pour tenir en respect les plus féroces défauts assaillant un auteur débutant : la croyance du talent palliant le manque de travail, la certitude d’avoir raison sans avoir écouté les autres, se satisfaire de l’imprécision en songeant que notre habileté empêchera qu’on la remarque, la commodité d’écrire au fil de l’eau en feignant d’ignorer qu’un manque de cap finira par y noyer notre histoire. Et cent autres vilaines facilités qui toutes, isolées ou réunies, sont les défauts dans la cuirasse de l’enthousiasme de qui débute.
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La danse du ring
L’élégance s’élabore dans le ballet des refus qu’on oppose à nos faiblesses. On interdira à un paragraphe d’être content de lui-même quand se croyant valser c’est en claudiquant qu’il tournera en rond. On empêchera telle phrase de se voir virevolter là où le tournis de vains mots en fera tituber le sens. On interrompra un paragraphe convaincu d’accomplir un entrechat des plus aériens alors que d’une ligne à l’autre adjectifs et adverbes s’entrechoquent avec lourdeur. Puis, quand tintera la cloche de boxe marquant l’arrêt de cette cavalcade textuelle ô combien désordonnée, on pourra esquiver les mauvais coups réservés au néophyte. Et, plein de hargne et d’élégance, remporter son premier combat.
« Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne »
(La retraite sentimentale – Colette – Éditions Mercure de France)
De la nitroglycérine dans l’encrier
Entre autres choses, on cesse d’être un auteur débutant quand on admet que la force des mots n’est pas dans leur singularité. Utiliser un vocabulaire étant le plus souvent absent des conversations courantes, c’est manier des encriers remplis de nitroglycérine avec les tremblements de qui n’en a pas l’habitude : ça peut nous péter à la gueule. Car soyons honnêtes : qui n’a jamais eu un jour la tentation d’écrire au-dessus de ses moyens lexicaux du moment ? De l’avoir, et d’y céder bien sûr. C’est humain, et pas forcément prétentieux, du reste. Simplement, si on ne s’est pas mis un mot en bouche le nombre de fois nécessaire pour qu’il apparaisse naturel lorsqu’il surgit dans notre prose, cela se sentira. En quelque sorte, il ne sera pas légitime dans la phrase dont on a voulu à toute force qu’elle l’accueille.
La ronde de l’initié
Le pire est que la plupart du temps, on le fera non pour briller, mais afin de ne pas paraître trop terne. Peut-être aussi pour essayer de débloquer le verrou nous interdisant l’ouverture d’un sérail littéraire fantasmé. Une coterie ou quelque initié au verbe entre tous règnerait en maître sur une assistance gouvernée par le paraître. Dites-vous une chose pour vous dissuader d’écrire un jour un mot dont vous manqueriez d’assurance si vous deviez l’employer à brûle-pourpoint au cours d’une discussion. Et ce sans bénéficier du paratonnerre qu’est le recours au dictionnaire – les foudres de la moquerie s’abattent sans ménagement sur qui les provoque. Dites-vous ceci, donc : faire partie d’un cercle, c’est risqué de tourner en rond !
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Les grignotis de l’horloge littéraire
Dans la phrase de Colette apparaît en creux ce qui vous vaudra des éloges si jamais vous parvenez à accomplir cette espèce de tour de magie qu’elle suggère de réaliser. Ce que la simplicité peut révéler d’extraordinaire d’un style se trouve précisément dans la dissimulation de ce qu’il a de compliqué. Vous et moi savons pertinemment que l’horloge littéraire recèle des rouages d’une incroyable complexité. Si les mots qu’elle indique sont toujours ponctuels au rendez-vous du talent, s’ils donnent l’heure juste des paragraphes qui sonnent bien, et si votre histoire s’organise en un parfait tour de cadran, c’est grâce à la minutieuse élaboration du mécanisme qu’elle cache. Tout juste celui qui la consulte perçoit-il le tic-tac de sa ponctuation, mais même ces grignotis n’en rendent que meilleur le silence où baigne le lecteur.
(Aphorismes – Karl Kraus – Éditions Mille et Une Nuits)
La minutie comme rythme de la perfection
L’erreur fréquente lorsqu’on débute : penser qu’on dispose de suffisamment de temps pour parfaire une phrase… quitte à en perdre énormément. Une phrase bien formulée ne nécessite pas d’être idéale du premier coup. Cela ne l’empêchera pas de le devenir par la suite. Il faut veiller qu’elle ne constitue pas un frein à l’écriture de la suivante. Là où l’amateur traque le parachèvement instantané, l’écrivain aguerri privilégie dans un premier mouvement la rigueur au perfectionnisme. Ce n’est pas un aveu d’échec, mais la démonstration d’une préparation minutieuse rythmant l’épanouissement d’une phrase.
Le squelette du génie
Être rigoureux, c’est offrir un écrin solide à son imagination. Cela permet notamment de poser le cadre de sa phrase. Son essence est assurée d’être préservée dans cet espace délimité qu’aucune scorie ne viendra altérer. Elle ne sera certes pas formellement inattaquable sitôt écrite, mais son squelette lui assurera un développement digne du résultat final escompté. Le plus doué d’entre nous ne réussit qu’à la marge à produire d’emblée un « assemblage magique » de mots tels qu’ils sembleraient jaillir de notre esprit dans un tourbillon d’étincelles. Prenez votre temps d’être génial.
Prendre de vitesse le débutant qui est en vous
Autre faute de débutant : se persuader de l’inaltérable permanence d’une brillante idée. L’exploitation immédiate d’une pensée au moment où elle nous vient garantit d’en graver sur le papier ce qui en fait la pertinence. Si on ne l’expose pas même brièvement, rien ne nous assure qu’on retrouvera l’entièreté de son potentiel. Exprimée trop tard, c’est-à-dire si on n’en a pas tout de suite retenu la substance, le risque de déperdition est grand. En ce sens, le « Écrire comme si l’on écrivait pour la première et la dernière fois » de Kraus peut aussi résonner comme : écrire tout de suite comme si vous ne pouviez plus le faire plus tard. Se hâter intelligemment est la technique qu’a le professionnel pour prendre de vitesse le débutant.
« Le talent, c’est une question de quantité. Le talent, ce n’est pas d’écrire une page, c’est d’en écrire trois cents. »
(Journal, 1887-1910 – Jules Renard –Éditions Robert Laffont)
Ces écrivains qui vous envient
Vous venez d’écrire une page. Avec le peu de place que l’ego laisse à l’objectivité, vous la jugez satisfaisante, voire d’une qualité que des écrivains installés vous envieraient probablement. Vu la médiocrité de certains plumitifs à la mode, c’est un constat que vous estimez plus lucide que prétentieux. Après tout, on ne compte plus les génies méconnus. Peut-être parce qu’ils ne sont pas si nombreux pour que cela vaille la peine de les dénombrer, vous souffle une petite voix rabat-joie dont vous ne tenez pas compte. Cette réflexion ne va pas dans le sens de l’artiste incompris que vous êtes pour l’instant.
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La perfection reproductible
Aussi contournez-vous ce raisonnement logique vous empêchant de rêver en rond en vous projetant en pensée vers un destin littéraire glorieux sur la seule base de cette page – allez, osons le mot – parfaite. Pour vous, il est impossible que vous ne réussissiez pas à reproduire ce petit bijou d’écriture. Il vous apparait même inconcevable qu’à partir du moment où vous êtes parvenu à venir à bout d’une simple feuille de papier avec un certain brio, rien ne vous empêche de réaliser de nouveau ce travail certes exigeant – ça vous a tout de même pris quelques heures (bon, quelques jours) –, mais on n’a rien sans rien. Donc, vous voilà presque écrivain.
Les oyats de l’écriture
Ce « presque », selon le critère énoncé par Jules Renard, est de 299 pages. Aussi abouties que celles que vous venez de produire, cela va sans dire. Ah oui quand même ! C’est en tout cas ce que je me serais exclamé à votre place, si vous voulez bien me permettre de m’immiscer une fraction de seconde dans l’esprit de qui découvre qu’une goutte d’eau ne fait pas l’océan. Qu’il va en falloir des flots d’imagination avant, qu’enfin, les vents contraires présidant à la dérive d’un auteur en herbe le fassent s’échouer sur un rivage accueillant. Où, seulement, finiront par s’enraciner les oyats de son écriture. D’ici là, souquez ferme, on ne devient pas écrivain sans ramer !
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