Combien caressent le rêve d’écrire et atteindre la renommée, les grands honneurs, le succès, la popularité ? Tout ça grâce à l’écriture. Facile, entend-on.
Ceux qui écrivent réellement savent que, d’un côté, on a l’image valorisante de l’auteur dédicaçant à tour de bras son dernier succès dans un prestigieux Salon du livre, alors que de l’autre, la réalité de ce que cela exige pour que ça ne demeure pas une éternelle fiction. Parmi les personnes adorant noircir du papier pour inventer des histoires, combien sont celles s’en racontant à elles-mêmes au sujet de l’écriture ? Ce grand écart intellectuel est parfois douloureux pour qui pense que l’ego est un muscle et la technique, un talent…
Portrait de l’auteur entre rêve et réel
L’euphorie mise en question
Il est important de se dire que l’on est capable d’acquérir l’aisance d’un auteur dont la virtuosité littéraire force notre admiration. C’est stimulant. Voire euphorisant quand on estime y être parvenu. Du moins, si notre impression est confirmée par des retours très élogieux autres que ceux de notre mère ou de quelqu’un nous devant de l’argent. Si jamais on ne suscite qu’un intérêt tant poli que prudent de la part de gens ne nous étant ni proches ni redevables, il est permis de remettre en question la vision un peu trop optimiste que l’on possédait jusqu’alors de nos qualités qu’on pensait innées… et dont on finit par comprendre que sans travail elles resteront embryonnaires.
Mortifiés, incompris, maudits !
Une chose m’étonne : la propension qu’ont certain(e)s de se boucher le nez quand on dit qu’écrire est un métier ; vous leur enverriez un baquet de matière fécale au visage qu’ils n’en seraient pas davantage mortifiés ! Les génies incompris, les poètes maudits et tutti quanti, en résumé tous ceux ne jurant que par une écriture « pure », ont des rictus horrifiés à l’idée qu’elle soit souillée par la vulgarité de l’apprentissage. Totalement décalée de la réalité, cette perception de ce qu’est le travail d’écrivain est souvent faussée par l’image romanesque d’un bohème, plume à la main, baigné de la lumière de l’aube passant par la lucarne de sa petite chambre située sous les toits. Comme disent les philosophes et les psychanalystes quand ils veulent faire leur intéressant, et moi avec eux, c’est parce que « le réel fait obstacle » qu’on y substitue un imaginaire idéalisé.
Que la lumière ne soit pas
Dans nombre de domaines, les processus visant à s’améliorer demandent le renoncement non pas au rêve, mais à certains de ses ancrages obsolètes ou fantasmés. Ainsi, de l’inspiration miraculeuse ne pouvant naître que du froid régnant dans une mansarde où un pauvre hère, un vieux plaid jeté sur les épaules, claque des dents devant sa page blanche. Au passage, on pourrait confondre le bruit de ses molaires s’entrechoquant avec celui d’une machine à écrire mécanique, ce qui fait qu’il serait possible de croire que le pauvret se tue à la tâche alors qu’il est juste en train de mourir d’hypothermie. Oui, j’ai bien précisé « machine à écrire mécanique ». Quoi, vous ne voudriez pas que cet écrivain aux traits blafards agonisant dans la lueur grise de son vasistas crasseux ait l’électricité pour brancher un ordinateur ou faire briller une ampoule de 100 watts, tout de même !
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Faire l’effort de croire en l’effort
LQSFTS (à une lettre près, j’avais un Scrabble ® !)
Hormis esthétiser d’une poésie lugubre la figure de l’auteur crève-la-faim, cet apport à un imaginaire collectif ne servira qu’à ornementer la légende de L’écrivain-Qui-S’est-Fait-Tout-Seul. Mais si, le fameux. Celui se devant d’être aliéné tout entier à son art dans l’élan fiévreux de la fulgurance créatrice débarrassée du poids d’atroces contraintes telles que les figures de style, la structure narrative, j’en passe et de plus abominables pour qui se refuse à admettre qu’écrire s’apprend. N’importe quelle représentation du dénuement matériel du romancier en herbe permettant son éveil spirituel ferait en fait l’affaire, pourvu qu’elle symbolise une dénégation des efforts indispensables à devenir un écrivain digne de ce nom.
Le rêve comme acceptation du réel
Heureusement, la plupart des auteurs débutants souhaitant franchir des étapes, méthode rigoureuse à l’appui, comprennent rapidement qu’elle n’est nullement un frein à l’enthousiasme, et surtout pas au rêve. Au contraire, mon cher Robert (je vous prie de m’excuser pour la familiarité avec laquelle je m’adresse à mon dictionnaire). Rêver n’est pas refuser le réel, mais s’en servir pour comprendre comment atteindre l’objectif de tout écrivain respectant son lecteur : écrire pour être lu. C’est-à-dire ? Attendez, j’ai le bout de la ligne en point de mire, on se retrouve dès que je l’aurai dépassée. Ah, déjà ?
Le liseron de l’univers
C’est-à-dire en ne négligeant pas de penser à soi par le plaisir qu’on prend à écrire, tout en étant tourné vers l’autre en songeant à ce qu’on souhaiterait partager avec lui. Soit le fruit du rêve éveillé se matérialisant en un univers façonné de nos mots soigneusement choisis. De nos phrases précieusement élaborées. De nos paragraphes patiemment ciselés. De nos chapitres ingénieusement structurés. De nos sous-intrigues diaboliquement entremêlées. De nos personnages habilement présentés. De notre chute imparablement amenée. Bon, attention quand même à ne pas vous faire piéger par le liseron du texte, j’ai nommé les adverbes…
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L’écriture, ce rêve accessible
Contradictions oniriques
Il n’est pas rare de vouloir mythifier l’écrivain bien au-delà de ce qu’il est ou représente. Et tout aussi fréquent, dans un subit réflexe égalitariste, de le jeter au pied de la tour d’ivoire qu’on lui a érigée. Comme si un esprit contradictoire avait ourdi sa déchéance en même temps qu’il le plaçait dans une position dominante. L’écriture est un rêve vers lequel on s’élève quand nos pensées s’abaissent à prendre de l’altitude. Les risques de chute se mesurent en Icare, et les chances d’Ascension en jours fériés. C’est un songe dans lequel les géants sont minuscules et où l’on culmine aux nimbus. C’est Gullété en hiver, des perspectives M.C. Escher, la troisième bosse du dromadaire, en cinq mots le bordel sur Terre. Mot (il en manquait un, soyez attentif, voyons !).
La place où l’esprit se feuillette
Après ce paragraphe prouvant qu’on peut écrire en rêvant à condition de raconter des histoires à dormir debout, venons-en à la place qu’occupe un écrivain : quelle est-elle au juste ? Comble-t-elle un vide ou crée-t-elle un espace ? Ne la considère-t-on enviable qu’en la jugeant inaccessible, ou bien monter sur le trône n’est pas le sujet, comme le dit le roi ? Qu’on le veuille ou non, une part du rêve associé au statut d’écrivain réside bel et bien dans cette place que la société lui réserve. Celle où il se montre ravi qu’on feuillette son esprit, que ses opinions jaillissent à livre ouvert dans les travées d’un magasin, que sa voix porte encore alors même qu’il s’est tu.
Ce qu’un livre dit d’un écrivain
Sans parler d’entendre son nom sur toutes les lèvres lors de la rentrée littéraire, le « simple » fait que son patronyme figure sur la couverture d’un ouvrage exposé sur le rayonnage d’une librairie dit quelque chose d’un écrivain. De sa persévérance comme de son talent, de sa chance comme de la mystérieuse façon dont ses mots l’ont provoquée. Ça peut signifier que le hasard a sa logique, celle empruntée par le songe à la réalité. Elle n’explique pas grand-chose, mais elle n’interdit rien. La compréhension d’un rêve n’est pas indispensable à son droit d’exister. De même que ne pas toujours savoir où ils mènent n’empêche pas de s’aventurer sur les chemins de l’écriture.
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Se noyer hors de l’eau des rêves
La créature sous le pont
Il se murmure qu’un très vieux pont massif relie les deux rives de notre subconscient, que sous ses formidables arches moussues bouillonnent des flots d’idées d’où émerge chaque nuit une créature de cuir happant l’air du temps et dont la bouche énorme se referme avec le bruit sec d’une couverture brochée… Non, ça ne se murmure pas ? Pourtant, c’est bien ce que je viens de faire. En tout cas, vous ne pourrez pas prouver le contraire sans m’avoir montré ce pont. Après tout, un livre n’est-il pas une créature imaginaire dans le corps de laquelle bat le cœur de l’écrivain ?
La vie en tranches de rêve(s)
Même s’il se trouve loin de la tête de gondole, si aucun ruban de couleur ne le ceint, s’il semble presque oublié, un bouquin n’est pas là par erreur. Il s’y trouve parce qu’un jour, quelqu’un a cru qu’il pourrait y être. Et peut-être surmontant la certitude que nul ne l’attendait, cette personne a estimé mériter, par son travail et son opiniâtreté, que les pages qu’il a remplies durant des mois, voire des années, soient finalement lues par des gens qu’il n’a jamais rencontrés. Même si notre existence ne se résume pas à devenir une tranche de plus sur l’étagère d’une bibliothèque, on prendra plaisir à s’interroger sans fin sur notre métier devenu rêve, nos rêves devenus métier…
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