La reconnaissance pour un écrivain est un baume pour son estime. Une rétribution plus grande que n’importe quel trésor.
Dans La gloire de mon père, le superbe livre de Pagnol, en abattant une paire de perdrix bartavelles, Joseph fait l’admiration de tous. Quel pourrait être l’équivalent de ce « coup du roi » pour un écrivain ? Un doublé critique et lecteur, le talent de l’auteur touchant chacun des deux en plein cœur ? Un compliment venant saluer une facette particulière de son écriture ? La reconnaissance d’un de ses pairs dont il révère l’œuvre ? Être considéré comme étant l’un des maîtres d’un genre précis ? Recevoir des éloges pour une technique qu’il redoutait ne pas complètement maîtriser ? Offrons-nous un petit plaisir coupable en effectuant un tour d’horizon des compliments dont nous serions ravis qu’ils récompensent nos efforts…
La relation en question
Les pensées solitaires
Bien qu’écrire soit par essence un acte individuel, celles et ceux l’accomplissant ne fonctionnent pas pour autant en vase clos. Notre monde intérieur est enclavé dans une réalité vers laquelle nous jetons régulièrement des passerelles pour nourrir notre prose, mais pas seulement. Parmi toutes les choses cernant notre travail d’auteur, il en est une dont le rapport direct avec notre écriture pourrait sembler détaché de la passion qui nous anime lorsqu’on s’attaque solitairement à un paragraphe. Pourtant, cette chose-là est une des composantes régissant notre relation aux autres : ce qu’ils pensent de nous. De ce que nous écrivons, en tout cas.
L’entité siamoise
Si l’on doit opérer un distinguo, on peut nuancer cette interrogation en se demandant quel impact l’émanation littéraire de notre personnalité a sur ceux en prenant connaissance indépendamment de qui nous sommes. Je laisse cependant les collèges d’experts (en un seul mot. Ah non, je ne pensais pas aux eunuques, pourquoi ?) trancher la délicate question de savoir si l’on doit dissocier l’auteur de son œuvre. « Suis-je ce que j’écris, et si oui, qui suis-je ? » fera peut-être l’objet d’un article déconseillé aux migraineux, mais en attendant, je vous propose de considérer que les critiques suscitées par un texte sont fondées sur une entité siamoise créateur/création dont la séparation n’est pas nécessaire à son analyse. C’est donc en tant qu’auteur indivisible que je vais me rendre sans me dédoubler au paragraphe suivant.
Qui est notre écriture ?
Comment les gens nous voient-ils n’est peut-être pas la question exacte s’agissant de notre personnalité littéraire. Si l’on me passe cette formule un rien audacieuse, « Qui est notre écriture ? » serait peut-être plus juste. Surtout, estime-t-on cette dernière digne d’éloges ? Si oui, lesquels ? En la matière, un écrivain aimerait que certaines de ses phrases fassent au minimum l’objet d’une monographie, et s’il est persuadé de posséder un talent rare, qu’un mémoire soit consacré à chacune d’entre elles. Étant donné que même l’ami le plus fidèle se hasarde rarement à de tels excès pour satisfaire notre ego, on se contentera donc d’un compliment qui, même s’il n’est pas dithyrambique, nous touchera par sa sincérité. Citrouille sur le potiron, nous voir juger à l’aune d’un auteur célèbre dote les louanges d’une saveur inégalable…
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D’Aragon à Duras en passant par Carrère
La déambulation musicale d’Aragon
C’est peu dire qu’on apprécierait de voir souligner la musicalité de la langue employée dans nos écrits en la comparant par exemple à ces deux extraits de Quatorzième arrondissement, poème imaginé et mis en mot sublime par Louis Aragon dans le recueil Les Poètes :
« Très tôt tes maisons s’aveuglaient
Je m’enfonçais dans tes façades
Les affiches de tes palissades
Avaient des loques et des plaies
[…]
La brume quand point le matin
Retire aux vitres son haleine
Il en fut ainsi quand Verlaine
Ici doucement s’est éteint »
Cette déambulation versifiée tintinnabule de l’écho de rues où la laideur est nostalgique et la tristesse à bout de souffle. On serait heureux de bercer de la sorte l’esprit de qui nous lit, en faisant chantonner nos paragraphes de toutes leurs phrases. Ceci en n’oubliant pas qu’une mélodie descriptive sonne avec d’autant plus de justesse qu’elle se teinte de notes sensorielles.
L’aridité du drame chez Carrère
D’Emmanuel Carrère, on aimerait qu’on nous prête sa façon d’installer une tension dramatique à l’aide d’un style d’une implacable sécheresse factuelle, comme dans L’adversaire, ainsi qu’en attestent les toutes premières lignes de cette effroyable histoire:
« Le matin du samedi 9 janvier 1993, pendant que Jean-Claude Romand tuait sa femme et ses enfants, j’assistais avec les miens à une réunion pédagogique à l’école de Gabriel, notre fils aîné. Il avait cinq ans, l’âge d’Antoine Romand. Nous sommes allés ensuite déjeuner chez mes parents et Romand chez les siens, qu’il a tués après le repas. »
On ne se remet jamais de cette introduction glaçante au cours des pages suivantes qui en entretiennent la charge émotionnelle où la stupeur le dispute au vertige de la lente construction d’un monstre ordinaire. Comment ne pas être flatté si l’on nous assurait d’être en mesure d’horrifier notre lectorat avec la même efficacité ?
Le bloc de ténèbres durassien
Entendre vantée notre capacité à aller à l’essentiel se teinterait d’une légitime fierté si la personne nous l’affirmant effectuait un parallèle avec l’écriture épurée de Marguerite Duras, telle qu’on la retrouve dans ce passage de La vie matérielle :
« Quand on écrit, il y a comme un instinct qui joue. L’écrit est déjà là dans la nuit. Écrire serait à l’extérieur de soi dans une confusion des temps : entre écrire et avoir écrit, entre avoir écrit et devoir écrire encore, entre savoir et ignorer ce qu’il en est, partir du sens plein, en être submergé et arriver jusqu’au non-sens. L’image du bloc noir au milieu du monde n’est pas hasardeuse. »
Des mots simples pour extirper l’écriture de sa gangue complexe, la matérialiser sous une forme physique frappant l’esprit en fin de paragraphe, donner à réfléchir à une partie du processus littéraire en quelques lignes : quand le minimalisme porte en lui les germes de l’expansion de la pensée.
Petites choses, inquiétude, vent clair et singularité
Le géant des petites choses
Dans l’hypothèse où en découvrant une de vos nouvelles on effectuait une filiation spirituelle avec ce géant des petites choses qu’était Raymond Carver, il va de soi que vous auriez de quoi vous en féliciter. Il s’attachait en effet aux problèmes les plus banals avec une telle maestria qu’il les transformait en séduisants tracas, en parures toxiques du quotidien. Ces éclats arrachés à la boue humaine brillent encore aujourd’hui du même feu que lorsque l’écrivain américain les jeta sur le papier, et ce pour la plus grande joie des amateurs d’une littérature qui ne mâche pas ses maux :
Debout sur les genoux d’Olla, le bébé nous regardait. Olla le tenait maintenant par la taille, alors il pouvait se balancer sur ses grosses jambes. C’était bien le bébé le plus moche que j’avais jamais vu. Tellement moche que je trouvais rien à dire. J’arrivais pas à sortir un mot. Je veux pas dire qu’il était malade ou défiguré. Non, pas du tout. Il était moche, c’est tout. »
Extrait de Plumes, tiré du recueil Les vitamines du bonheur.
Pour en finir avec Carver en ce qui concerne cet article, l’idéal est sans doute de citer la talentueuse Véronique Ovaldé : « Carver est moins minimaliste qu’ultra-percutant. Il en appelle à la justesse des mots. Il connaît le poids des choses. Le style Carver, c’est entrer, sortir et ne pas s’attarder. »
La maîtrise de l’inquiétude
Pour le cas où un de vos lecteurs soulignerait l’ambiance kafkaïenne de votre histoire, pas sûr qu’en vous lisant il ait mené une vie de château ! Pour autant, on peut être certain qu’il aura adoré les ressorts de votre intrigue comme autant de passages secrets narratifs. Même s’il se sera heurté aux portes closes de votre récit et aux formulaires d’admission compliqués nécessaires à pénétrer votre univers littéraire un rien étrange, il ne vous en tiendra pas grief, sachant que si la logique absurde n’est pas son fort, vous avez un faible pour elle…
« Avec vous, ce n’est pas facile, dit K., et il compara leurs visages comme il l’avait déjà fait à plusieurs reprises. Comment voulez-vous que je vous distingue ? Seuls vos noms vous différencient, sinon vous vous ressemblez comme… il hésita, puis comme sans le vouloir : — Sinon, vous vous ressemblez comme des serpents.
Ils sourirent.
— D’habitude on nous distingue très bien, dirent-ils pour se justifier.
— Je vous crois, dit K., j’en fus moi-même témoin, mais je ne vois que par mes yeux à moi et ils ne me permettent pas de vous distinguer. C’est pourquoi je vais vous traiter comme un seul homme et vous appeler tous deux Arthur. Si j’envoie Arthur quelque part, vous y allez tous les deux, si je donne un travail à Arthur, vous le faites tous les deux. Ça a pour moi le grand inconvénient que je ne puis vous utiliser à des tâches différentes, mais l’avantage que vous portez ensemble la responsabilité indivise de tout ce dont je vous charge. Comment vous répartissez le travail entre vous m’est égal, seulement vous n’avez pas le droit de vous renvoyer la responsabilité, pour moi, vous êtes un seul homme.
Ils réfléchirent et dire :
— Cela nous serait fort désagréable.
— Comment cela ne le serait-il pas, fit K. Naturellement cela ne peut que vous être désagréable, mais ce sera comme ça. »
Difficile de dire s’il s’agit d’une écriture en miroir, mais nul doute qu’un auteur comme Lewis Caroll aimerait bien passer de l’autre côté pour savoir ce qui s’y passe. Et si jamais on vous associe à l’un ou l’autre de ces écrivains, votre lecteur n’hésitera pas à boucler ses valises à la hâte pour entreprendre avec vous ce séjour en Absurdie !
Le grand vent clair de l’adolescence
Quel bonheur si l’on vous affirmait que votre évocation de l’enfance et de l’adolescence possède des similitudes avec l’intensité et la fragilité touchante d’Alain-Fournier dans Le Grand Meaulnes, n’est-ce pas? On gagnera donc à s’inspirer de ce qui suit :
« Lorsqu’il faisait noir, que les chiens de la ferme voisine commençaient à hurler et que le carreau de notre petite cuisine s’illuminait, je rentrais enfin. Ma mère avait commencé de préparer le repas. Je montais trois marches de l’escalier du grenier ; je m’asseyais sans rien dire et, la tête appuyée aux barreaux froids de la rampe, je la regardais allumer son feu dans l’étroite cuisine où vacillait la flamme d’une bougie.
Mais quelqu’un est venu qui m’a enlevé à tous ces plaisirs d’enfant paisible. Quelqu’un a soufflé la bougie qui éclairait pour moi le doux visage maternel penché sur le repas du soir. Quelqu’un a éteint la lampe autour de laquelle nous étions une famille heureuse, à la nuit, lorsque mon père avait accroché les volets de bois aux portes vitrées. Et celui-là, ce fut Augustin Meaulnes, que les autres élèves appelèrent bientôt le grand Meaulnes. »
Cet extrait, par son style remarquable de clarté dans tous les sens du terme, dit la méticulosité avec laquelle Alain-Fournier a écrit son chef-d’œuvre. La trompeuse simplicité du vocabulaire donne toute sa littérarité au texte, qui par touches légères plonge le lecteur dans une ambiance secrète et chaleureuse. La scène semble au départ figée dans cette sérénité familiale ressentie par l’enfant pour que, par contraste, on éprouve ensuite la puissance avec laquelle le grand Meaulnes s’est engouffré dans son existence. Si vous êtes assez doué pour opérer un tel basculement narratif, cela mérite bien un mistral de compliments, ou à défaut, une bise…
La singularité d’être soi
L’un des compliments qui, peut-être, vous fera émerger d’une production littéraire parfois trop uniforme est la reconnaissance de votre originalité. Qu’elle s’exprime à travers votre style, la façon dont vos personnages impriment dans l’esprit du lecteur leur empreinte atypique, ou la sûreté de votre maîtrise technique mise au service des situations les plus délirantes, on vous reprochera rarement de sortir du lot. Je tiens Amélie Nothomb pour une de ces auteures à même de me proposer un contenu surprenant d’un livre à l’autre, sans y voir d’autre ligne directrice que la volonté de prendre son lecteur au dépourvu grâce à l’ingéniosité des procédés littéraires qu’elle utilise pour happer l’attention dès les premiers mots de ses ouvrages :
« On ne sait rien de soi. On croit s’habituer à être soi, c’est le contraire. Plus les années passent et moins on comprend qui est cette personne au nom de laquelle on dit et fait les choses.
Ce n’est pas un problème. Où est l’inconvénient de vivre la vie d’un inconnu ? Cela vaut peut-être mieux : sachez qui vous êtes et vous vous prendrez en grippe. »
Les Catilinaires
« La première fois que je me vis dans un miroir, je ris : je ne croyais pas que c’était moi. À présent, quand je regarde mon reflet, je ris : je sais que c’est moi. Et tant de hideur a quelque chose de drôle. »
Attentat
Comme quoi l’originalité, source de surprise, n’est en rien le renoncement à la pertinence d’un propos. On vous saura gré de vous différencier d’écrivains disant la même chose que vous, mais eux avec des tournures d’esprit trop convenues et des mots usés précocement d’avoir été mal employés, ou pire, d’être mort-nés en raison d’une carence létale de fantaisie. En ayant la jeunesse de l’imagination, votre écriture ne prendra pas une ride !
Pour finir, une liste de 10 compliments clé en bouche pour déverrouiller vos paroles d’encouragement :
Après avoir refermé ton livre, j’ai pensé que :
Ton écriture était enluminée de talent.
Ton bagage technique m’avait fait voyager.
Ton humour avait donné des fossettes à ma lecture.
Ta verve était un courant traversant la rivière de tes mots.
Ton vocabulaire débordait joyeusement du dictionnaire.
Ton style tutoyait l’excellence pour mieux lui faire des confidences.
Tes dialogues savoureux me donnaient envie de te répondre.
Tes personnages avaient l’air étrangement familier des gens qu’on n’a jamais rencontrés.
Ta narration fluide rendait les pages délicieusement légères à tourner.
Ton art du suspense avait mis les battements de mon cœur en salle d’attente…
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