Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Le mot difficile dessert-il la littérature ?

Sommaire

Le mot difficile est souvent confondu avec un terme littéraire. La littérature aurait-elle a pâtir de sa richesse lexicale ? Est- ce là un procès du lecteur à l’auteur ? Rien n’est moins sûr comme l’explique dans cet article Frédéric Barbas.

Précédemment, je parlais du vertige éprouvé par le lecteur se penchant sur l’abyssale réserve de vocabulaire dans laquelle des écrivains très littéraires puisent afin d’illustrer leur pensée – sans que cela valorise de façon immanquable la profondeur de cette dernière, par ailleurs. Voilà bien un gouffre qu’il nous appartient de franchir. C’est donc à notre tour d’imiter George R. Stewart qui a un jour jeté un pont sur l’abîme (1)…

Lire la 1ère partie de cet article

Les divergences lexicales

Qui c’est qu’a commencé ?

Je vous l’accorde, la lecture de certains auteurs peut se révéler particulièrement épineuse. Bien que la pierre de Rosette version Académie française ne soit pas toujours indispensable pour décrypter leur prose, il s’en faut parfois de peu. Il n’est pas rare que cela se révèle dissuasif quand à travers une lecture/plaisir on recherche aussi une lecture/formatrice, si jamais cette dernière possède un côté excluant. Ça suffit en tout cas pour se braquer contre un auteur qui à nos yeux n’est pas à même de concilier ces deux aspects, sans qu’on s’interroge forcément plus avant sur la part de responsabilité de chacun. L’un mettrait-il de la mauvaise volonté à apprendre, l’autre à se faire comprendre ? Ou bien les « torts » sont-ils partagés ? En clair : qui c’est qu’a commencé ? Cette interrogation me ramène à une époque où je suivais de près l’actualité de la scène rock tendance décibels agressifs…

Quand tout se termine sur une fausse note

Il existait alors une expression consacrée, qui a traversé le temps jusqu’à aujourd’hui, quand les membres d’un groupe se séparaient : divergences musicales. Comme peuvent subvenir des divergences lexicales. Concernant les musiciens, personne n’était dupe, il s’agissait le plus souvent de luttes d’egos. Le guitariste voulait être mis plus en avant que le chanteur, le batteur désirait se voir davantage exposé médiatiquement que le bassiste, etc. Bref, tout ce beau monde s’engueulait copieusement, mais à l’heure de rendre des comptes aux fans une fois faite l’annonce du « split » de la formation, c’est la plupart du temps la diplomatie qu’on mettait sous les projecteurs, et les coquetteries langagières allant avec. Sauvez les apparences, elles peuvent resservir.

Le projet créatif

Dans tous les domaines, des « divergences artistiques » sont donc susceptibles d’être invoquées quand un projet créatif se casse la figure. Tout ça est bien joli, me direz-vous, mais quel rapport avec notre sujet ? Eh bien, partant de l’idée peut-être pas si bête que la rencontre d’un lecteur et d’un auteur constitue un projet créatif, il n’est pas vain de se demander comment il en vient à s’effondrer, n’est-ce pas ? En partie parce que l’écriture n’échappe pas à la règle, je suppose, la relation littéraire étant creusée de gouffres sémantiques laissant de chaque côté du précipice l’auteur et son lecteur. Mais pas seulement, ce qui amène ma question subsidiaire : comment une tentative de faire connaître ses idées dérive-t-elle parfois jusqu’à les faire détester simplement à cause des mots auxquels on a recouru pour les présenter ? C’est ce que nous allons essayer d’expliquer en glissant vers la partie suivante, juste en dessous. Ah, que le monde est bien fait quand on l’organise soi-même.

Je ne comprends rien, il est vraiment nul !

La baignoire aux incompris

Rien de tel qu’une nouvelle question pour tenter de répondre à une autre : de qui l’ego est-il le plus égratigné quand des divergences lexicales voient le jour ? Je vous donne un indice : lorsque nous n’avons pas été en mesure de déchiffrer la partition littéraire d’un écrivain afin que nos propres notes s’y accordent, il est peu fréquent de s’en montrer ravi. Et les fois où on referme un bouquin parvenu à la moitié avec la décision arrêtée de ne plus jamais l’ouvrir, après s’être exclamé quelque chose comme « Il ne pourrait pas parler comme tout le monde, celui-là ? », le fautif semble clairement identifié : c’est l’auteur et ses mots à la noix. Et quoi qu’il ait voulu dire, au fond, notre incapacité à en saisir l’essence fait qu’on jette le bébé avec l’eau du bain. Parfois même, la baignoire passe aussi par la fenêtre. Ses idées, s’il n’est pas en mesure de les énoncer avec clarté façon Boileau, on n’en veut pas.

L’honnêteté des gens vexés

Faute de pouvoir l’assommer avec son œuvre intégrale reliée pleine peau, on en  prend donc congé en rabattant une couverture dont on trouve qu’il la tire trop à lui. Notez bien qu’il s’en fiche probablement comme de sa première rature qu’on l’ait trouvé indigeste. Mais cela n’endiguera pas le flot de nos critiques qui après s’être enflé page après page, finira par déborder dans notre conversation. C’est qu’on n’apprécie guère de se sentir mis de côté par, l’honnêteté nous pousse à le dire haut et fort à qui veut bien nous écouter, un sacré prétentieux ! L’honnêteté et, accessoirement, une pointe de vexation.

Une boîte de Meccano au pied de la tour Eiffel

En effet, cet auteur-là, à l’entendre écrire, il a fait sa part du boulot dans des proportions dépassant – et de très loin – notre maigre contribution au projet créatif ! Ça, question vocabulaire, il n’a pas pleuré sur la marchandise – et que du surchoix, encore ! Et qu’on se sente écrasé devant son œuvre comme on le serait au pied de la tour Eiffel avec dans les mains une pauvre boîte de Meccano lui importe peu, à ce grand bâtisseur littéraire ! Du moins est-ce ainsi qu’il arrive qu’on perçoive une écriture nous renvoyant à ce qu’il nous reste à en apprendre. À ces mots par qui le seul mystère de leur signification nous semblent inatteignables, et comme impossibles à ajuster à ceux qui sont en notre possession. Tout comme il semble irréalisable de construire une tour Eiffel avec une boîte de Meccano. C’est là où on se trompe.

Purger sa vexation pour accéder à la compréhension

La vexation, une précieuse alliée

Le meilleur moyen d’évacuer une vexation est de la purger du sentiment d’infériorité qui s’y rattache. Qui la  nourrit. Ça vous embête qu’un écrivain souligne plus souvent qu’à son tour l’ignorance que vous avez de certains mots en les employant avec une telle aisance qu’on croirait qu’il les invente? Apprenez-en quelques-uns. Tous, dans la touffeur d’un roman, c’est utopique. Par contre, en grappiller une petite dizaine à la faveur d’un bouquin un peu épais, c’est à la portée de tous. J’ai en d’autres occasions fait mention de la vertu des listes. Constituez les vôtres pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, avec à l’esprit qu’apprendre un mot, en littérature, ce n’est pas seulement le connaître. On se doit d’en maîtriser toutes les subtilités afin de rendre inattaquable la phrase dans laquelle on l’insère. Qu’il ne soit pas source d’une interprétation desservant notre propos.

Devinettes et inventeurs

On reconnaît les écrivains qui savent de quoi ils parlent quand ils réussissent à nous faire comprendre une chose qu’on ignorait ou à laquelle nous n’avions pas pensé jusque-là, quel que soit le vocabulaire utilisé. Et si des mots ne nous sont pas immédiatement accessibles faute de les connaître, leur sens peut l’être grâce au contexte. Pas toujours, cela dit. Certains échappent à notre intuition, aussi ne peut-on en saisir la signification qu’à la lecture de leur définition. Et ce sont ces mots qui ne se laissent pas deviner qu’il faut noter en priorité. Pour commencer à se familiariser avec eux jusqu’à ce qu’on puisse à notre tour les utiliser aussi facilement que si on en était les inventeurs…

La simplicité littéraire

La prochaine fois, entre autres délices, nous verrons exemples à l’appui qu’une écriture littéraire peut se parer de mots simples qui, employés intelligemment, donnent aux phrases un tel cachet qu’elles sortent du lot. Un petit avant-goût pour vous faire patienter : « Déployés sur cette plaine ils se déplaçaient dans une perpétuelle élision, agents consacrés du réel, partageant le monde qu’ils rencontraient et laissant pareillement éteint sur le sol derrière eux ce qui avait été et ne serait plus. » Je ne dénonce pas tout de suite celui qui s’est rendu coupable de ce passage épatant, mais comptez sur moi pour le faire dès le 5 décembre 2020. Dans la foulée, je vous livrerai aussi le nom de quelques-uns de ses complices. S’ils s’imaginaient s’en tirer à si bon compte, c’est raté !

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