Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Les indices dans une intrigue littéraire

Sommaire

Une bonne intrigue, ça se cultive, mais pas n’importe comment. En semant des indices, bien placés, bien dosés.

Porter une information à la connaissance du lecteur de façon à ce qu’elle resserve de manière opportune n’est pas si aisé qu’on pourrait le penser. Du moins cela réclame-t-il cette subtilité faisant qu’en parlant d’une chose on n’indique pas vraiment ce à quoi on la destine. Tout au plus doit-on suggérer que parmi d’autres, un fait quelconque ou l’attention particulière portée sur un objet pourraient avoir des conséquences ultérieures. En même temps qu’on ne signifie pas que ce sera obligatoirement le cas. Entre la fausse piste et le détail de prime abord anodin qui se révèle finalement d’une importance capitale, bienvenu dans le monde des indices et des faux-semblants…

De Frankenstein à Tchekhov

Intelligent comme la créature de Frankenstein

Un bon indice doit rendre votre lecteur intelligent. Je ne parle pas de lui implanter une puce neuronale comme ce vers quoi notre société frankensteinisante semblerait vouloir nous diriger, non. Diriger, intéressant, ce verbe… Je veux donc plutôt dire par-là le faire réfléchir avec son propre cerveau. Grâce au nôtre. Pas d’implant, mais juste une bonne vieille connexion intellectuelle à l’ancienne, vous savez, ce truc épatant qu’on appelle la réflexion ? Oui, je suis un peu de la vieille école quant à ça : effectuer des efforts intellectuels, ça me dépasse que cela paraisse tellement dépassé…

Un gibier dans le texte

À propos d’effort, c’est celui consistant à retenir une information parfois donnée un peu à la lisière du récit qu’on demande au lecteur d’accomplir lorsqu’on souhaite qu’il flaire un indice. S’il se met à l’arrêt, offrez-lui une récompense. Ah non désolé, je me croyais en compagnie du comte Zaroff… si vous voulez bien me laisser le temps de changer mon fusil d’épaule… Voilà, tant que j’y suis, je vais en profiter pour mettre une nouvelle cartouche. Dans mon imprimante, oui. Et je pense qu’après deux paragraphes d’une fantaisie délicieuse, nous voici fin prêts pour la chasse à ce gibier si particulier qui se cache entre les lignes, niche en haut des paragraphes, se terre en bas de page, j’ai nommé ici pour la quatrième fois : l’indice. Vous ne pourrez pas dire que vous ne savez pas de quoi on parle.

Un fusil au mur

Je ne vais pas lâcher mon fusil tout de suite – soit j’ai de la suite dans les idées, soit le hasard fait bien les choses, je vous laisse juge. Si de fusil il est encore question, c’est parce qu’il en est un des plus célèbres dans la dramaturgie, celui d’Anton Tchekhov en l’occurrence. Ce procédé narratif est devenu une référence : « Supprimez tout ce qui n’est pas pertinent dans l’histoire. Si dans le premier acte vous dites qu’il y a un fusil accroché au mur, alors il faut absolument qu’un coup de feu soit tiré avec au second ou au troisième acte. S’il n’est pas destiné à être utilisé, il n’a rien à faire là. » Le gros avantage de ce procédé réside dans le fait que même moi j’arrive à le comprendre, c’est dire !

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Mécanisme de l’indice

Gros comme un piège

S’il devait y avoir un piège contenu dans ce mécanisme narratif d’une logique implacable, ce serait sûrement la tentation d’en abuser en raison de sa simplicité. La circonstance aggravante consisterait à y recourir de manière ostentatoire. Genre gros sabots rompant le délicat alignement de pointes de ballerines. Pour illustrer cette image d’une pertinence confondante, je vais effectuer un emprunt à la grammaire cinématographique, emprunt  aussi parlant qu’un film succédant à l’époque du muet. Pour ce faire, pourquoi ne pas reprendre derechef le fusil de Tchekhov ? Il fume encore, bien que ce soit dangereux pour la santé, on ne le répétera jamais assez. Non, c’est le fusil qui fume encore, pas Tchekhov, paix à ses cendres !

L’indice majuscule

Imaginons donc qu’au cours de la scène d’introduction d’un film, on zoome sur le fusil accroché au mur et que ça devienne un plan fixe d’une dizaine de minutes. Vous voyez à peu près ce que ça représente la même image à l’écran pendant une si longue durée sans que rien d’autre ne se passe ? Sans qu’aucun élément ne vienne modifier ce qui est montré pour que, justement, on ne voit plus que ça ? Ce n’est plus un effet d’insistance, mais une torture vécue dans l’attente angoissée qu’on continue encore longtemps à nous prendre pour quelqu’un n’ayant décidément pas la comprenette facile. L’équivalent en littérature serait d’écrire en majuscule et en caractère gras : IL Y A UN FUSIL ACCROCHÉ AU MUR.

Le contexte de l’indice

Ça file le traczir, non ? Surtout, ce stratagème grossier est inconvenant envers la personne à qui il est destiné. Mais comme nous sommes entre gens biens, nous allons voir qu’un certain américain mondialement connu, écrivain de son état (le Maine en l’occurrence), ne fait pas donner la fanfare pour nous fournir une indication qui prendra tout son sens ultérieurement. Néanmoins, il prend soin de se fendre d’une scène marquante qu’il fera se remémorer à son lecteur en temps voulu afin que celui-ci fasse le lien  avec un détail éclairant de ladite scène. C’est un excellent moyen pour ne pas trop en dire tout en disposant un marqueur fort dans le récit afin de s’y référer par la suite pour mettre l’indice dans son contexte et le lecteur dans la confidence, car on n’est pas à un zeugma près.

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L’indice des fées

Quand l’indice est distant

Je viens de terminer la lecture de Conte de Fées, par l’inoxydable Stephen King, puisqu’il s’agit de lui. Vous voulez que je vous raconte la fin ? Non ? Bon, c’est vous qui voyez. Ça tombe d’ailleurs plutôt bien, car je voulais vous parler d’autre chose, à savoir la « distance » pouvant être mise entre l’apparition d’un indice et le moment où il est pleinement exploité. Contrairement à une scène traitée « classiquement », la fin n’est pas dans la continuité du début, dans le même paragraphe ou le même chapitre, s’entend. Il faudra patienter plusieurs pages – une trentaine environ, dans le roman de King – afin de connaître et la nature précise de l’indice, et comment il va servir l’intrigue.

Trente pages plus loin

Dans un chapitre de Conte de fées, deux personnages doivent s’affronter dans une lutte à mort. Oui, ça part bien. L’un des deux donne le sentiment de pouvoir briser les nuques les plus épaisses aussi facilement que s’il s’agissait de cure-dents. Je ne vais pas vous divulgâcher grand-chose en vous apprenant qu’il ne s’agit pas précisément de l’un des gentils de l’histoire. Toujours est-il que lors du premier passage le mettant en valeur, la scène-matrice si l’on veut, un indice pour peut-être le vaincre se glisse sans être souligné plus que ça. Cet indice sera explicité graduellement trente pages plus loin à mesure qu’un des personnages réfléchit à sa signification.

L’avenir de l’indice

Comme chaque fois qu’un texte est bien ficelé, ce qui n’apparaissait dans un premier temps qu’entre les lignes se dévoilera totalement dans le filigrane baigné de la clarté de la déduction. Si je me débrouille bien, je devrais pouvoir refourguer cette phrase en la transformant en devinette pour papier d’emballage de Carambar : qu’est-ce qui se dévoile dans le filigrane baigné de la clarté de la déduction ? Un indice. Rires assurés entre le tourniquet et le tape-cul si chers à notre cœur d’enfant. Je ne résiste d’ailleurs pas à vous offrir une vraie devinette Carambar : « Quel animal peut deviner l’avenir ? Une poule de cristal ». Si, c’est drôle.

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Derniers indices avant non résolution de l’énigme

L’indice et la fausse piste

Quoi de plus drôle pour un écrivain que de faire bisquer son lecteur avec de faux indices ? Par exemple en faisant tout le contraire du procédé du fusil de Tchekhov pour brouiller les pistes. Je vous la fais courte et dynamique sous la forme d’un dialogue bigrement inspiré, c’est mieux :

« Oh, mais on dirait bien qu’il y a un fusil accroché au mur, non ?

– Bah si.

– On ne l’aurait tout de même pas mis en évidence de la sorte s’il ne devait pas servir, hein ?

– Bah non. »

[500 pages plus loin]

« Ah mais dis donc, le fusil, il a servi à quelque chose finalement ?

– Bah non.

– Pour le coup, on se serait pas un peu fait avoir par l’auteur, là ?

– Bah si. »

Au terme de cette brillante démonstration, je ne doute pas une seconde que vous serez intéressé d’apprendre que je suis à votre service pour acquérir les bases nécessaires à l’élaboration d’un dialogue court et dynamique bigrement inspiré.

De l’indice à l’énigme

L’indice peut aussi s’incarner dans des mots qu’un personnage n’était pas censé entendre et qui le rendent au mieux perplexe et au pire suspicieux. Mettons qu’un homme rentre chez lui à l’improviste et qu’il surprenne son épouse absorbée dans une conversation téléphonique au point qu’elle ne remarque pas sa présence. Disons qu’ensuite, avant de raccrocher, elle lâche une phrase telle que : « De toute façon, il ignore pourquoi j’ai insisté pour que nous donnions un prénom vénitien à notre fils. ». Autant dire qu’en entendant ça, le mari ne se gondole pas ! On lui cacherait quelque chose à propos de son rejeton ? Oui, mais quoi ? Et à qui sa femme s’en ouvrirait-elle ainsi ? Hum ? Faudrait-il fureter du côté de la place Saint-Marc ? Enquêter au sein du palais des Doges ? Je ne peux vous dire qu’une chose en guise de conclusion : pour l’instant, c’est une énigme…

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