Je vous ai déjà parlé de ce qu’on pourrait appeler le personnage sympathique. Allez, soyez sympa, faites au moins semblant de vous en souvenir ! Si je souhaite en remettre une couche à propos de ce protagoniste occupant une place pouvant s’avérer prépondérante au cœur d’un récit, la faute en revient à Stephen King. Oui, je cafte, et alors ? Tout ça parce que dans son dernier roman, Billy Summers, il raconte l’histoire d’un tueur à gages auquel on ne peut s’empêcher de trouver un côté sympathique. Comme quoi l’idée d’un article peut fuser dans votre cerveau à la vitesse d’une balle…
Les nuances du démon
Des méchants dans un sac
Rien n’oblige à ce qu’il y ait un personnage sympathique dans une histoire. On peut avoir affaire aux types les plus abjects ou/et aux femmes les plus sournoises pour en animer les ressorts de l’intrigue. Pas un pour rattraper l’autre au point qu’ils continueraient à se battre, se griffer se mordre et s’écorcher à l’intérieur du sac dans lequel on les a mis(e)s pour les jeter à la flotte. Ne vous inquiétez pas ce sera un sac 100% recyclable, sinon la personne se chargeant d’effectuer cette sinistre besogne paraîtrait aussi aimable que quelqu’un noyant une portée de chatons dans une eau glaciale par une nuit sinistre où même la lune serait blafarde d’horreur en voyant qu’on punit le mal par le mal sous sa clarté blême sans même penser à la planète. Un gars qui recycle les déchets a forcément une once d’humanité en lui. Ou pas.
Le monstre et la lueur
Même si c’est subjectif, on peut penser que la gentillesse fait ressortir la méchanceté, et vice versa. Tout en fuyant à grandes enjambées l’archétypal combat du tout noir contre le tout blanc, ce qu’on appelle le manichéisme. Souvenez-vous qu’en tout monstre, un enfant a vécu. Et qu’en tout être adorable, une lueur mauvaise a pu briller à un moment donné de son parcours. Canaillous, va ! Bref, nuançons les personnalités des uns et des autres afin de les rendre crédibles tout en faisant en sorte que leur caractère dominant soit identifiable, ce qui n’empêche pas de ruser pour faire passer le bon pour le mauvais, et inversement. Après tout, il paraîtrait que Satan serait un ange déchu. Voyez comme on part de loin. Ou de haut, si l’on tient compte de la verticalité qu’implique une chute.
Quand le méchant se fait épingler
Ces précautions d’usage quant à la répartition du bien et du mal chez tel personnage ou tel autre ayant été abordées, l’important est de tirer profit de ce qui les oppose, les sépare, les fait s’affronter, etc., une fois ces choses-là bien établies, comprises et admises. Dans le cadre de cet article, c’est le personnage sympathique qui tirera son épingle du jeu pour mieux la planter dans l’œil du méchant. Bien fait pour lui. Le coup de l’épingle est purement métaphorique en vertu de l’expression consacrée « tirer son épingle du jeu », sans quoi notre personnage sympathique semblerait moins avenant d’un seul coup. Sauf, bien entendu, si sa vie est en danger – et dans toute bonne histoire, elle le sera, si ce n’est sa réputation qui sera mise à mal de la façon la plus fourbe qui soit ou son lopin de terre chèrement acquis dont on le dépossèdera malhonnêtement sans aucun scrupule. Les exemples de mise en péril de sa vie, d’honneur injustement sali ou de spoliation de ses biens par des manœuvres perfides sont nombreux, j’en passe donc et des meilleurs. Sinon mon paragraphe va être trop long.
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La sucette de quasimodo
Le cas de conscience de la sucette
Comment éviter que notre personnage sympathique se retrouve dans la mouise (heureusement que ma bonne éducation m’a permis d’éviter l’expression « merde noire », tiens !) ? Comment lui épargner ses serpents qui sifflent sur sa tête et qu’on ne lui fasse manger les pissenlits par la Racine ? La réponse est simple : en le faisant agir, voire réagir, en fonction de tout ce que recèlent ses principes faisant de lui un être positif. Si possible en le plaçant devant un cas de conscience dont il viendra à bout sans renier les bonnes manières inculquées par : ses parents, un mentor, un(e) amie, une conversation avec Jean-Claude Van Damme, un événement tragique lui étant arrivé et qu’il est parvenu à surmonter sans verser dans une violence dévastatrice (comme le vol de sa sucette à la récréation par le sale gosse de sa classe. Oui je sais, c’est une vision à la limite du soutenable).
On peut parler le flamand sans tout voir en rose
Pour autant, votre personnage sympathique doit posséder quelques défauts, allant du plus grave (comme aimer la musique Électro) au plus bénin (comme arracher la tête d’un piaf pour voir s’il arrête de faire « cui-cui »). Bref, vous ne devez pas en faire le gendre idéal, falot, dénué de la moindre aspérité, du moindre avis susceptible de froisser l’unanimité sur un sujet quel qu’il soit, ne possédant aucune facette sombre, et souriant jusqu’à risquer une mort précoce par la crispation des mâchoires (si, c’est reconnu scientifiquement). Bref, votre personnage peut être sympa comme tout sans hésiter pour autant à aller à contre-courant d’idées heurtant ses convictions.
Quand Quasimodo a le bourdon
Si, en plus d’être agréable à vivre en dépit de ses menus défauts, votre personnage s’avère être un des gars les plus cools du monde, ça ne gâchera rien à l’effet d’ensemble produit sur le lecteur. Notez une chose : il n’a nul besoin d’être doté d’une beauté invraisemblable pour attirer irrésistiblement les personnes gravitant autour de lui, non. Il peut plaire par ce que son cœur dessine, et pas uniquement par ce que ses traits esquissent. Quelle belle formule, je devrais en tirer un bon prix sur eBay. Autant tout de même éviter qu’il ait des faux airs de Quasimodo, ce qui en plus risquerait de le rendre cloche et de coller le bourdon à tout le monde. Le visage le plus banal peut irradier une telle sympathie qu’il s’en dégage une puissante séduction. Alors vous pouvez vous passer de le transformer en gravure de mode sans craindre qu’il fasse tache en société.
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L’opposition des traumatismes
Tique et toc
Telle l’émulation créée dans le sport afin qu’un joueur se hisse au niveau de son rival le plus acharné, le personnage sympathique verra sa nature profonde stimulée autant que chamboulée par la malveillance chevillée au corps et à l’âme du méchant de service. Les motivations de ce dernier peuvent résulter d’un traumatisme qui l’aura nourri d’une haine farouche envers son prochain, à la différence du héros qui lui a trouvé le moyen de se sublimer à travers une épreuve similaire. Alors quand le mec pas sympa viendra dire à celui qui l’est : « Ah ouais mais moi, j’ai vécu ceci, alors faut pas s’étonner que je sois devenu une vraie tique assoiffée de sang » et que l’autre renverra son argument d’une pichenette en lui rétorquant « Moi aussi, et alors, j’en fais pas tout un plat. Et toc ! », leur relation ne s’engagera pas sur les glorieux sentiers de la réconciliation.
Les profits du conflit
Quel est l’intérêt pour l’auteur de confronter les conséquences de deux malheurs survenus à ces personnages ? C’est tout bonnement le moyen de marquer de manière définitive la différence à appréhender un événement malheureux survenu au cours de leur existence respective : le personnage, de sympathique, prendra une dimension nouvelle une fois connue sa capacité d’en ressortir sinon grandi, du moins sans accuser le destin, les hommes et les impôts. Un héros, quoi. Quant à l’autre, devenu atrabilaire depuis que sa maman a passé à la machine à laver son doudou préféré en raison de l’odeur répugnante qui l’emplissait de joie, autant dire qu’il gagnera ses galons d’individu d’un naturel chafouin haut la main.
Les raccourcis menant à une impasse
Les forces en présence étant ainsi clairement définies, l’auteur devra faire preuve de l’habileté nécessaire pour ne pas encenser le premier (le sympa) au détriment du second (le pas sympa) d’une façon qui provoquerait l’inimitié systématique à l’égard du second suite à un jugement hâtif de la part du lecteur. Les rôles seront certes ainsi distribués, mais dépouillés de l’aspect manichéen évoqué plus haut. Aussi doit-on bannir les raccourcis allant toujours en défaveur de l’antagoniste. Éviter qu’ils mènent à une impasse où le lecteur ne lui trouve aucune circonstance pour être devenu le type qu’il est parfois trop facile de détester. Du moins jusqu’à un seuil de tolérance trouvant ses limites dans les agissements du rival du personnage sympathique. Allez, rien ne vaut un exemple. Sauf deux.
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La hiérarchie comme appât de la cruauté
La contrariété du chefaillon
Je vais d’abord m’appuyer sur une situation que des dizaines de milliers, pour ne pas dire des centaines de milliers de personnes (des millions ?), ont eu à connaître : le harcèlement au travail d’un(e) salarié(e) (forcément sympathique) effectuant sérieusement son travail. Par qui ? Un chefaillon se prenant pour une entité supérieure s’estimant le droit de pourrir la journée de la personne sous ses ordres car le matin-même il a subi une contrariété bénigne quelconque. Serait-il d’une plus grande ampleur, ce désagrément ne lui autoriserait en rien de rudoyer une personne sous prétexte d’un lien hiérarchique dans le but de se défouler. Et dire que ces sales types ou nanas pullulent. Tiens, ça me rappelle l’expression d’André Boisbelet, pêcheur de son état et inventeur d’appâts pour poiscaille, à qui on doit le merveilleux : « Avec Dudule, le poisson pullule. ». Après cet intermède animalier d’une haute tenue, reprenons, si vous le voulez bien, le cours d’eau de cet article.
Le syndicat des personnages sympathiques
À moins d’être à l’origine de cette irritation, personne n’a à subir la mauvaise humeur de quelqu’un, le rapport hiérarchique étant une circonstance aggravante car, dès le départ, on ne lutte pas à armes égales : le type sympa et consciencieux se voit accabler de reproches injustifiés avec pour seule raison que son patron éprouve le besoin de décharger son agressivité sur quelqu’un n’étant pas responsable de ce qui l’a déclenchée. Non, il n’est pas dans mon intention de créer un syndicat afin de défendre les travailleurs opprimés, pour le cas où ce paragraphe le laisserait entendre. Enfin, ça dépend du prix des cotisations.
La banalité créatrice
En plus d’un abus de pouvoir, il n’y a pas meilleur début pour créer une situation amenée à pourrir jour après jour. Ceci pour dire que le personnage sympathique peut faire l’objet d’une humiliation par un homme exécrable dans le cadre d’une situation banale. Et que nous n’allons pas nous contenter d’en rester là. Naturellement, le lecteur éprouvera de la compassion pour le sympathique employé victime d’une injustice en même temps qu’il prendra en grippe celui s’ingéniant à le tourmenter. Cela peut déboucher sur une démission, un procès aux prudhommes, ou un renvoi suite à la rencontre d’un poing trop longtemps retenu atterrissant brutalement sur le nez du persécuteur en chef. Accessoirement, cela peut être un nouveau départ pour le personnage sympathique, soit une rampe de lancement plausible pour une nouvelle ou un roman. Ne me remerciez pas pour le tuyau. On passera faire la quête après l’office.
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Le personnage sympathique doit-il survivre ?
Le chevalier du Guesclin et la poule aux œufs d’or
Prenons maintenant le cas du personnage sympathique ayant maille à partir avec l’un des plus infâmes salauds que la Terre ait jamais portés. Du genre à vous crever un œil parce que vous êtes l’un des ancêtres du chevalier Bertrand du Guesclin. Du Guesclin d’œil, vous l’avez ? Passons. Plutôt que son emploi, c’est sa vie qu’il risque de perdre. Lui faire courir un tel danger suscitera un regain d’intérêt de la part du lecteur qui, très rapidement, l’aura « adopté », et s’inquiètera du sort que l’auteur lui réserve. D’autant plus s’il ne s’agit pas d’un personnage régulier. Ce qui, pour ce dernier, est l’équivalent d’un gilet pare-balles. Un personnage, aussi sympathique soit-il, peut-très bien finir entre quatre planches à la fin de l’histoire. Non, pas celles de votre bibliothèque. Tandis qu’un personnage régulier est le genre de poule aux œufs d’or qu’on n’éventre pas dès le deuxième tome de ses aventures.
Des fleurs pour un type sympa
Il faut comprendre que lorsqu’un écrivain a tout fait pour qu’on éprouve presque de l’affection pour son héros, dans le cas où la vie de celui-ci ne tient qu’à un fil, deux choix s’offrent à lui. Le premier est qu’au mépris des pires sévices endurés, il s’arrange pour qu’il s’en tire sain et sauf, s’apprêtant peut-être à devenir un personnage sympathique régulier. Le second est que la dernière image que l’on ait de lui soit une pierre tombale recouverte des fleurs balayées par le vent et la pluie, disposées là par ses fidèles ami(e)s. L’écrivain, si l’on ne considère que l’aspect pécuniaire, sera plus sécurisé en prenant la première option, les plumes de sa poule aux œufs d’or promettant de s’étoffer durablement.
Une mort artistique
La seconde solution relèverait à mon sens plus d’un choix artistique : avoir su en un roman imposer un personnage sympathique, jusqu’à finalement le hisser au niveau d’un protagoniste poignant du fait notamment de son décès, serait de nature à proposer à son lecteur une tristesse littéraire une fois la dernière phrase du livre lue. L’idée même qu’on ne le retrouvera dans un aucun autre de ses bouquins entraînant une déception étant à mettre en face du plaisir à retrouver un personnage auquel on s’habitue, voire à qui on s’attache étant donné la quasi invincibilité que lui confère ce statut particulier l’assurant d’être le héros d’une série plus ou moins longue.
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Comment faire apprécier son personnage sympathique
Le p’tit « truc » en plus
Quoi qu’il en soit, qu’il survive ou soit domicilié au boulevard des allongés, le personnage sympathique doit avoir une ligne de conduite, une préférence, un trait de caractère dans lesquels le lecteur puisse se reconnaître. Ce petit « truc » qui l’incite à penser qu’il aurait agi de la même manière que lui lors d’une situation donnée. Cela renforce le lien entre le lecteur et le protagoniste. Au point que même s’il éprouve de la réprobation pour un travers d’ordinaire rédhibitoire chez quelqu’un qu’il est amené à fréquenter dans la vraie vie, le lecteur le pardonnera au personnage sympathique, ou le comprendra mieux si l’auteur l’aide à en déterminer l’origine ou à expliquer pourquoi ça fait partie de son identité.
Ce qui les rapproche, ce qui les sépare
Cette notion de « partage » est à même de s’étendre entre le personnage sympathique et l’infâme salaud. Ils peuvent soutenir la même équipe sportive ; admirer le même artiste ; avoir le même plat préféré ; se sentir en accord avec les idées du même parti politique ; préférer la montagne à la mer ; ressentir un dégoût commun pour des choses semblables. En un mot, ils pourraient être amis si un point non négociable ne les différenciait : une aversion pour ce que l’autre représente. Quelque chose dépassant largement le cadre du travers jugé a priori rédhibitoire. C’est pas de bol, quand même.
L’enrichissement d’une histoire par la rivalité
Il me semble que ces points communs peuvent enrichir la relation entre le personnage sympathique et son rival dans le sens où elle la complexifie. Détester une personne avec laquelle on ne possède aucun atome crochu semble pour ainsi dire aller de soi en cas de conflit violent, voire de tuerie en train de mijoter sur les feux de la colère. Il n’y aura en effet rien à quoi se raccrocher pour trouver un terrain d’entente, aucune chose susceptible d’entrevoir une possible réconciliation. Ce pourquoi, à mon humble avis, il est bon que le personnage sympathique doute de la noirceur totale de celui tentant de lui nuire.
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L’humanisme du personnage sympathique
La compréhension de l’horreur, le refus de la pardonner
Il peut ainsi envisager que le plaisir que lui procure la souffrance infligée aux autres s’enracine depuis longtemps dans un terreau toxique que l’infâme salaud n’est pas le seul à avoir engrené. Ceci sans lui trouver de circonstances atténuant l’atrocité de ses actes. Cette démarche intellectuelle conférera un supplément d’humanité à votre personnage sympathique. Même si cela ne l’empêchera pas au bout du compte de refuser le pardon à son ennemi. Faut pas déconner non plus. Mais dès qu’un personnage fait montre d’une réflexion allant au-delà des apparences, cela densifie sa personnalité, et, par répercussion, la consistance de l’histoire. Et ça, le lecteur le ressent.
La question
Notre personnage, en dépit de toute la sympathie dont il dispose, peut se montrer impitoyable si les circonstances l’exigent. En tuant l’infâme salaud, par exemple. Ce qui ne le rendra pas antipathique pour autant, car en tant que protecteur de la veuve, de l’orphelin, et du pouvoir d’achat, on ne saurait lui en vouloir. Pour conclure cet article avec une pertinence qui en laissera plus d’un pantois, je vais me permettre de vous poser une question : estimez-vous être quelqu’un de sympathique ? Oui, le monsieur du cinquième rang qui vient subitement de baisser la tête ? Vos lacets se sont défaits à l’instant ? Je me disais bien aussi que seuls des gens agréables pouvaient lire avec plaisir un homme aussi charmant que moi…
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