S’adonner à l’écriture expressive est se donner la possibilité de déraciner d’anciennes douleurs pour nous aider à en guérir.
Première partie
Si l’aspect thérapeutique de l’écriture n’est pas une découverte, celles et ceux couchant sur le papier des émotions inspirées par leur vécu ignorent parfois comment une approche scientifique des textes produits pourrait les aider. Pourtant, la naissance de l’écriture expressive dont cet article va traiter ne date pas d’hier. Le recul d’une quarantaine d’années qu’on a sur cette pratique et ses évolutions méritait bien de porter un regard attentif sur une méthode d’écriture pas comme les autres et les possibilités de panser nos blessures qu’elle offre…
La mise à distance de la souffrance
Le jardinage mémoriel
Écrire sur ce que l’on ressent quand on fait soi-même partie de ce qui nourrit notre discours est un pas quelquefois difficile à franchir. Même en convoquant Sénèque pour dire avec lui que ce n’est pas parce que les choses sont compliquées que nous n’osons pas, mais que la difficulté réside dans le fait de ne pas oser, force est de constater que ce gars-là n’a jamais eu un Rubik’s cube entre les doigts. Plus sérieusement, il arrive tout bêtement qu’on ne sache pas comment articuler notre propos, car ses rouages sont trop acérés quand on souhaite l’extirper de notre esprit sans causer des écorchures à une plaie plus ou moins consciemment ouverte.
Un coup de bèche dans le passé
Ainsi, certains de nos souvenirs viennent docilement à nous alors qu’on doit durement s’employer pour en arracher d’autres de la terre sèche de notre mémoire. Pas parce qu’on perd la boule. Parce qu’ils nous font souffrir. Et qu’il nous semble que plus rien de fertile ne saurait sortir d’un sol où a enterré une émotion dont on serait prêt à jurer que ses racines sont brûlées à jamais. Que remuer le passé serait une perte de temps par l’effort que cela implique et la déchirure morale que cela nous procurera inévitablement. On en est même si sûr qu’on ne s’y risquera pas. Ce pourrait bien être dangereux pour notre équilibre mental. Vraiment ? Rien n’est moins certain, quand la marche à suivre est adaptée à ce que l’on veut fuir, comme à ce que l’on désire atteindre…
Recréer, pas revivre
On pense parfois que réécrire un moment nous ayant meurtri au plus profond de notre être revient à le revivre. À le figer sur le papier pour toujours, renforçant le carcan dans lequel on imagine le conserver intact pour notre plus grande affliction. Or, l’écriture expressive permet non pas de modeler sans cesse la même pâte pour aboutir au même résultat, mais bien de procéder à une recréation de l’événement ayant provoqué une peine ou une épreuve pouvant aller jusqu’au traumatisme. Recréer une situation à l’origine de nos tourments est un processus permettant d’en atténuer ses aspects les plus choquants en instaurant une sorte de distance affective…
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Le refus du manichéisme
Pousse ton yin que je mette mon yang
Dans Écrire pour se soigner – La science et la pratique de l’écriture expressive, James W. Pennebaker et Joshua M. Smyth, ses auteurs, font part d’une chose à laquelle je n’avais pas pensé jusqu’à maintenant. Et pour que je ne pense pas à une chose, soit elle n’existe pas, soit je ne l’ai pas encore inventée. Ah non, pardon, ça, c’est du ressort de L’Autre. Cette chose-là, ce concept si l’on veut, est une réflexion sur le fameux « à quelque chose, malheur est bon » : « […] après tout, il faut bien reconnaître que même les plus belles expériences de la vie présentent un certain nombre d’inconvénients. Il est donc logique que la plupart des coups durs aient quelques bons côtés. » Ou comment tout s’interpénètre dans le yin et yang de notre cerveau. Non, cette phrase n’a rien d’obscène.
Le verre à moitié-moitié
Ce dont il est question dans le paragraphe précédent s’apparenterait presque à de la pensée positive « basique » si l’on s’en tenait au seul fait de recourir au simpliste « voir le verre à moitié plein, pas celui à moitié vide ». Seulement, ce renversement de la perception qu’on peut avoir des diverses situations impactant notre existence ne se limite pas à une vision manichéenne. Il est en effet d’abord avancé, et c’est là où je trouve le cheminement intellectuel intéressant, que même dans les meilleurs moments que l’on vit, de petites sources de contrariété peuvent s’immiscer.
La Terre est bleue comme une noix de coco
Ce constat qui doit être je pense aisément vérifiable pour chacun renforce l’idée que l’inverse est possible. Bien sûr, dans le premier cas, en nageant gaiement la brasse-papillon dans le verre à moitié plein, c’est une considération qu’il n’est pas dérangeant d’admettre. Par exemple, imaginons que vous veniez de passer une quinzaine de jours dans un endroit paradisiaque où vous avez chaque jour pu profiter d’un temps radieux (si jamais votre conception du bonheur est entre autres météo-dépendante). Mettons que vous racontiez ce séjour à des amis en les informant que vous avez eu deux semaines de beau temps absolu, le ciel était d’un bleu franc et même les noix de coco bronzaient, c’est dire ! Franchement, c’était parfait. Sauf peut-être le jour, où…
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À part ça
Ça tinte au fond du verre
…Ah oui, il y a bien eu cette matinée où une averse tropicale (vous n’étiez donc ni à Nancy ni à Poitiers) vous a laissé trempé comme une soupe, mais à part ça, les conditions climatiques étaient splendides. Vraiment pas de quoi gâcher cette merveilleuse parenthèse dans votre quotidien où les oiseaux des îles ont plutôt la tronche d’un pigeon neurasthénique. Hormis un ressenti négatif de l’instant, du genre : « Oh flûte, chérie, on a un pépin, sortons les parapluies ! », tout s’est donc parfaitement bien passé. Eh bien, ça fonctionne dans les deux sens, car même si vos vacances avaient été cauchemardesques, et le récit que vous en auriez fait différent, un à part ça positif aurait tinté au fond du verre à moitié vide.
L’unique touche pastel sur le tableau noir
Vous auriez en effet relevé qu’en dépit de la succession de galères ayant émaillé vos congés annuels, le à part ça du verre à moitié vide est tout aussi présent que celui du verre à moitié plein. Cette journée où, par exemple, vous avez pu effectuer une excursion géniale qui à elle seule a bel et bien adouci ce tableau désastreux de réservations annulées, transports en grève et tempêtes imprévues, j’en passe et des pires. Enfin, désastreux… moins qu’il n’y paraît, finalement, puisque cette unique petite expédition touristique réussie vous a permis de ne pas conserver un bloc mémoriel négatif de votre voyage. Certes, le reste n’a suscité que colère et frustration, mais cette sortie-là vous aura mis un peu de bleu pastel au cœur. Et si ça se trouve, « bloc mémoriel négatif » signifie quelque chose, on n’est jamais à l’abri d’un gros coup de bol.
Le noir-lumière de nos pensées
L’un des piliers de l’écriture expressive repose sur cette évidence : le pire des drames ne constitue pas forcément un abîme de noirceur n’accrochant nul reflet d’espoir. Si une lueur aussi ténue soit-elle existe, il ne s’agit peut-être pas d’un phare qui nous guidera hors d’une zone dangereuse, mais pas non plus obligatoirement d’un feu de naufrageurs. Quand des paupières qu’on ferme sur un lourd chagrin nous renvoient à un monde de ténèbres, accomplir l’effort de les entrouvrir même à peine peut – peut-être – suffire à laisser filtrer un peu de lumière. Des mots comme des paillettes dorées pour percer l’obscurité et ne pas sombrer, pourquoi pas après tout ? Ce paragraphe est bien évidemment dédié à la mémoire de Pierre Soulages.
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La puissance de la structure linguistique
Écouter ce qui n’est pas dit
Quand une situation douloureuse s’ancre durablement dans l’esprit d’une personne et qu’elle affirme ne pas vouloir en parler, ou ne pas être en mesure d’y parvenir, c’est à ce moment-là qu’il faut être à l’écoute. Il y a des moyens de substitution pour tendre l’oreille, comme d’inciter celles et ceux dans l’incapacité de formuler à voix haute une angoisse ou des sentiments déprimants à les mettre par écrit. Des études portant sur les traumatismes et leurs conséquences ont souligné que l’impossibilité de communiquer à autrui le mécanisme d’une expérience pénible relevait pour une part de l’incompréhension du fonctionnement dudit mécanisme. Logique, mais quelle solution apporter pour débloquer ce frein ? Là, tout de suite, passer au paragraphe suivant me paraît être la chose la plus judicieuse à faire.
Vider les réminiscences
Pour bien cerner de quoi il est question, rien de mieux qu’un extrait du livre Écrire pour se soigner : « Bref, donner une structure linguistique aux pensées et aux émotions non-verbales que l’on associe à une expérience traumatique peut permettre de mieux comprendre cet événement et de l’intégrer à sa représentation du monde et de soi-même […] réduisant son intensité et son impact émotionnel. ». En clair, l’écriture expressive aide à nommer ce sur quoi on n’arrivait pas à mettre des mots. Plus encore, par un phénomène de répétition que nous allons décortiquer dans la fin de la première partie de ce charmant article, elle vide d’une partie de leur substance négative des réminiscences non « digérées » par notre mémoire.
Armer notre présent pour faire face au passé
Il a été observé qu’un traumatisme ayant fait l’objet, dans un but curatif, de plusieurs séances d’écriture expressive perd de sa nocivité. Cela tient au fait que ce travail induit un changement de la façon dont ce traumatisme était à l’origine perçu par celui qui l’a subi. D’une certaine manière, on pourrait dire qu’en écrivant de la sorte, on se fabrique le recul nécessaire à l’analyse, et par là une meilleure appréhension de ce qu’autrement on se trouvait dans l’incapacité d’affronter. À ce titre, on peut voir l’écriture expressive tant comme une arme offensive que défensive.
Avoir un regard neuf
Ramener par l’écrit un traumatisme ou une mauvaise expérience à leurs aspects les plus factuels est un moyen de ne plus les diaboliser, et donc de prendre conscience qu’on peut se mesurer à eux en leur retirant le pouvoir d’agir à loisir sur nos craintes, y compris les plus enfouies. L’écriture expressive permet en outre de créer un échange avec les autres par rapport au mal-être qu’un traumatisme fait naître et se développer en nous. Ce partage facilite lui aussi si ce n’est l’acceptation, mais la remise en perspective du traumatisme afin de déterminer le plus justement possible son incidence réelle sur notre existence. Un regard neuf sur une vieille inquiétude.
À présent, je vais doucettement porter à ébullition la seconde partie de cet article pour notre séance suivante de balnéothérapie spirituelle à remous. D’ici là, écrivez, ça fait du bien !
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