D’abord publiées en épisodes dans les journaux et magazines, les sagas ont été ensuite lues à la radio. De nos jours, c’est devant l’écran qu’elles nous captivent.
Pour qui chercherait un format littéraire permettant de déployer un univers riche à la temporalité longue, l’écriture d’une saga répondrait probablement à ses attentes. De Marcel Proust à J. K. Rowling en passant par Stieg Larsson, des mondes n’ayant rien en commun ont révélé des galeries de personnages qui ont marqué les lecteurs au fil des générations. Qu’elles soient totalement fictives ou reposent sur des faits en partie vécus ou connus par l’auteur, les sagas, peu importe ce dont elles traitent, ont souvent des airs de famille…
Comme à la maison
Heureux homme que je suis, j’ai eu le bonheur d’avoir lu ces temps-ci les 6 tomes de Blackwater, une œuvre de Michael McDowell relatant l’histoire de la famille Caskey. Non, les Caskey n’existent pas pour le cas où vous vous poseriez la question. Du moins ne vivent-ils pas dans ma rue. En revanche, ils habitent dans une maison que nous connaissons tous, celle dont les volets de papier se ferment page après page sur de nombreux secrets. Celle abritant les personnages d’une saga. Dans cette demeure littéraire-là, il n’est pas rare d’entendre les portes claquer, les marches grincer ou les contrevents battre contre la façade de manière entêtante. Oui, il est fréquent que les bruits s’en échappant éveillent notre curiosité ou nous empêchent de dormir. Les deux, parfois.
Les fruits de la saga
Ces voisins paraissent ordinaires quand ils élisent résidence sur une des étagères de notre bibliothèque. Puis lorsqu’on apprend à les connaître au fil des chapitres, quand on fait le tour du propriétaire en quelque sorte – après tout, nous avons bel et bien acheté ces livres et tous les gens qu’ils renferment – on s’aperçoit de l’étrangeté de certains de leurs comportements et d’événements dont il arrive qu’on peine à comprendre pourquoi ou comment ils se sont produits. Voilà de quelle façon les fruits les plus inattendus finissent par tomber de l’arbre généalogique d’une saga familiale, comme on pourra en juger après avoir croqué à pleines dents le paragraphe suivant…
Habite éternellement à l’adresse indiquée
Les manigances d’une veuve matriarcale, la personnalité plus que singulière de sa belle-fille, la cruauté d’un homme et le sort plus cruel encore qui lui est réservé, les dangers encourus par les enfants s’ils s’approchent trop près de la Perdido, une rivière dont les remous dissimulent des mystères, les penchants pour la magie d’une employée de maison, le meuble très inquiétant d’une chambre d’ami, les différences inavouables des filles nées d’une même mère, tout ceci et bien davantage fait qu’on ne sait jamais à quoi s’attendre en se rendant à cette adresse dont nous avons marqué l’emplacement d’un marque-page. La seule chose dont on est sûr est d’avoir loué cet endroit pour l’éternité.
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La famille littéraire
Repère et mère
Il n’est guère surprenant qu’une saga littéraire prenne souvent ses racines dans une famille, les ramifications naturelles de cette dernière étant garantes de renouvellements et de bouleversements continus au gré du temps qui passe. Société miniature par excellence, la cellule familiale est dotée de codes aisément identifiables facilitant l’immersion du lecteur à travers ses propres repères familiaux. Même s’ils sont très éloignés de ceux proposés par l’auteur, ils forment une structure reconnaissable permettant des éléments de comparaison l’y rattachant d’une manière ou d’une autre.
Du vernis pour Alphonsine
Une œuvre autobiographique peut ainsi être le point de départ d’une saga si l’on décide d’appliquer à la réalité de nos souvenirs et à la véracité de nos actes une couche plus ou moins épaisse de vernis fictionnel. Soit pour ne pas se brouiller avec tata Alphonsine dans l’hypothèse où l’on aurait dressé un portrait peu flatteur d’elle, soit, plus généralement peut-être, pour pimenter son récit de faits inventés. Ne serait-ce qu’en utilisant le procédé bien connu du « Et si… », il n’est pas très compliqué d’imaginer moult péripéties, drames et incidents qui, bien que n’ayant jamais eu lieu, coloreront avec succès notre récit du fard du mensonge. Tenez, j’ai déjà une épatante phrase d’accroche rien que pour vous : « Il aurait tué père et mère pour savoir qui étaient ses parents. » Hum…
La patte de l’écrivain, la pâte des personnages
La force d’une saga réside aussi dans la forme de confort qu’elle offre à l’écrivain : celui d’exposer ses personnages dans la durée, de les rendre à ce point familiers qu’on s’y attache ou qu’on a tout loisir de les détester. En bénéficiant d’un traitement de faveur qu’un format plus condensé leur interdirait, les personnages acquièrent pour ainsi dire mécaniquement davantage d’épaisseur. À la condition bien sûr que l’auteur connaisse un peu son affaire, que sa touche personnelle soit goûteuse, car ce n’est pas la quantité de pâte chocolatée étalée sur une tranche de pain qui la rend savoureuse, mais sa qualité. Quand il s’agit bien de pâte chocolatée, et pas de quelque chose lui ressemblant, s’entend. Non, je ne préciserai pas : je sais que certain(e)s prennent leur petit déjeuner en me lisant.
Un habitué des lieux
En renforçant sur la longueur le lien entre les personnages et le lecteur, vous donnez un rendez-vous à celui-ci. Un peu comme si vous le conviiez à un cercle de privilégiés chaque fois qu’il se replonge dans le maelstrom des relations tissées d’une décennie à l’autre entre tous les protagonistes que vous, auteur, avez créés. Il y a des complicités comme des inimitiés, des gens qu’il espère revoir et d’autres dont il craint le retour. Il connaît le caractère de tout le monde, leurs habitudes bonnes ou mauvaises, la disposition des pièces où chacun vit et, en véritable commensal, ce qu’on sert aux repas, matin, midi et soir. Après tout, grâce à vous, ce lecteur est de la maison, pas vrai ?
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La Tour d’horizon d’une saga
Le poète de Jupiter
De sa série La Tour sombre, Stephen King dit qu’elle est « la Jupiter du système solaire de [son] imagination ». La référence est limpide tant cette œuvre, du haut de ses 4000 pages, occupe une place énorme – et à part – dans la bibliographie du maître de l’horreur. Si ses influences sont nombreuses, sa filiation avec Le Seigneur des anneaux de J.R.R Tolkien s’impose presque naturellement à l’esprit. Une parenté dont King ne se cache d’ailleurs aucunement, pour ne pas dire qu’il la revendiquerait presque. Par ailleurs, le poème L’écuyer Roland à la Tour noire s’en est venu, de Robert Browning, ainsi que le personnage de L’Homme sans nom (aussi surnommé Blondin) incarné par Clint Eastwood dans Le Bon, la Brute et le Truand lui ont à la fois servi de déclencheurs et de pièces maîtresses de la charpente de son histoire.
Un job à finir
Huit romans naîtront de cette union hybride autant marquée du sceau du western que de la fantasy, comme elle est animée par la légende arthurienne en même temps qu’elle se trouve imprégnée du genre fantastique, les segments horrifiques n’étant pas oubliés. Quand on connaît la propension de King à écrire des pavés, il était tout simplement inenvisageable que tout ça puisse s’exprimer dans le cadre d’un livre unique, support trop étriqué afin que s’épanouisse son épopée. Il aura fallu trois décennies à l’écrivain pour en venir à bout, et à ses lecteurs une patience aussi bien résignée que chargée d’angoisse à l’idée que King ne finisse pas le job, ce qui était d’ailleurs sa propre crainte.
Coucou !
Les frontières extensibles de la saga lui auront finalement permis de rendre justice à l’immense potentiel de son sujet et d’en construire la mythologie. L’Entre-Deux-Mondes (coucou la Terre du milieu chère à Tolkien !), le Haut-Parler (coucou le quenya, ou haut-elfique, langue élaborée par Tolkien !), la Tour sombre, pivot de tous les mondes possibles (coucou le poème de Browning !), les pistoleros de Gilead (coucou Clint Eastwood !), caste d’élite dont est issu Roland Deschain, le personnage principal de la Tour sombre… je ne voudrais pas débiner le génie du Maine, mais King, il fait rien qu’à copier !
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Si ce n’est pas une famille, ça y ressemble…
Aussi dur et solitaire qu’un diamant
Roland Deschain, donc : un héros solitaire qui peu à peu forme un ka-tet – un groupe de personnes plus ou moins soudées en vue de l’accomplissement d’un destin commun – (coucou la communauté de l’Anneau – ah pardon, je me croyais encore au paragraphe précédent). Héros solitaire ? Mais alors, ma théorie de long récit basé sur la famille a un peu du plomb sorti du flingue du pistolero dans l’aile, là, non ? Allons, vous n’imaginiez tout de même pas que j’allais me piéger avec ma propre question, si ? Voire me tirer une balle dans le pied ? Dans les dernières lignes de cet article situées à peu près juste en-dessous, on découvrira avec stupeur qu’il n’en est rien…
Je tue avec mon cœur
Le ka-tet peut être considéré comme une famille de substitution faite de heurts et d’alliances de circonstance, de détestations éphémères ou de complicités fragiles. On s’engueule au sein d’un ka-tet aussi fort qu’entre les murs d’une maison, mais si les fondations tremblent, le toit reste en place vaille que vaille, même si on perdra quelques tuiles en route… Tenant autant de la famille recomposée que, par certains aspects, d’une équipe de super-héros, le ka-tet est composé de membres n’ayant pas le même sang mais possèdent tous l’âme d’un pistolero. De ce fait, chacun a fait sienne cette litanie valant appartenance à une famille spirituelle :
« Je ne vise pas avec ma main ; celui qui vise avec sa main a oublié le visage de son père. Je vise avec mon œil.
Je ne tire pas avec ma main ; celui qui tire avec sa main a oublié le visage de son père. Je tire avec mon esprit.
Je ne tue pas avec mon arme ; celui qui tue avec son arme a oublié le visage de son père. Je tue avec mon cœur. »
Je ne pense pas que ce soit reconnu comme extrait de naissance à l’état civil, mais ç’a de la gueule !
La saga d’une famille ensorcelée
Dans une autre saga également un peu connue, un certain Harry Potter est un orphelin trouvant l’équivalent d’une famille à Poudlard, avec Albus Dumbledore comme figure paternelle et le (ou la, c’est comme vous voulez) professeur Minerva McGonagall à qui nombre d’observateurs attribuent un rôle maternelle vis-à-vis du sorcier à lunettes le plus célèbre au monde. On peut aussi voir chez Ron Weasley et Hermione Granger l’incarnation du frère et de la sœur, et en Ginny la cousine préférée, voire plus s’il a fini l’thé. Si affinités, vous êtes sûrs ? Alors je vous fais confiance et repars tranquillement sur mon petit nuage de lait jusqu’au week-end prochain. Ma famille de Moldus m’attend…
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