Texte présenté au terme du stage
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Au passage d’Eros
Mes deux meilleurs archers, Eros et Jérôme, se sortent indemnes de la première mission qu’ils font ensemble. Une partie de leur contrat est honorée, la 56ème tête a valsé.
En revanche, les dommages collatéraux lors de la livraison ont fait exploser le quota des pertes acceptables ; chez les britishs, aucune carcasse ne s’est relevée.
Mes deux tueurs à gages n’ont laissé aucune signature de notre institution sur le carnage. Ce qui n’est qu’à moitié pour me déplaire.
Pour le blâme, j’envoie mes deux purs sangs se faire oublier. Jérôme choisi Bruges.
Je vais savoir ce qui s’est passé. Ecouter les échos de la ville. Me mentir toujours plus profondément. M’introspecter comme jamais. Agacer le malin. Avaler les bobards, tirer les sons de cloches et revenir à l’évidence. En entrant dans l’arche d’Epicure, nul n’entre le cœur brisé et ne sort le cœur indemne.
Eros était un archer repéré dans les rues de Belgrade (par Jérôme).
Jérôme me l’avait amené un jour de pluie, une fin d’après-midi comme aujourd’hui. Au travers des carreaux un arc en ciel se dessinait sur une masse de nuages noires. Dans la profondeur de la végétation, les verts chargés d’humidité détachaient sa silhouette d’étalon, à la robe éclatante, ébène.
Jérôme, mon fidèle taureau ailé, avait porté l’écurie au firmament avec cet homme au allure de Pégase. Voilà pourtant que je l’appelais pour me dégager de ce vent de liberté.
C’était le meilleur moment là où le feuillage bruissait, où l’on croyait à peine, à tout.
Je tenais Jérôme au bout du fil. Le souffle des naseaux en signe de bonjour, j’entamais notre échange.
« – Éros est là ?
– À côté de moi, répondit Jérôme. Nous avons besoin d’oxygène. »
Nous échangeâmes des respirations, saccadées. Je déposais la Jaeger-Le Coultre sur le rebord du bureau, laissais courir la minute, la narine collée à l’écouteur, puis je raccrochais.
(…) Une page manque à mon carnet.
Jérôme passa la soirée à préparer des chocolats. Il faut dire que nous choisissons des graines d’épicuriens.
(…) Une page manque à mon carnet.
Eros décacheta l’emballage du ballotin déposé sur le guéridon blanc laqué.
Deux chocolats à lèvres rouge mis de guingois sur du velours frappé bleu du ciel.
(…) Une page manque à mon carnet.
Tu regardes mes doigts couleur cuivre rouge lisser la ganache. Je me demande si tu as pensé au thé dans la composition et le feuilletage praliné et la truffe au cœur.
(…) Une page manque à mon carnet.
« – Alors ce passage à Bruges sera bref, dit Eros.
– Où veux-tu aller ?
– Je vais retrouver un arbre près d’une petite ville aux cents clochers. Je t’y conduits ?
– Je te suis.
Texte revu après stage
L’IRRÉSOLU
J’ai apporté des corrections en cherchant à être de plus en plus claire. J’ai fait lire ce texte « après réflexion » à une de mes connaissances et ce qu’elle a compris m’a pour le moins effrayé : « C’est la rencontre d’un homme qui tire des flèches et d’un autre qui fait des chocolats » m’a dit le lecteur… Comme j’aurai tendance à mettre en doute l’auteur du texte, c’est à dire moi, plutôt que le lecteur, je me résous à donner une note explicative à la suite du texte « après réflexion ».
L’IRRÉSOLU
Ce fut la seule mission que nous fîmes ensemble.
Une partie du contrat avait été honorée, la 56ème tête avait valsé. Pour le reste, tout échoua. Les dommages collatéraux lors de la livraison d’armes firent exploser le quota des pertes acceptables ; aucun british ne se releva. Pourtant ce qui fit la vraie raison de notre échec fut qu’aucune flèche d’Eric ne sortit de son carquois et que nous ne laissâmes pas de signature de notre institution sur le carnage. Nous n’eûmes pas le temps de quitter Londres, que l’on nous envoya nous faire oublier du côté de Bruges. Nous savions ce que cela voulait dire.
Cette cible manquée par Eric était le ciment qui scellait au cercle des archers. Cette épreuve d’intronisation était d’ordinaire une simple formalité et d’ailleurs, nul n’avait jamais échoué lors de ce passage. Il n’en restait pas moins, que se soustraire à cette obligation était à payer de sa vie.
Le premier cercle chercha à savoir ce qui c’était passé. Ils s’abaissèrent jusqu’à écouter les échos de la ville, avaler les bobards et tirer toutes sortes de sons de cloches pour en revenir aux vérités immuables de notre première devise « Nul n’entre dans l’arche d’Epicure le cœur brisé et n’en sort le cœur indemne ».
Eric fut le meilleur espoir que nous accueillîmes et le seul que j’acceptai de former. Avant de se résoudre à perdre définitivement Eric, chaque membre du cercle chercha à gagner quelques jours de plus.
Moi, Jérôme, le taureau ailé, je distillais le temps comme les perles de rosée s’accrochent à l’aurore.
Eric est un archer que j’avais repéré dans les rues de Belgrade.
Le cercle réuni, comme seuls les jours d’orage le permettaient, je le fis entrer sous un arc en ciel perçant une masse de nuages noires. À cet instant, je sus que je serai le mentor de cet homme au allure de Pégase ébène. Je voudrais ne garder que ce souvenir.
Je me revois, mon carnet à la main à cette table de café, sur cette grande place du centre de Bruges, Eric en face de moi. Je me sens vide de tout.
Nous rentrons dans la charmante villa qui nous a été réservée. Je passe quelques jours à confectionner des chocolats et m’attacher à l’art de la ganache. Eric tricote. Il a déniché une petite mercerie fournie en pelotes de laine mohair et d’une qualité exceptionnelle se sent il obligé de m’expliquer.
Une page manque à mon carnet.
Je le regarde tricoter, un chausse flèche, en chèvre angora. Au meilleur moment de la journée, là où le feuillage bruisse et que l’on croit à peine à tout, le téléphone interrompt le silence. Un souffle de naseaux en signe de bonjour nous entamons un échange.
« – Eric est là ?
– À côté de moi, répondis-je. Nous avons besoin d’oxygène. »
Nous échangeons des respirations, saccadées. Je dépose la Jaeger-Le Coultre sur le rebord du bureau, laisse courir la minute, la narine collée à l’écouteur, puis je raccroche.
Je passai la soirée à préparer des chocolats.
Je revins de temps en temps voir Eric pour le trouver assis, à la même place, juste en dessous de la belle grande lampe blanche Pipistrello.
Une page manque à mon carnet.
Eric me torturait par son silence et le cliquetis régulier de ses aiguilles à tricoter.
Une page manque à mon carnet.
Je revins avec le ballotin préparé avec soin que je déposai sur le guéridon blanc laqué.
Eric posa les aiguilles, décacheta l’emballage et découvrit un chocolat mit de guingois sur du velours frappé bleu du ciel.
« – Ce passage à Bruges sera bref, dit Eric.
– Où veux-tu aller ? lui demandai-je.
– Je vais retrouver un arbre près de la petite ville aux cents clochers.
– Je t’y conduits. »
Les dernières pages de mon carnet ont disparu.
Aujourd’hui, je suis devant cet arbre. Il y a 10 ans de cela, j’y déposai Eric.
NOTES EXPLICATIVES
En gardant Jérôme comme narrateur.
Je m’appelle Jérôme et je fais partie du cercle des Archers. Nous sommes connus internationalement chez les mafieux parce que nous dégommons à l’arme blanche et notamment à l’arbalète. Aujourd’hui, je vais vous parler d’Éric, le meilleur espoir que nous ayons formé. C’est le seul que j’avais accepté de prendre sous mon aile, et pour cause.
Après une formation de plusieurs années, les candidats, quels qu’ils soient, doivent faire une mission dite « d’intronisation ». Il s’agit pour eux de tuer, et ce pour la première fois, d’une de leur flèche, une cible donnée. Pour Éric nous avions choisis une jeune canaille à abattre, une commande des argentins à honorer lors d’un passage d’armes au centre de Londres. J’accompagnais Éric. Nous partions confiants car jamais aucun archer n’avait échoué.
À peine arrivés sur le lieu de la livraison d’armes, une fusillade éclata. Éric n’eut pas le temps de dégainer que tous les participants étaient à terre dans un bain de sang. Que s’était-il passé ? Nous ne le sûmes jamais. Cela n’avait que peu d’importance à côté du sort qui était réservé à Éric pour avoir manqué sa cible.
Le règlement était strict, il devait mourir. De Londres, les membres du cercle nous envoyèrent à Bruges nous faire oublier pendant quelques jours et leur laisser le temps de digérer, non pas le carnage, mais bel et bien la perte d’Éric.
C’est moi qui avait la charge de m’assurer de son exécution. Nous avons passé quelques jours dans une villa à attendre les ordres.
Quand le verdict tomba, je laissais le choix à Éric du lieu de sa mort. Il choisit un arbre
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