Publier ou la rupture amoureuse d’un texte
À notre façon acharnée, nous entretenons une passion amoureuse avec les textes que nous écrivons. La différence avec celle que nous aurions envers un être fait de chair et de sang est que notre relation avec notre amant(e) de papier est à coup sûr vouée à la rupture.
Un écrivain capitalise sur l’abandon de croyances naïves, telles que le génie instantané ou l’inutilité de structurer son intrigue. Un couple renonce à l’idée d’une confiance aveugle quand survient une tromperie, chacun repartant construire sa vie. Le point de convergence est qu’en cas d’échec, du neuf, du remplacement si l’on peut dire, est inévitable.
Les impossibles noces de chêne de la littérature
On ne fêtera pas nos noces de chêne avec une nouvelle ou un roman, bien qu’écrits au prix de nuits enfiévrées, à grand renfort d’inspirations lumineuses. Pourtant, ces phrases occupaient notre esprit jusqu’à hanter nos rêves. Et dès le réveil – si jamais nous avions dormi, tout habité d’une farandole de mots -, nous n’avions pour seule envie que de rejoindre notre histoire pour la poursuivre de nos assiduités.
Le détachement sentimentalo-littéraire
Seulement, si le temps où on a alimenté cette histoire était comme un élan frénétique, on savait d’avance qu’il était compté, car elle devait impérativement prendre fin. Destinée, dans le meilleur des cas, à ce qu’on se la remémore de temps à autre avec plus ou moins de nostalgie, cette idylle est condamnée dès ses prémices. Car que voulons-nous d’autre que cette séparation qui nous laissera l’étrange impression d’un détachement sentimental en même temps qu’elle nous offre des perspectives ?
Les liaisons-nouvelles
Il m’arrive de relire certaines de mes nouvelles. Avec indulgence pour les plus anciennes amourettes. Avec un curieux effroi pour ces mantes religieuses qui m’ont laissé pour mort de leur avoir tant donné. Avec l’étonnement de qui croise un visage autrefois chéri, y cherchant vainement l’attrait d’une séduction enfuie ; ou enfouie ? Avec l’illusion qu’en compagnie de telle ou telle autre, un bout de chemin supplémentaire aurait été possible, voire indispensable. Avec la satisfaction de m’être encanaillé dans les jupons de quelques paragraphes.
Le divorce perpétuel de nos obsessions d’auteur
À l’image d’une rupture, on ne se remet jamais tout à fait d’avoir écrit, et d’ailleurs jamais il ne faut s’en remettre : c’est ce qui nous définit en tant qu’écrivain ; les passages les moins flatteurs – nos disputes avec le texte -, comme les plus fabuleuses étreintes de nos mots. Ces passades textuelles sont autant de parfums, affadis ou puissants, qui constituent l’herbier de notre âme. Ce bouquet séché marque page après page le divorce perpétuel d’avec nos obsessions d’auteur. Et nous rappelle que nous avons rompu pour rompre encore, afin de mieux brûler notre imagination aux feux d’une infidélité créatrice.
Délaisser un polar pour séduire un poème, et payer cet écart au prix d’un anathème ; faire de ces adultères malgré le lourd reproche, un travail littéraire que des idées chevauchent…
D’une rupture amoureuse, on fait une fin heureuse.
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