Texte présenté au terme du stage
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La croque-monsieur
JP ouvre les yeux avec difficulté. La lumière de la table de chevet l’agresse. Il a mal aux cheveux. Assoiffé, il passe la langue entre ses lèvres. Que se passe-t-il avec ses dents ? Elles lui semblent particulièrement longues.
Aussi délicatement que possible, il se lève, sa main soutenant son front – comme si cela pouvait contenir son mal de tête – et à tâtons se dirige vers la salle de bains. Il pousse la porte grinçante, ôte lentement sa main et reste interdit. Devant lui, au-dessus du lavabo, un magnifique miroir aux contours dorés… ne lui rend pas son image. Choqué, il fait un pas en arrière, bute contre son sac de voyage, bascule et se cogne la tête contre le montant du lit. C’est le noir complet.
Flash-back. Le séminaire dentaire. Les Carpates. Le château. La soirée à boire. Et… Une plantureuse déesse à la peau blanche qui se dessine au bout du comptoir. Les yeux aussi noirs que sa chevelure, sensuelle dans sa robe bleu nuit qui épouse sa silhouette parfaite.
Elle détaille minutieusement chacun des hommes de l’assistance. Mais JP se sent unique quand son attention se fixe sur lui. Les doigts aux longs ongles peints en rouge se posent sur le rideau de velours grenat. Elle caresse le tissu feutré qui court après sa main, découvrant une pièce sombre simplement éclairée par des dizaines de bougies.
Un à un, les séminaristes y pénètrent. Des ombres dansent sur les murs de pierre brute, se frôlent, s’unissent.
Sur ses hauts talents muets qui glissent sur le parquet grignoté par l’humidité, leur hôtesse avance d’un pas lent, se place au centre du sanctuaire. Comme une seule entité, la gent masculine fait cercle autour d’elle.
Sur un guéridon en bois pourri reposent une coupe dorée et un athamé.
La femme saisit l’arme et en passe le fil sur son avant-bras, laissant perler le sang qui emplit le récipient. Elle lèche la lame dans toute sa longueur, lentement, délicieusement. JP croit apercevoir ses dents poindre de sa lèvre supérieure.
La senteur métallique se mêle à l’odeur bouchonnée du caveau et de la cire. Mélange écœurant qui lui fait plisser les narines. Pourtant le désir bouillonne en lui.
En un instant, il est devant elle. S’est-il déplacé ou est-elle venue à son encontre ? Elle capture son regard. Prisonnier, il s’oublie. Il penche la tête sur le côté, respire avec difficulté, impatient qu’il est de se soumettre à sa maîtresse.
En un sourire satisfait, elle dévoile ses longues canines effilées qu’elle fait plusieurs fois glisser sur la peau de JP, accentuant la caresse coupante à chaque passage. Elle colle son corps glacial à celui de l’homme tandis que ses ongles lui griffent le cuir chevelu… et violemment lui croque la jugulaire. Malgré la douleur, JP se sent à l’étroit dans son boxer. Il est excité. Lorsqu’elle se détache de lui, il a envie de pleurer. L’absence de la créature lui fait mal. Comme si elle souhaitait l’apaiser, elle lui tend la coupe qu’il porte à ses lèvres. Le nectar écarlate roule sur sa langue. Une gorgée. La souffrance s’efface. Sa conscience aussi.
La lumière s’allume enfin au plafond de son crâne et clignote en rouge : vampire !
« Salope ! » hurle-t-il, les yeux fous, les narines frémissantes.
Faisant fi de son mal de tête, il se relève d’un bond. « Et quand je pense que j’ai voulu la sauter… ». Un tic agite sa lèvre supérieure. Il sait ce qu’il doit faire : la trouver et lui planter un pieu dans le cœur pour être libéré.
Attrapant la chaise de la chambre par les pieds, il la balance violemment contre le miroir de la salle de bain, ce traitre qui se gausse de sa malédiction. Aux bris de glace se mêle le squelette brisé du meuble. Il en saisit un pied.
Avant de sortir de la pièce, un sourire perfide et sadique rivé au visage, il renverse sa trousse médicale et éparpille au sol tous les instruments de torture : fraises, pinces à extraction… qu’il fourre direct dans ses poches.
Lorsqu’il ouvre la porte, Ted se dresse devant lui, livide, les yeux injectés de sang.
– Désolé mec, j’ai pas le temps de discuter avec toi, dit-il en essayant de le pousser. Mais son collègue le saisit par le bras avec une force que JP ne lui connaissait pas.
– Tu vas t’excuser ! Maintenant !
– Hein ?
– Tu vas t’excuser ! hurle Ted, pour toutes les saloperies que t’as dites sur Céline.
– Céline ?
– Ma femme, espèce de connard. Tu t’es tapé ma femme à la soirée de Noël de la boite. J’suis au courant, lui crache-t-il au visage en dévoilant des ratiches surdimensionnées.
JP a un mouvement de recul. Là, il flippe.
– Ok, ok, mec. J’suis désolé. Maintenant lâche-moi dit-il en essayant de se défaire de l’emprise de Ted.
– Sûrement pas. Tu vas p…
JP réagit par instinct et lui plante le pieu dans le cœur. Ted s’écroule. Son corps est pris de spasmes comme si ses organes entraient en ébullition. Des sillons se forment, s’élargissent, dégueulant un sang mêlé d’humeur. Il ne reste bientôt de son collègue qu’un tas de chair visqueux qui crépite.
JP prend ses jambes à son cou et s’élance dans le couloir… Direction les entrailles du château… Il dévale les marches en pierre, dérape sur l’une d’elle, dégringole comme un pantin désarticulé et se relève douloureusement. Qu’importe, le temps presse. A l’extrémité du boyau, seulement éclairé par des torches rivées au mur, une porte en bois précieux est entrebâillée. Une forte odeur de moisissure et de cuivre lui agressent le nez. Il pénètre dans la moiteur de la cave et trouve au milieu le cercueil.
L’échalas dans la main droite, la pince dans la gauche, il s’approche presque timidement. Il la voit. Elle est bien là, dans sa robe de satin noir largement décolletée qui ne laisse que peu de place à l’imagination. C’est quoi son problème ? Il bande à nouveau ! « Bordel, je te sauterai bien avant de te tuer ». Le regard salace, il se penche un peu. Un battement de cil de l’hôtesse. La peur. Il ne pense plus et abat le pal, avec toute la violence dont il est capable, dans sa cage thoracique.
Les formes généreuses s’affaissent. La peau se parchemine, se rétracte, dévoilant ses crocs aiguisées longs de 2 cm. Il hésite et finalement se jette sur elle. Avec sa pince, il lui arrache les dents « tu boufferas plus personne, espèce de pouffiasse ! ».
La violence a calmé sa terreur. Il s’éclipse, rejoint le grand salon et aperçoit dans le corridor qui mène à l’entrée cinq vampires les uns derrière les autres. Il tourne la tête droite, à gauche… Il sait ce qu’il doit faire. Alors que le train diabolique fonce sur lui, il attrape une queue de billard sur le râtelier, la tient à l’horizontal, s’élance sur ses assaillants et embroche les sacs à sang.
Un dernier sprint, il est devant l’entrée du manoir. Un rayon de soleil glisse sous le pas de la porte. Le sourire aux lèvres, il l’ouvre en grand… et prend feu… sous le regard de la jumelle sexy de la défunte, vêtue d’une robe bleu nuit.
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