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Le polar se réinventerait-il ?

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Sommaire

Solide valeur éditoriale, le polar semble avoir de beaux jours devant lui. Cela ne l’empêche pas de se renouveler, s’inscrivant dans son époque en épousant des thèmes ayant le vent en poupe. Et en tenant aussi compte du climat anxiogène du moment afin de proposer au lecteur une littérature moins violente. Faut-il craindre de le voir intégrer des débats de société au risque que ses fondations en soient ébranlées, ou se réjouir qu’il fasse preuve d’une belle vitalité à travers des auteurs s’intéressant au monde qui les entoure ? Pulvérisons un peu de luminol sur cet article afin de découvrir si le polar a encore du sang dans les veines…

Le meurtre confortable

Quittons la morgue

Je rassure tout de suite ceux que ça inquiéterait : ce n’est pas demain la veille que sous le tacatac dactylographié des tauliers du polar, les morgues risquent de désemplir. Néanmoins, il existe une branche du genre policier qui n’est pas forcément aiguisée comme une broche à cadavres : le cosy crime, ou cosy mystery, ou encore cosy murder. Loin d’être un sous-genre récent, il a connu un vif succès grâce à des personnages comme Miss Marple, tout droit sortie de l’imagination d’Agatha Christie. Depuis plus de quatre ans ou moins, ce sont des héroïnes comme Agatha Raisin (1), issue de l’esprit facétieux de M.C. Beaton, ou Lady Giorgiana de Rannoch – appelez-là Georgie – née  sous la plume de Rhys Bowen (2), qui lui valent son regain de popularité.

Quand les écrivaines ont du sang anglais

Ces romans mettant en scène des « détectives » amateurs – souvent des femmes – ont comme autre particularité de ne pas mettre les petits flacons dans les grands, question hémoglobine. À peine y va-t-on avec le bout de la seringue afin de prélever la goutte de sang nécessaire pour contenter le public habitué à ce que s’élargissent des taches suspectes sous la loupe d’un enquêteur. Le but n’est en effet pas de plonger le lecteur dans un effroi morbide, mais de lui apporter un moment de délassement en lui proposant des intrigues où l’humour prend notamment l’accent anglais. L’assassinat feutré à l’ombre d’un cottage paisible, voilà qui pourrait résumer ces polars soft où l’on tirerait presque à balle à blanc pour conserver leur caractère immaculé aux dépouilles des victimes.

Plaies et boss

Pour les auteurs débutants férus d’énigmes mais peu à l’aise dès que la pestilence de la scène de crime agresse le sens olfactif, le cosy mystery paraît être un bon créneau. Pour ne pas dire la recette idéale quand on a trop froncé le nez en humant de noirs effluves qui assouplissent les narines en tirant sur le rose. Prenez un canevas policier classique. Ajoutez un corps dont chaque plaie paraît se clore rapidement à l’aide d’une fermeture Éclair afin que rien de dégoûtant ne s’en échappe. Glissez çà et là des pointes ironiques sauce british. Servez le tout accompagné d’un thé fumant au-dessus duquel s’échangent les regards malicieux de personnes tout autant audacieuses que respectables. Voici à peu près les ingrédients d’un genre qui se révèle attractif par sa douceur supportant quelques touches pimentées. Et dont les femmes sont désormais les boss.

Le polar sociétal

Dérèglement « crimatique »

Le crime sous le sceau du dérèglement climatique ? Pourquoi pas ! Là où on voyait rouge, on va tuer Vert. La sphère écolo brasse tellement d’enjeux qu’il y a forcément moyen de faire du compost avec les gêneurs. Les offenses à Dame Nature étant légion, les sujets ne manquent pas pour lui donner l’occasion d’exiger réparation. Tout porte à croire, étant donné le nombre de blessures ouvertes que compte la planète, qu’il ne s’agisse pas d’une ramification sans lendemain de ce sous-genre. Les auteurs en herbe trouveront logiquement un terreau fertile à leurs envies de meurtres littéraires dans ce vaste domaine de causes à défendre, et s’évertueront à faire encore plus du genre humain une espèce en voie de disparition. Colin Niel, Geoffrey Le Guilcher (3) et bien d’autres ont déjà œuvré en ce sens.

Sardou l’avait prédit

Ah, si le féminisme n’existait pas, il faudrait inventer les femmes ! S’agissant d’imaginer quel sort elles doivent endurer sous le joug de leur bourreau quotidien ou celui qu’elles leur réservent, la littérature de genre semble plus que jamais gonflée du vent qui s’est mis à souffler d’outre-Atlantique jusqu’à mugir dans nos contrées. N’ayant pas encore lu les titres évoqués par Livre Hebdo dans son numéro spécial polar auquel cet article doit beaucoup, je ne peux qu’espérer avoir droit à des romans coups-de-poing sans que la gauloiserie dans ce qu’elle a de délicieux ait à en souffrir. J’ai donc foi en la subtilité féminine pour exceller dans un registre se prêtant parfaitement à déboulonner la phallocratie afin que s’imposent des voix du sexe dont la prétendue faiblesse relevait en fait d’une  forte identité jusque-là mise à mâle. C’est pourquoi j’attends avec impatience la parution de The Jigsaw Man (4) et la découverte de Manger Bambi (5), entre autres. Du strict point de vue littéraire, j’ai vraiment hâte d’être une femme à la façon dont Sardou l’avait prédit

Quand les écrivains plaident pour le polar

Livre Hebdo pointe aussi l’émergence d’écrivains sortis du sérail : des auteurs (6) qui de près ou de loin côtoient les affaires judiciaires, quand ils ne sont pas des femmes et hommes de terrain. Pour ma part, la référence absolue, bien qu’elle puisse paraître datée tellement il s’est inscrit dans la longueur en tant qu’avocat comme un spécialiste des rouages d’affaires tordues, reste John Grisham. Je n’ai lu que cinq de ses bouquins, tous excellents. Avec un écrivain pareil, j’y vais les yeux fermés comme la Justice bandée. Son regard professionnel teinte ses histoires d’une véracité sans égal. Il sait de quoi il parle, et il en parle bien. Si aucun de ses bouquins ne vous est tombé entre les mains, c’est un achat que je vous conseille, que ce soit La firme, Le client ou Le couloir de la mort, il m’étonnerait fort que vous soyez déçu de votre lecture. L’industrie cinématographique ne s’est pas trompée en adaptant sur grand écran plusieurs de ses romans.

Où sont les flingues ? (Faut que je dégomme le point médian)

Je ne pouvais décemment pas terminer un article sur le polar sans exhiber quelques pétards fumants (ce pétard n’étant pas à prendre dans le sens familier, limite argotique, de fessier. Sinon nous parlerions d’un autre genre littéraire. Mais bien dans celui de revolver et autres pistolets. Tiens, vous me ferez penser à rédiger un papier sur l’argot, à l’occasion). Alors, qui dégaine le plus vite ou qui a la plus grosse… puissance de feu ? Si vous me lisez régulièrement, vous ne serez pas surpris·es (vous venez de vivre ma seule incursion dans l’écriture inclusive, que je vomis ici à grands seaux) de lire des noms dont la moindre syllabe me met en joie : Jo NesbØ, Dennis Lehanne, Michael Connelly, James Ellroy, Donald Ray Pollock, Don Winslow, R.J Ellory… curieusement, leurs ouvrages sont encore en vente libre, alors jetez-vous vite dessus, ou basculez dans la clandestinité littéraire quand on leur interdira de nous terroriser au chant du plomb qui siffle !

(1) Trente tomes d’Agatha Raisin, aux éditions Albin Michel. L’auteure, Marion Chesney Gibbons, plus connue sous le pseudonyme M.C. Beaton, est décédée en 2019.

(2) Rhys Bowen est notamment connue – et reconnue – pour la série Son espionne royale, aux éditions La bête noire/Robert Laffont.

(3) Entre fauves, Colin Niel, éditions du Rouergue. La pierre jaune, Geoffrey Le Guilcher, éditions Goutte d’or.

(4) The Jigsaw Man, Nadine Matheson, pas encore traduit par un éditeur français aux dernières nouvelles. On patiente.

(5) Manger Bambi, Caroline De Mulder, collection La Noire, Gallimard.

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