Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Que faire des mauvais livres ?

De nombreux livres

Sommaire

Qu’est-ce qu’un mauvais livre, hors de l’ennui qu’il provoque ? Au-delà des soupirs agacés qu’il fait naître au fil des pages ? Une perte de temps dont nous sommes la victime et le complice. Pour commencer, nous n’aurions pas dû l’acheter, mais on a su si bien nous le vendre que l’on s’est fait berner. Tant pis, une fois constaté son total manque d’intérêt, il suffit de le ranger dans un endroit hors de la portée des enfants et de ne plus y penser. Ce geste salvateur interviendra au maximum une fois avalé sans faim le premier chapitre… à moins qu’on lui laisse sa chance ? Qu’on perde encore un peu plus de temps ? Pour savoir comment ça finit… Eh oui…

Le temps de papier

Les oubliables chronophages

Certains auteurs, de par leur prose d’une atroce banalité, plus creuse qu’une pirogue, nous marquent si peu qu’on a l’impression de ne les avoir jamais lus. Constat cruel pour eux, et désolant pour nous en songeant à la perte des précieuses heures que nous aurions pu consacrer à un très bon écrivain au lieu de s’infliger une telle lecture. Ces auteurs oubliables nous ont en effet définitivement privés de l’occasion d’en découvrir un dont le talent leur était supérieur à un point qu’il serait insultant, pour l’un comme pour l’autre, de les comparer. J’insiste sur le côté définitif : rien ne se substitue au temps gaspillé, vous le savez. Vous pourriez lire dix fois plus vite qu’il vous serait impossible de remettre ne serait-ce qu’une seconde dans une horloge. Alors des heures…

Une fêlure dans le sablier

C’est souvent bien trop tard qu’on s’aperçoit avoir créé une fêlure dans notre sablier de lecteur. Une fuite temporelle qui nous fera défaut en bout de parcours, quand viendra le moment de notre ultime lecture.  Ce livre que nous aurions dû avoir entre les mains à la place d’un ouvrage indigent manquera à l’appel quoi qu’on fasse. Multiplié par tous les romans sans saveur qui auront échoué sous nos yeux, vous pouvez mesurer l’étendue des dégâts. Le constat est simple : toute lecture d’un mauvais livre se fera systématiquement au détriment d’un bon livre. Puisque nous avions décidé de réserver un moment à cette plaisante activité, elle ne se serait pas effectuée en lieu et place d’une balade en forêt, d’un après-midi en famille ou de tout autre loisir, non. Ce temps-là était dévolu à la seule lecture. Seulement, nous n’avions pas choisi le bon auteur. Hélas, ça arrive.

Les illusions lacunaires

On ne peut blâmer qui a essayé d’écrire sans avoir été équipé intellectuellement pour ça ni s’être doté du minimum des compétences nécessaires à la rédaction d’un ouvrage honnête. Vraiment ? À la réflexion, je pense qu’un reproche puisse lui être fait sur ce second point. Avoir du talent consiste avant tout à ne pas s’en suffire. Si l’auteur ne conçoit pas qu’écrire est un apprentissage permanent, son éditeur au moins aurait dû se charger de le lui signifier pour épargner au lecteur trop confiant d’hériter d’un travail inabouti, mal ficelé, dénué de la moindre originalité et que sais-je encore. Après tout, c’est à lui qu’il revient de rappeler à quelqu’un dont le niveau prouve qu’il en est encore à apprendre son métier combien il faut bosser dur si l’on désire obtenir un texte digne d’intérêt. En refusant de le publier, par exemple. On peut s’illusionner quant à son talent même si on n’en dispose pas ou peu tant que personne du métier ne relève vos lacunes.

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La lutte contre la médiocrité

La médiocrité adoubée

Apparemment, il existe des comités de lecture plus désireux d’inscrire un maximum de titres « rentables » à leur catalogue que d’exiger un minimum de critères basiques pour la bonne lisibilité d’un bouquin. J’évoque ici des maisons d’édition faisant sciemment le choix de pousser des auteurs en dépit de leur médiocre niveau, seulement parce qu’ils correspondent à une demande du moment parfois élaborée pour partie artificiellement. Commercialement, ça se défend. Il faut bien vivre. Mais quand un auteur que la moindre contrainte rebute – s’estimant peut-être pétri d’un tel génie qu’il pondra à tous coups un chef-d’œuvre sans passer par la case départ – est adoubé par des « professionnels » extrêmement conciliants, c’est en bout de chaîne le lecteur qui en fait les frais. Puis ce peut être un mauvais calcul, en fin de compte. C’est très bien d’avoir pléthore de chevaux dans son écurie, mais si aucun ne dispose des aptitudes indispensables pour  remporter les courses les plus prestigieuses, ce même lecteur finira par tourner casaque.

Le bas de gamme tentaculaire

Il n’est pas dans mon intention de faire au cours de cet article le procès des fainéants ou des personnes ayant une haute opinion d’eux-mêmes, car dans un cas comme dans l’autre quelqu’un finirait bien par me traîner moi-même devant un tribunal en s’estimant plus travailleur et plus humble que moi. Pas question non plus de clouer au pilori des éditeurs qui dans l’ensemble ne demanderaient qu’à publier des écrivains brillants. Non, ce qui m’intéresse aujourd’hui est de considérer combien nous perdons notre temps en nous montrant trop indulgents envers la littérature bas de gamme qu’on nous déverse par palettes entières ne serait-ce que lors de la rentrée littéraire. Et, accessoirement, comment il se fait que cette littérature ait acquis au fil des années une présence tentaculaire.

L’orchestration d’une fugue pour lecteur

Ne confondons pas succès et talent : des livres de piètre qualité, il s’en vend par dizaines voire par centaines de milliers chaque année si un heureux concours de circonstances s’en mêle. Heureux pour l’auteur, s’entend.  Un bouquin ne valant pas tripette peut occuper la première page des magazines grâce à l’effet de mode suscitant le bouche à oreille – pardon, grâce à la hype déclenchant le buzz, pour ceux ayant abandonné les expressions ayant encore cours il y a peu. Une campagne publicitaire savamment, voire suavement orchestrée par des personnes dont le métier est de vous fourguer aussi bien un livre qu’un mixeur suffit parfois à faire émerger du lot un auteur à suivre (dont on découvrira neuf fois sur dix après avoir jugé sur pièces qu’il entre plutôt dans la catégorie des auteurs à fuir).

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Du Café de Flore à la Macarena

L’équilibre à tout prix

Vous connaissez le bandeau rouge barrant la couverture d’un roman auquel tel prix littéraire célèbre ou tel autre vient d’être décerné. Il est normal que ce que l’on considère comme un gage de qualité s’affiche fièrement. Seulement, le procédé a pris ses aises hors du Drouant ou du Café de Flore et aurait de plus en plus tendance à fréquenter le troquet de quartier pour revendiquer tout et n’importe quoi d’invérifiable… sauf à lire le livre ainsi valorisé. Mon propos n’est pas de dire que se raccrocher aux élites sauvera la littérature de ses travers mercantiles. Ni que de s’en détourner dans un réflexe « populaire » permettra de démocratiser l’accès à la lecture, et par là, l’apprentissage de l’écriture. J’appelle simplement de mes vœux un  – utopique ? – juste milieu permettant une offre assainie.

Ce bandeau qui nous aveugle

S’il est primordial qu’à côté de paquebots éditoriaux vogue une armada d’embarcations plus modestes, on aurait tort d’y voir l’assurance d’une vitalité littéraire qui ne saurait se régénérer que dans la quantité et dans des « produits d’appel » diversement vantés, pour ne pas dire qu’ils le sont parfois avec fantaisie. Ainsi voit-on fleurir sur les fameux bandeaux « La nouvelle voix du polar (adaptable à tous les genres, bien sûr)», « Le nouvel Untel (référence à un romancier incontournable de la planète littéraire) », « L’écrivain-phénomène de l’année » (vous ignoriez totalement son existence jusqu’alors, mais qu’importe, puisqu’on vous l’affirme), « Le roman qui a fait frissonner l’Amérique » (le Luxembourg, c’est moins vendeur). Bref, derrière ces appellations ronflantes à la limite de la malhonnêteté intellectuelle se cache trop souvent l’équivalent en musique d’un tube de l’été.

Les trémoussements de la littérature

S’il n’est pas répréhensible de se déhancher sur la Macarena (pour prendre l’un des pionniers des tubes « modernes »), il ne me paraît pas souhaitable que la littérature « festive » – comprenez sans d’autre prétention que de divertir, noble but – devienne la norme, ou en tout cas empiète de façon trop prononcée sur des ouvrages ayant des visées plus ambitieuses. Là encore, il ne s’agit pas de défendre un pré carré d’où l’intelligentsia écraserait de sa suffisance les « petits » auteurs, mais bien qu’une sélection plus rigoureuse s’opère afin que toute l’industrie du livre ne soit pas à plus au moins long terme « polluée », ou « gangrénée » par des influenceurs et autres rois du marketing. Je rappelle par ailleurs qu’un livre doit disposer d’une couverture très souple pour s’autoriser un déhanchement harmonieux.

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L’humour, les Indiens et les efforts

Livre léger et lourdeur du mauvais livre

Je différencie bien entendu le livre léger, conçu pour nous procurer un moment de détente, qui fait passer le temps sans nous en faire perdre, du mauvais livre dont l’apport est nul hormis dans un strict usage formateur, comme on le verra plus loin. Les occasions de sourire n’étant pas si fréquentes, un bouquin en offrant la possibilité est selon moi un très bon investissement même s’il n’élève pas notre âme vers de hautes sphères intellectuelles, l’un n’empêchant d’ailleurs pas l’autre. Bien entendu, il existe aussi des mauvais livres dans le registre de l’humour, provoquer l’hilarité se révélant difficultueux pour qui n’en maîtrise pas les ressorts les plus subtils. Pour terminer ce paragraphe par un truisme, ayez en tête que la diversité des genres représente ce que la littérature a de plus riche… pourvu que la qualité d’écriture soit au rendez-vous.

Quand une toquade brouille la vision du lecteur

Il est naturel que, selon les périodes, des sujets et la manière de les traiter – récemment, la littérature feel good – s’imposent dans le paysage éditorial. Mais sur la masse que cela génère de livres n’appartenant qu’à la toquade du moment, le taux de déchet est disproportionné, premier point négatif. Le second étant que cette profusion retire de la visibilité à une littérature plus exigeante. Je ne parle pas des valeurs sûres trustant les meilleures places des rayonnages, mais des écrivains plus que prometteurs relégués entre un recueil sur les blagues du Net, un roman d’un marquis de Sade du pauvre bombardé œuvre érotique culte et la biographie d’une starlette de la téléréalité. Alors oui, les écrivains qui « comptent », reconnus par leurs pairs et plus important par un lectorat averti ont encore des espaces qui leur sont dédiés ; souhaitons qu’ils ne se transforment pas en réserves les vouant à devenir les Indiens de la littérature. Je  vous semble alarmiste, enclin à l’exagération ? Faites un tour dans les librairies ou dans les « grandes surfaces » du livre…

Les goûts et les couleuvres

Vous allez me dire : il en faut pour tous les goûts. J’entends souvent cet argument qu’il est facile de retourner en rappelant que le goût s’éduque. Et  qu’il me semble pour le moins étonnant de penser qu’une éducation se passe d’efforts. Certains voudraient nous faire avaler ce genre de couleuvres. Mais la littérature prémâchée n’a jamais incité à l’émancipation cérébrale. Alors de quels efforts parle-t-on ? Celui consistant à se tourner vers des écrivains ayant été mis à l’épreuve du temps (sans remonter plus loin que le siècle dernier pour ceux que les « classiques » barbent à l’avance) et ayant triomphé de la majorité des critiques, même des plus subjectives, loin des jugements spéculatifs ; celui aussi amenant à examiner avec l’acuité et la pertinence requises la culture tape-à-l’œil ; celui enfin, qui jusqu’il y a peu ne me paraissait pas en être un mais m’a l’air de l’être devenu, consistant à ne pas laisser les autres être curieux à notre place… Ces efforts-là.

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Le bon côté du mauvais livre

Les enseignements du mauvais livre

Pour autant, rejoignant l’avis d’Antoine Albalat à l’époque où j’ai travaillé sur Vingt bonnes raisons de devenir écrivain, je ne condamne aucunement une forme d’étude des mauvais livres dans le sens où elle peut nous faire progresser. Puisque « c’est l’exemple des choses médiocrement écrites qu’il faut aussi lui donner [à l’auteur débutant] pour lui apprendre à les fuir. ». Et pour s’exercer, prendre « un morceau de prose ordinaire, en poussant l’exécution, en le refaisant, en le perfectionnant. » ; il y a bien là une base de travail. Mais à petites doses, comme, selon la légende, Raspoutine buvait d’infimes gorgées de poison afin qu’une quantité plus forte administrée par un empoisonneur lui épargne la mort. Eh bien, éclairé par cet exemple, en évaluant soigneusement le degré de nocivité neuronale auquel on s’expose, il me semble intéressant de se frotter au danger d’être un instant tiré par le bas. D’avoir l’esprit un temps intoxiqué par une littérature contaminée par les pires clichés, les facilités scénaristiques et la pauvreté stylistique, entre autres.

Quand le livre est sur un ring

Tiens, puisque j’en parle : Angelo Dundee, l’emblématique entraîneur de Mohammed Ali et de bon nombre de champions du monde de boxe, a dit un jour que « Ce sont les styles qui font les combats ». Je pense qu’il savait de quoi il parlait. Pour établir un parallèle percutant avec la littérature, je dirais que ce sont pour une bonne partie les styles qui font les livres. Et dans ce domaine, force est d’admettre que tout le monde ne boxe pas dans la même catégorie. S’il n’est pas tout dans le Noble art comme en écriture, le style n’en demeure pas moins l’une des plus fortes caractéristiques d’un boxeur ou d’un auteur, son identité. Et en ce qui me concerne, il constitue une très bonne raison de reposer un livre qui en est dépourvu. Ou comment étouffer dans l’œuf une perte de temps.

Ni la paille ni la poutre

L’approche d’un roman raté ne doit cependant pas être railleuse, sans quoi tout le bénéfice d’une telle démarche serait perdu dans une moquerie stérile. Il ne s’agit pas, en abordant un texte qu’on sait très faible, de le mesurer à l’aune de ce qu’on est soi-même en mesure de proposer. Je n’ignore certes pas comme il est tentant de se voir en Zorro littéraire et à ce titre rire sous cape, mais passé le premier « amusement », il faut donner du sens à sa lecture. Si on apprend de ses erreurs, on ne parvient pas toujours  à émettre un jugement impartial sur leur portée réelle, car rien ne nous touche d’aussi près que ce qu’on a écrit, du moins pour les personnes ayant mis tout leur cœur dans chaque paragraphe. Il est donc plus confortable de trouver matière à réflexion dans celles des autres, car aucun barrage émotionnel ne nous en défend l’accès. Sans verser dans le jeu de la paille et de la poutre, je le rappelle. S’appliquer à améliorer un texte dont on est sentimentalement détaché permet sans nous remettre directement en cause de pointer des défauts de fabrication qui trouveront ensuite un écho lorsqu’on s’attachera à corriger notre propre travail. Même si cela ne nous sert qu’à la marge, que les modifications que cela entraîne dans la façon de peaufiner notre prose sont mineures, cela restera un outil supplémentaire à notre disposition.  

Deux cents ans devant vous

En guise de conclusion, il peut être utile de se livrer à un constat : depuis que la littérature s’est répandue à travers le monde, atteignant toutes les couches de la société, il s’est écrit plus d’excellents livres que vous ne pourriez en lire, vivriez-vous encore deux cents ans. Quand bien même vous viendriez à bout de deux ou trois romans par semaine. Je n’affirme pas que tous vous plairait, mais je suis prêt à parier que chacun d’entre eux répondrait à un degré d’exigence tel que votre esprit y trouverait à tous coups matière à s’enrichir. Je vous souhaite donc de très bonnes lectures pour les deux cents ans à venir…

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