Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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À partir de quand n’est-on plus un auteur débutant ?

Sommaire

On est un auteur débutant combien de temps ? À partir de quand ou de quel événement change notre statut d’écrivain ?

Seconde partie

Le propre d’un sujet inépuisable est de provoquer le harassement de celui s’imaginant en venir à bout. Autant dire qu’en raison de mon âge canonique (j’ai servi dans l’artillerie) et d’un été indien qui pourrait bien avoir mon scalp, un plan anti-canicule s’impose naturellement : m’abreuver aux pensées rafraîchissantes d’écrivains afin d’étancher ma soif de comprendre pourquoi débuter est un éternel recommencement. La fontaine de jouvence littéraire qu’est cet article bouillonne déjà d’impatience de vous savoir désaltéré des eaux calmes de l’expérience…

« Certains auteurs se regardent écrire avec délectation sans se soucier d’avoir quelque chose à dire. Un peu comme un architecte qui tomberait amoureux de ses échafaudages. »

(Un seul soleil, chacun son ombre – Grégoire Lacroix – Éditions Max Milo)

Un manoir d’idées

Combien il est doux d’imaginer son roman achevé tel qu’on l’a rêvé, aussi beau et imposant qu’un manoir d’idées ! Le merveilleux mot initial d’une histoire telle la première pierre noble d’une demeure. La promesse de voir notre ambition créatrice s’élever, que ce soient des pensées qu’on érige ou des murs que l’on dresse. Alors on se berce de ce beau projet en voyant le vaste chantier où tant de matériaux n’attendent que notre inspiration se charge de les assembler. Seulement, là où l’auteur débutant aménage un intérieur entre les cloisons bâties du vent de ses illusions, l’écrivain aguerri a déjà tracé ses plans et enduit sa truelle. Le débutant dispose en imagination les bibelots qui orneront une pièce, l’aguerri sait précisément quelles formes auront les niches et les étagères qui les accueilleront. L’auteur en herbe aime la possibilité d’un art, l’écrivain confirmé peaufine le sien avec lucidité.

L’échafaudage du sommeil

Il y a dans la construction d’un récit ou de toute autre discipline requérant d’être inspiré une nécessaire part onirique où les idées nous viennent, comme le prouve une célèbre anecdote concernant Leonard de Vinci. Des cardinaux furent surpris de le trouver endormi sur son échafaudage alors qu’il peignait dans le Vatican. Comme les prélats lui en faisaient la remarque, le génie artistique, s’éveillant soudain de sa sieste créatrice, répondit : « Pendant que je dors, je fais plus de travail qu’à l’état de veille », ou, autre version – désolé de ne pouvoir trancher, je n’étais pas sur place pour vérifier –, « L’œil voit les choses de façon plus certaine dans les rêves qu’il ne les voit par l’imagination durant la veille. ». Il faut savoir rêver pour créer afin de réussir à créer pour rêver.

Griffe de plume et poils de pinceau

De Vinci n’était pas amoureux de son échafaudage, mais percevait dans ses brefs songes ce que sa peinture dirait pour lui à ceux qui l’admireraient. Et par quels tracés, couleurs et recherche de la composition d’une fresque elle lui permettrait d’y parvenir. La satisfaction du travail bien fait n’est pas coupable tant qu’elle ne se substitue pas à celle de transmettre une vision, des valeurs ou des opinions, de donner du sens à ce que l’on offre à voir. La griffe de la plume ou les poils du pinceau doivent, en un prolongement de votre personnalité, laisser la marque de votre talent, pas la signature de votre soif de reconnaissance. Un auteur en herbe aimera logiquement voir les dorures de la structure soutenant son style lui renvoyer des reflets flatteurs. Alors qu’un écrivain chevronné ne saurait en théorie oublier que les armatures trop visibles d’une œuvre nuisent à distinguer l’émotion qui s’en dégage.

 « Surtout ne pas surestimer ce que j’ai écrit, cela me fermerait l’accès de ce que j’ai à écrire. »

(Journal de Kafka – Éditions Grasset)

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Le frein mental

L’auteur débutant peine parfois à se départir de l’idée qu’il ne fera pas mieux que ce qu’il estime légitimement être un aboutissement, soit l’achèvement de sa première histoire. Qu’elle se présente sous la forme d’une nouvelle ou d’un roman, ou même s’il s’agit d’un essai ou d’une monographie, peu importe. Plus encore si cet écrit est couronné par une publication qui ne ferait qu’accentuer ce sentiment de complétude. Pour qui dont le rêve de voir reconnu son statut d’écrivain se réalise pourrait paradoxalement y trouver matière à la création d’un frein mental. Il penserait ne pas surpasser ce qu’il a mis de lui dans un livre, victime du supposé syndrome J.D. Salinger ou Harper Lee.

Les échos d’une prouesse

Il serait pourtant logique de considérer cette consécration tel un accélérateur, un surcroît de motivation prenant sa source dans le fait de s’être montré à la hauteur du défi qu’on s’était lancé. Écrire réclame le franchissement d’obstacles. Venir à bout du premier d’entre eux amène parfois à le reconsidérer pour lui donner plus d’importance qu’il n’en avait. Le rendre presque insurmontable après coup augmenterait ainsi la portée de notre exploit. Cette surestimation à laquelle Kafka fait allusion nous rappelle qu’une prouesse grandit dans les échos qu’elle déclenche, pas dans la façon dont on la claironne.

Un paradoxe dans la faille

À une époque où je travaillais en compagnie de personnes peu avares en formules malicieuses donnant à la sagesse populaire ses lettres de noblesse, un dicton m’avait marqué par son bon sens ironique. Au point de m’en souvenir plus d’un demi-siècle après avec délice : « Trop fort pour rester ici, pas assez fort pour aller ailleurs. ». Kafka n’aurait sans doute pas désapprouvé cette oscillation laissant une faille où l’absurde peut se nicher sous des dehors logiques. La hauteur à laquelle on estime un accomplissement n’en fixe pas les limites, pas plus que leur inexistence interdit de les dépasser !

« Comment croire ceux qui disent écrire pour eux, Les mots ont toujours une destination, aspirent à un autre regard. Écrire pour soi serait comme faire sa valise pour ne pas partir. »

(Le mystère Henri Pick – David Foenkinos – Éditions Gallimard)

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Les vrais écrivains ne parlent pas dans le vide

Cette phrase de Foenkinos résume avec joliesse un faux questionnement qui peut naître chez l’auteur débutant : « Est-ce que je souhaite être lu ? ». Si j’évoque un faux questionnement, c’est parce que l’interrogation – l’inquiétude – qu’il dissimule à peine en filigrane est bien souvent : « Vais-je l’être, lu ? ». Dans une autre forme d’expression, écrire pour soi, ça s’appelle penser. Et vouloir être lu, prendre la parole. Être lu, c’est être entendu. Franchement, quel véritable écrivain se plairait sciemment à écrire dans le vide ?

La poussière sur la housse

Un texte supportera toujours mieux le regard exclusif de son créateur de même qu’une pensée ne risquera pas d’être remise en cause si on ne la confronte à aucune autre. Il est confortable, sans doute, de ne connaître d’autre succès d’estime que celle que l’on se porte. Confortable et stérile, bien sûr. Alors n’écrire que pour soi, toujours se réfugier dans le silence ? Allons, nous ne sommes pas des machines à écrire recouvertes d’une housse prenant la poussière. D’une façon ou d’une autre, nos idées doivent s’aérer au vent de la critique.

Les mots domptés

Tous les auteurs en herbe, bien que le respectant, ne craignent pas le jugement d’autrui sur leurs textes, fort heureusement. À l’inverse, chaque écrivain confirmé ne remet pas son manuscrit à son éditeur en étant bardé de certitudes de voir ce dernier le publier en l’état sans même y jeter un œil. Ni même qu’il soit accepté, d’ailleurs. Peu importe à quel degré d’apprentissage du métier d’écrivain on se trouve, rien d’autre ne garantit plus de plaire que de se montrer. À son avantage si possible, c’est-à-dire en ne lâchant pas nos mots trop tôt, chevaux mal domptés ne sachant où ils vont.

Les peurs émerveillées

Faut-il pour autant les garder pour nous, ces mots se bousculant aux barrières de notre esprit ? Non. Et surtout pas en les retenant prisonniers de l’enclos de nos peurs. Celle qui jugule nos premiers élans littéraires. Celle corrodant la discipline de fer renforçant notre style. Celle imposant à notre subconscient une fatalité qui voudrait que seul le talent prévaut. Celle faisant oublier qu’on apprend à tout âge, et que l’on a vingt ans même quand on en a cent. En lutte sans relâche contre toutes ces peurs, les meilleurs écrivains débutent éternellement dans l’art de qui travaille tout en s’émerveillant…   

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