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La figure du père dans la littérature

La figure du père en littérature

Sommaire

(Et autres visages)

La figure du père dans la littérature, un thème qui donne envie d’écrire. L’écriture permet en effet de conserver une trace des êtres proches. « La plus claire des encres vaut mieux que le souvenir le plus marquant. » conseille un proverbe chinois !

Il y a quelque temps, j’ai regardé l’émission « La grande librairie », dont les invité(e)s étaient Amélie Nothomb, Marc Dugain, Sorj Chalandon et Marie Vingtras. Le thème en était l’image du père littérairement construite et parfois déconstruite chez ces auteurs, principalement chez les trois premiers cités. Coïncidence ou pas, j’ai reçu ces jours-ci le dernier numéro de « Lire magazine littéraire » contenant une enquête sur « La figure du père dans la littérature ». Un sujet qu’il m’a semblé intéressant d’aborder sans se limiter aux seuls patriarches, mais en l’étendant à toute personne ayant laissé une empreinte dans notre existence. Comment, en bien comme en mal, en restituer la profondeur ?

Les libertés de la réalité

Comment aborder les figures importantes de notre vie

Pour être tout à fait clair, je n’ai pour l’instant lu aucun des livres présentés lors de cette émission et dont vous trouverez les titres à la fin de cet article. Mais le sujet m’a interpellé quant au fait d’écrire sur l’un de nos proches de façon plus ou moins romancée. Faut-il tout dévoiler de sa vie, ou se cantonner aux aspects qui nous ont impactés ? En nuancer la réalité au risque d’en biaiser des angles importants ? Le fait de relater, à travers notre propre parcours, celui de quelqu’un ayant compté pour nous, positivement ou au contraire en nous ayant porté préjudice peut se révéler un exercice périlleux. Père, mère, épouse, mari, enfant, ami(e), collègue, connaissance, personnalité, pourquoi et comment ont-ils agi – et dans quelles proportions – sur ce que nous sommes devenus ? Et en quoi notre écriture s’en est-elle nourrie, voire goinfrée jusqu’à vomir ? Bon, c’est bien joli de poser des questions, c’est encore mieux d’essayer d’y répondre !

Ces libertés qu’on prend avec la réalité sans le vouloir

On peut en toute bonne foi fournir une vision altérée du personnage réel principal de notre roman. De celui qu’on a côtoyé durant des années ou auquel on s’est intéressé sans faire partie de ses proches au point d’en connaître quasiment toutes ses habitudes, ses préférences, ses défauts comme ses qualités, ses inclinations politiques, etc. En tout cas, en étant persuadé d’être dans le vrai quant à tout ce qui constitue d’ordinaire une personne. Quitte à combler ce qu’on ignore de son parcours de vie par des supputations ou des recoupements hasardeux. Par exemple : « Tiens, puisqu’il s’est comporté de cette manière-là lors de tel événement auquel j’ai assisté, ceux du même ordre auxquels je sais qu’il a été mêlé en mon absence ont dû le voir agir de la même façon. »

Les variations de la vérité

Sauf qu’une même personne peut réagir de manières radicalement opposées à la même situation selon les circonstances du moment, l’évolution de ses convictions, des changements dans sa vie de famille, de la société, etc. Si n’étant pas au courant de ces  modifications, ou n’en tenant pas suffisamment compte, le narrateur peut être amené sans que ce soit intentionnel à modifier la réalité des choses ou à émettre une critique ou un jugement ne se justifiant pas. Il ne s’agit plus alors de la narration correspondant à des éléments réels, mais d’une interprétation faussée par l’ignorance. Il est donc nécessaire de la part de l’auteur d’être en mesure d’éclairer ce qui s’apparenterait à un incompréhensible revirement en mettant à la disposition de son lecteur les éventuels raisons d’un changement de cap de la part du personnage qu’il portraiture.

Choix et sentiments

L’avertissement

Il est alors préférable que l’écrivain précède son livre d’un avertissement. Ne serait-ce que pour signaler qu’il a comblé certaines zones d’ombre sans être certain que ses déductions soient en accord avec ce qu’il s’est vraiment passé. Il peut également indiquer qu’il a volontairement occulté des agissements, décisions, actions, etc. du personnage dont il dresse le portrait, celui-ci s’en trouvant à dessein incomplet. Enfin, il lui est  loisible de prévenir son lecteur qu’en se reposant sur un personnage existant ou ayant existé pour charpenter son récit, il a avant tout souhaité écrire une œuvre de fiction, l’invention et la réalité s’y mêlant plus ou moins étroitement.

Manque de chauffage et ambiance morose

Ces trois approches laissent beaucoup de latitude à l’auteur quant à son projet initial, bien qu’il soit préférable en général de ne pas s’éloigner de ce qu’on avait en tête au départ. Pour ma part, s’il était dans mon intention d’écrire ce genre d’œuvre, je me fendrais par souci d’honnêteté de l’une de ces précautions d’usage. Mais aussi pour éviter des procéduriers qui viendraient me chercher des noises. Je trouve qu’il fait bien trop froid dans les tribunaux et que l’ambiance n’y est pas très folichonne pour prendre le moindre risque de m’y voir convoquer. Oui, j’aime mon petit confort.

Ouvrir la malle ou pas

Partir à la recherche de ce qu’a été une personne dont on imaginait tout savoir ou dont on soupçonnait que des étapes de son existence échappaient en partie à notre discernement procure évidemment des émotions contrastées. Les découvertes que ce travail particulier rend pour ainsi dire inévitables pourront provoquer chez l’écrivain qui les a faites des sentiments opposés. Autant il peut s’agir d’une révélation qui l’émerveillera ou au contraire lui causera une vive déception, pour ne pas dire un choc. Après tout, les familles servent à ce que les secrets du même nom existent. Et quand on se rend dans le grenier de la mémoire pour y ouvrir une malle, il faut accepter qu’elle puisse – aussi – contenir des choses déplaisantes…

Autant de portraits, autant d’approches différentes

L’encre d’une vie

C’est donc pourquoi, à mon sens, il faut y réfléchir à deux fois avant d’entreprendre un tel projet. J’admets dans le même temps que ce genre de démarche allant au-delà du seul aspect littéraire peut posséder un caractère irrépressible. Un souhait impérieux correspondant à un manque quelconque, une ou plusieurs questions laissées des années en jachère, l’envie de mettre des mots sur l’admiration qu’on porte à quelqu’un, le besoin de se « réconcilier » avec un proche disparu après s’être fâché avec lui, et que sais-je encore ? La diversité des motifs en mesure de déclencher la mise en route d’un livre appartenant à un genre bien à part en fait sa richesse, qu’elle soit faite de joie ou de tristesse. Et parfois, l’encre d’une vie ne commence à sécher que lorsqu’on l’a écrite… si jamais elle sèche.

Un travail de fouilles

Pour finir comme j’ai commencé, je vais brièvement revenir sur quelques passages piochés dans l’enquête de « Lire magazine littéraire », consolidant me semble-t-il mon propos. Je rappelle qu’elle porte sur « La figure du père dans la littérature », non pas résumée mais joliment évoquée comme « une archéologie des origines » considérant les fouilles que ce travail exige. Il est par ailleurs rappelé à propos de la figure du père « Fugace ou obsessionnelle, sa présence peut traverser une œuvre entière ou se résumer à un livre unique. ».  Dans La Volonté, Marc Dugain avoue quant à lui que « […] parce que je ne voulais pas le trahir, j’avais même peur de le défigurer si je ne trouvais pas le juste équilibre entre mon admiration pour lui et le conflit qui nous a opposés. »

L’identification en question(s)

Dans Enfant de salaud, « Sorj Chalandon se mesure pour la troisième fois au pater familias […]. » L’occasion pour lui d’ouvrir sa malle personnelle et d’y découvrir des choses qui le choqueront autant qu’elles le diviseront dans son rapport au père. Enfin, dans la rencontre avec Amélie Nothomb à l’occasion de la sortie de Premier sang, elle explique notamment son choix d’écrire ce livre consacré à son père décédé le premier jour du confinement en se glissant dans sa peau plutôt que de l’observer à distance : « […] on n’a cessé de me dire que je lui ressemblais. Ça m’agaçait prodigieusement. On peut aimer son père et ne pas supporter d’être identifié à lui. Cette ressemblance qu’on me prêtait m’a donné une certaine légitimité pour devenir vraiment mon père le temps d’un livre. » On le constate à travers ces quelques exemples, on peut raconter l’autre autant qu’on se raconte quand écrire devient portraiturer…

Références

Premier sang – Amélie Nothomb – Éditions Albin Michel.

Enfant de salaud – Sorj Chalandon – Éditions Grasset.

Blizzard – Marie Vingtras – Éditions de l’Olivier.

Lire magazine littéraire – numéro 499 – Septembre 2021.

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