Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Écrire sur son vécu 2

Sommaire

Deuxième partie

S’il est une chose pouvant préoccuper qui s’attelle à l’écriture d’une autobiographie, c’est de trouver l’angle rendant au mieux justice à ce dont il souhaite parler. On fuira la neutralité de ton, car à quoi bon lire une histoire si elle ne propose pas un biais singulier ? Ce genre exige de donner son opinion et d’irriguer le texte d’émotions viscérales. D’expliquer en quoi une personnalité, une fois débarrassée du superflu des généralités, trouve dans son dévoilement une unicité d’un réel intérêt… 

La brisure

La stèle de nos jours morts

J’ai précédemment souligné combien on devait être discerné dans le choix du souvenir dont on désire laisser une trace écrite. Stèle de nos jours morts sur laquelle notre esprit grave une épitaphe, ce fragment de notre vécu devra contenir en lui une puissance d’évocation unique. Au mot fragment, on pourrait préférer celui de brisure, dans le sens où l’entendait Marcel Schwob, comme on le comprend dans la phrase suivante : « Dans la rude collection de matériaux qui fournissent les témoignages, il n’y a pas beaucoup de brisures singulières et inimitables. »

L’Histoire et l’individu

Ainsi s’inspirera-t-on de la brisure schwobienne dans ce qu’elle incite au traitement privilégiant le côté original du fait saillant. Pour mieux s’en faire une idée, on tirera un grand bénéfice de la lecture de « Vies imaginaires », et ce dès sa préface où Schwob met en garde de ne pas laisser l’historien qui est en nous prendre le pas sur le biographe. Racontons une histoire en oubliant de mettre la majuscule à son « h » pourrait être un de ces conseils. Là où la science historique retranscrit les idées générales, la biographie observe avec acuité l’unicité de l’individu dont on souhaite éclairer le parcours.

Le tour d’horizon du passé

Glissons à présent de la biographie à l’autobiographie, dont les préparations diffèrent peu. Dans les deux cas, une fois déterminés la période ou/et l’événement à traiter, il s’agit de collecter le plus de matériau possible s’y rapportant. Débute alors un travail minutieux consistant à établir des listes de noms – lieux, personnes. À répertorier des repères permettant de planter le décor – mode vestimentaire, tendances culturelles, actualité importante du moment. À consulter l’état civil de la mémoire que sont les souvenirs marquants engendrés par les mariages, naissances et décès. À faire, disons, le tour d’horizon du passé.

Que faisiez-vous le jour où…

Les remous de l’intime

Imaginons un exemple où, pourquoi pas, notre vécu s’inscrirait dans l’Histoire, l’impact de cette dernière se limitant à la périphérie du récit entrepris. L’Histoire étant un remous perpétuel, il va de soi que tout un chacun en subit plus ou moins le mouvement. La décision de l’intégrer à un itinéraire personnel sera à étudier en fonction de ce que cet apport permettra de développer. Un parallèle intéressant peut voir le jour entre ce qu’on vit au niveau intime et ce qui par ailleurs connaît des répercussions mondiales. Cela pourrait prendre la forme de ce texte inventé  pour les besoins de cet article :

« Le morceau New born du groupe Muse passait à la radio quand un flash spécial l’interrompit net alors que la guitare basse faisait vibrer les petites enceintes de la berline que Clément conduisait. Il n’avait pas prêté tout de suite attention aux premiers mots de la journaliste s’exprimant à l’antenne. Il avait l’esprit encore accaparé par le coup de fil l’ayant amené à quitter précipitamment Poitiers en direction d’Orléans sans même finir son déjeuner, à peine deux heures plus tôt.

L’horloge à quartz du tableau de bord indiquait à présent 14h53, et la femme parlait d’un avion de tourisme venant de s’encastrer dans il ne savait quel gratte-ciel, à New York. Il avait failli éteindre l’autoradio, puis s’était ravisé en se disant que lorsque le flash serait terminé, la suite de la programmation musicale ne serait pas de trop pour rompre la monotonie de la cinquantaine de kilomètres qu’il lui restait à parcourir avant d’arriver à destination.

Au téléphone, sa mère avait paru calme, mais Clément se doutait qu’elle devait être sous le choc. L’était-il lui-même ? Il n’aurait su le dire. La santé de son père avait décliné depuis des mois, sans qu’on puisse affirmer qu’un seuil critique ait été atteint. Puis ce midi, cet appel, son regard perdu dans la contemplation de son assiette à moitié pleine tandis qu’il entendait des paroles dont il saisissait le sens mais pas vraiment la portée.

À ce moment là, pris dans la lumière de septembre baignant sa cuisine, il n’en était pas encore à se demander à quel point ça l’atteignait. Tout en débarrassant machinalement la table après avoir raccroché, il avait réfléchi à l’itinéraire qu’il allait emprunter pour rejoindre les rives de la Loire. Penser à des choses basiques lui permettait de demeurer à la lisière d’un événement familial dramatique dont il préférait inconsciemment ne pas savoir ce qu’il impliquait.

En arrivant au péage précédant sa sortie de l’A 10, Clément avait eu un sentiment bizarre, celui d’avoir roulé en ne se rendant pas compte de l’écoulement du temps. Les minutes semblaient s’être décomposées dans l’automaticité des gestes de ses mains allant du volant au levier de vitesses, de ses pieds pianotant mécaniquement sur les pédales. Avait-il pris des risques ? Il était incapable de se souvenir avoir doublé des camions ou changé de file. L’espace entre les glissières de sécurité lui paraissait avoir été empli d’images de son père noyées dans le maelstrom bigarré des carrosseries.

En jetant un coup d’œil aux nombreux véhicules s’avançant lentement vers les bornes de paiement, la vision des autres conducteurs comme figés par un sort dans leur habitacle avait accentué cette sensation d’étrangeté. Qu’avaient-ils tous, l’air frappé de stupeur, la tête semblant inclinée à l’écoute d’une voix intérieure ?

Clément s’était soudain reconnecté à la réalité de l’instant en s’apercevant que son décrochage mental avait été tel qu’il reprenait seulement conscience de ce qu’on diffusait à la radio. Ce n’était pas de la musique. Quelqu’un disait « Oh mon Dieu ! », mais ce n’était pas la voix de celle ayant interrompu New born plus d’un quart d’heure auparavant. On entendait aussi des hurlements derrière l’homme ayant invoqué Dieu. Le souffle court, le commentateur annonçait qu’un autre avion  – un autre ? – avait percuté la tour sud du Word Trade Center tandis que la tour nord était en feu. Clément avait tenté en vain d’assembler des images cohérentes et de les associer aux informations lui parvenant en un débit haché. 

Dans la file de voitures agglutinées aux barrières du péage, à mesure que les nouvelles en provenance de l’autre côté de l’Atlantique parvenaient à tous, les visages derrière les vitres étaient devenus des blocs livides d’horreur muette. Chacun se regardait sans se voir. Clément comprit confusément que son deuil entrait dans les archives du monde. Qu’il appartenait à la naissance d’un chagrin sidéré. Que son père était mort, modeste battement d’aile d’un effet papillon. Ceux qui le virent mains plaquées sur ses yeux ne surent jamais pour qui s’écoulait cette immense peine entre ses doigts. Ils ne devinèrent pas plus combien son affliction venait de se transformer en une question vitale : qui pleurait-il ? Qui était vraiment son père ? »

Quelques explications pour finir

Détails

Pour ce petit passage, je me suis livré à de brèves recherches : l’horaire précis des attentats du 11 septembre 2001, la date de sortie et l’analyse du morceau New born, quel type d’horloge équipait les voitures à cette époque, la météo de cette journée, la distance et le temps de trajet entre Poitiers et Orléans. J’ai adopté une approche romancée et l’emploi du « il » plutôt que du « je » pour la narration, après avoir essayé les deux. Voilà pour les détails.

L’autobiographie en suspens

Tel quel, ce texte pourrait être une très courte nouvelle avec une chute ouverte : ce qui fait s’interroger Clément sur la personnalité de son père serait ainsi une question demeurant en suspens. Mais pour ce qui nous occupe ici, il pourrait s’agir de l’amorce d’une réflexion sur un père dont on s’aperçoit à sa mort qu’on ne l’a peut-être pas véritablement connu, ou dont la vie comportait des zones d’ombre jamais éclaircies. C’est en tout cas un point de départ, et toutes les hypothèses en découlant ne demandent qu’à être exploitées entre la réalité et la part de fiction que chacun estime devoir injecter dans une autobiographie.

Le saisissement du singulier

Quant à l’évocation du 11 septembre, elle peut rejoindre dans son utilisation la notion de brisure schwobienne qui, pour simplifier, procède à une fusion de l’Histoire et de la fiction dans une recherche de singularité. Métaphoriquement, on a là l’occasion d’aborder l’écroulement de la figure paternelle ou, à l’inverse, le manque que sa disparition entraîne. Mais nul besoin qu’il s’agisse d’un événement dramatique afin d’effectuer cette démarche intellectuelle qui « corrompt la biographie qui devient fiction ». Ce saisissement du singulier, il est possible de le mettre en place à partir de n’importe quel marqueur fort de l’Histoire pouvant servir d’appui à notre récit.

L’autobiographie vue d’un télescope

J’ai ainsi à l’esprit Hors de ce monde, le roman de Graham Swift qui à mon avis pourrait être un excellent modèle pour une autobiographie. Voici comment il débute, par le souvenir d’un fils se remémorant une soirée particulière avec son père :

« Je me souviens, en 69, trois ans avant sa mort, au cours de l’été où j’étais rentré pour un bref séjour, comment nous restâmes assis ensemble toute la nuit à regarder ces premiers hommes lunaires risquer sur la lune leurs premiers pas timides. […] Nous étions proches cette nuit-là. Nous parlions. Nous parlions ! »

On comprend dans cet extrait qu’à un événement exceptionnel correspond une connivence entre le père et le fils qui ne l’est pas moins. Cela se confirme plus avant dans ce chapitre d’introduction : « Pour une raison inconnue, nous étions plus proches que nous ne l’avions jamais été. C’était notre proximité qui importait plus que les hommes sur la lune lointaine. […] Et que juste un peu après – il lui avait fallu attendre d’avoir soixante-dix ans et que j’en aie cinquante – il me raconta comment c’était arrivé. »

Le week-end prochain, pour la troisième et dernière partie de cet article, nous graviterons en orbite autour de la structuration du récit une fois ses bases posées. Je ne vous promets pas la lune, mais au moins vous prêterai-je volontiers mon télescope afin de mieux en discerner certains cratères…

Vies imaginaires – Marcel Schwob – Éditions Flammarion.

Hors de ce monde – Graham Swift – Éditions Robert Laffont.

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