Le blog d'Esprit Livre

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Figure de style : le soulignement

Sommaire

Figure de style : le soulignement : une figure de style puissante. Si nous parlions un peu technique ? Ne fuyez pas, vous allez voir, c’est passionnant ! Qui plus est, un texte, qu’est-ce donc ? Une succession de phrases dont certaines font appel à des figures de style – le soulignement pour cet article – auquel nous recourons parfois sans nous en rendre compte. À l’instar de monsieur Jourdain s’apercevant avec ébahissement qu’il était prosateur sans le savoir : « Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. ». Eh oui…

Le bourdonnement du soulignement

Le paradoxe du bourdon

Peut-être connaissez-vous cette fameuse théorie selon laquelle le corps du bourdon étant trop lourd pour ses ailes insuffisamment développées, celles-ci ne devraient pas lui permettre de s’envoyer en l’air – comprenez « de voler ». Non mais. Or, cet insecte de l’ordre des hyménoptères (ça se voit que je suis en train de consulter mon dictionnaire ?), ignorant tout des lois de l’aéronautique, et donc ne sachant pas qu’il est supposé resté cloué au sol, vole bel et bien. Parvenant même à zigzaguer dans les airs à une vitesse pouvant atteindre jusqu’à 20 km/h. Je ne doute pas que le rappel de cette bizarrerie de la nature va illuminer votre journée, mais vous l’aurez compris, je ne m’en suis servi que pour alimenter la suite de mon propos qui, si tout va bien, devrait être au moins aussi brillante que ce premier paragraphe.

Le vol de l’écrivain

Les figures de style s’apparentent pour une majorité d’auteurs aux lois de l’aéronautique pour le bourdon : de la même manière que ce brave insecte ne saurait différencier un anémomètre d’un altimètre, nous serions pour la plupart bien en peine d’identifier certaines figures de style alors même que nous les utilisons régulièrement. Pourtant, cette méconnaissance n’empêche pas plus le bourdon de voler qu’elle ne nous prive d’écrire. Il est vrai qu’il se révèle difficile de s’y retrouver dans cette cascade de termes peuplant le monde merveilleux des figures de style. Même si par exemple la métaphore, l’ellipse ou l’oxymore, pour n’en citer que trois parmi les plus accessibles, résonnent familièrement à nos oreilles.

De l’utilité de la figure de style

En revanche, retenir des concaténation, adynaton et autre parrhésie demande d’astucieux moyens mnémotechniques. Comme « parrhésie la sortie ! », voyez comme ce peut être tordant. Ce qui ne constitue toutefois que la moitié du chemin, et pour tout dire la plus facile, puisqu’il faut être capable d’y lier une définition claire nous permettant de l’exploiter au mieux afin de renforcer notre texte pour que, techniquement du moins, il soit inattaquable. Bien sûr, le recours à une figure de style doit se justifier autrement que par le simple fait de la maîtriser. Pour être clair, il est préférable qu’elle soit au service de notre propos, pas de notre ego. J’ajouterai, pour être complet, qu’il faut bien entendu distinguer la parrhésie du chleuasme, sinon où va le monde, hein ?!

La typographie du soulignement

L’intérêt de se pencher sur l’italique

Rassurez-vous, nous n’allons pas nous enfoncer plus avant dans cette jungle langagière, car ce qui nous intéresse aujourd’hui est donc le soulignement, destiné à mettre du relief dans votre texte. Ce qui vous l’admettrez participe de beaucoup de son intérêt. Quand on lui raconte une histoire, il est en effet important d’attirer l’œil du lecteur sur un point précis dont il serait néfaste à la compréhension de l’intrigue qu’il lui échappe. Au passage, je viens de mettre en œuvre ce procédé quatre lignes au-dessus en faisant se pencher « le soulignement » sous l’effet d’un bel italique ; oui je sais, c’est diabolique, et la rime est riche.

Le monsieur Jourdain du soulignement

C’est un procédé que j’emploie depuis longtemps et dont je n’ai découvert qu’il portait un nom qu’à la faveur de cet article ! Mais la mise en italique n’est, comme nous allons le voir, qu’une des nombreuses façons d’utiliser le soulignement. Je présume, pour rejoindre ce que je soulignais quant à la façon plus ou moins consciente dont nous employons des figures de style et les différentes manières de les appliquer, qu’il n’est pas rare que vous aussi recouriez à l’italique. À propos, l’italique a été créé par Alde Manuce en 1500. Enfin, vous ne pensiez tout de même pas que j’allais jeter mon dictionnaire par la fenêtre une fois mon premier paragraphe achevé, si ?

Le gras, cela tranche !

Dans le même ordre d’idée, hormis l’italique, mais à mon avis un peu moins « digeste » pour l’œil, le gras peut de temps en temps rendre de fiers services à un écrivain. Difficile de le louper, n’est-ce pas ? Je ne saurais toutefois trop recommander de ne s’en servir qu’avec parcimonie, son caractère imposant étant de nature à « bouffer » un paragraphe en cas de « surdose ». Pour en finir avec l’aspect purement typographique du soulignement, je vais laisser les majuscules fermer la marche avec cet extrait tiré de Si ça saigne, un recueil de nouvelles de Stephen King :

« Sa mère l’étreint sur le perron, puis l’attire à l’intérieur. Holly sait ce qui va suivre.

‘‘Tu as maigri.

— Non, mon poids n’a pas bougé.’’ 

Sa mère pose sur elle Le Regard, celui qui dit : une anorexique reste une anorexique. »

Deux simples majuscules, et ce regard acquiert un certain poids, pas vrai ?

Le bégaiement du soulignement

La figure de style du perroquet

La répétition est un des procédés du soulignement : « Elle le retrouva mort. Mort. ». Le mot repris dans cet exemple, outre qu’il accentue l’aspect tragique de l’annonce et a valeur de confirmation du décès sans l’ombre d’un doute, peut aussi souligner comment l’esprit de celle découvrant le défunt s’imprègne de cette réalité, qu’elle soit pour elle la source d’un profond chagrin ou d’un intense soulagement. Ce qu’on saura selon qu’on écrive par la suite « Alors, elle s’effondra en sanglots » ou « Alors, elle se lança dans une gigue endiablée autour du cadavre en poussant des hurlements de joie ». Je vous laisse visualiser cette dernière image.

De la concision et du punch

Comme si ça ne suffisait pas de répéter un mot, il existe ce que l’on appelle la répétition renforcée (oui, là, j’ai employé les grands moyens en mélangeant gras et italique ; je sais, je ne me refuse rien). Voyons en quoi consiste cette technique à travers deux exemples fournis dans Gradus – Les procédés littéraires, de Bernard Dupriez, à qui cet article doit beaucoup. « J’avais le désir de lui affirmer que j’étais comme tout le monde, absolument comme tout le monde. » (Camus, L’étranger) ; le procédé est limpide : l’affirmation initiale est appuyée avec une économie de moyens, ici grâce à l’adverbe « absolument ». L’impact maximum de cette technique est obtenu grâce à sa concision. Il ne s’agit pas de développer, mais de créer un effet d’insistance, comme on peut le vérifier avec cette phrase de Bernanos, dans Romans : « Faites-moi du punch, Grignolles. Oui, du punch ! ».

De l’huile pour relever le défi

Pour achever cette répétition générale, on trouve enfin celle se glissant dans les dialogues. Je fais là aussi appel à un exemple proposé par Dupriez pour expliquer de quoi il retourne : 

« Hier justement ?

— Justement hier soir. »

Ici, il est toujours question de confirmer ce qui a été dit précédemment, mais à deux voix, là où dans la répétition et la répétition forcée il s’agit de la même personne qui crée le soulignement. Ce procédé dépend donc dans ce cas précis d’un dialogue bien huilé, ce qui en temps normal n’est pas la chose la plus facile à réaliser au monde. Un petit défi à relever, mais qui à la lumière de ce seul exemple vaut à mon humble avis de l’être !

Le soulignement disloqué

Des mots sens dessus dessous

Le soulignement peut aussi s’effectuer par un agencement inaccoutumé de la phrase en la débutant par ce qui à l’origine aurait dû la terminer, afin d’en nuancer le sens, d’en changer les priorités, de l’aborder sous un point de vue différent, etc. En linguistique, c’est un procédé d’emphase nommé dislocation : ainsi, la phrase « Les pièces de Jean Giraudoux, Louis Jouvet les a créées » devient-elle « Louis Jouvet les a créées, les pièces de Jean Giraudoux » (source Wikipédia pour cet exemple). Cette « inversion » produit une échelle de valeur différente – on pourrait dire ici que Louis Jouvet, cité avant Jean Giraudoux par rapport à la phrase originale, prend le pas sur ce dernier.

Les fruits syntaxiques du poirier

C’est donc notamment un moyen de mettre en évidence une personne ou une chose comparativement à une autre. C’est aussi de façon plus basique une possibilité d’accrocher le regard (pardon, Le Regard) du lecteur en produisant un effet apte à le surprendre en le sortant de son confort de lecture. On trouve bon nombre de ces constructions et leurs multiples marqueurs syntaxiques chez de très bons auteurs. Alors laissez-vous tenter par l’élaboration textuelle renversante que vous propose la dislocation ! Mon conseil : si besoin, écrivez en faisant le poirier.

La Force de la dislocation

Le modèle de Jouvet et de Giraudoux n’étant pas figé, il ne symbolise pas tout, loin s’en faut, de ce qu’est la dislocation. Celle-ci est sujette à une multitude d’analyses selon la manière dont la phrase est segmentée. Mon stock d’aspirine atteignant son seuil critique, je vais me contenter de vous livrer deux phrases pour clore cette branche du soulignement. Elles sont tirées de « Voyage au bout de la nuit » : « J’en aurais fait mon frère peureux de ce garçon-là ! » ; « Nous parvînmes au passage à niveau, levés ses grands bras rouges et blancs. » Formulées ainsi, elles retiennent l’attention, n’est-ce pas ? À noter que le spécialiste le plus reconnu dans ce domaine est un certain Yoda…

Le Bourgeois gentilhomme – Molière – Éditions Flammarion.

Si ça saigne – Stephen King – Éditions Albin Michel.

Gradus – Les procédés littéraires (dictionnaire) – Bernard Dupriez – Éditions 10/18.

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