Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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La psychologie de la vengeance chez le personnage

Sommaire

Suivre un personnage dans son désir de se venger, le voir descendre dans la moralité alors que sa rogne augmente, scotche notre lecteur. Dans la gradation du dosage réside le secret.

Deuxième partie

Comment faire de votre personnage un tueur raffiné

On parle parfois d’une vengeance raffinée. Si votre personnage fend de haut en bas d’un vigoureux coup de hache celui venant de l’outrager, ça manquera un tantinet de finesse. On peut même dire que l’élaboration afin de laver l’affront relèvera d’une absence de machiavélisme flagrante. Comme expliqué dans la première partie de cet article, scénariser sa vengeance équivaut à atténuer le déshonneur subi. En se délectant à réfléchir chaque jour pendant des heures, étape par étape, à ce qui y mettra un terme…

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La graduation de la vengeance

À tort ou à raison

Mettons que votre personnage ait été victime d’une situation lui rendant à tort ou à raison la vie intolérable. Le premier choc passé, le préjudice éprouvé devient obsessionnel au point que l’esprit de ce personnage ne laisse place à aucune autre pensée que celles l’emplissant des sévices que lui-même va faire endurer à celle ou/et celui vers qui sa haine est dirigée. L’imagination se révèle fertile et peut se montrer plus originale que le simple achat d’un fusil à pompe dont on fera usage après s’être fait passer pour le facteur venant livrer un colis. Histoire d’oblitérer son ennemi.

Du paradis à l’enfer

Je rappelle que cette scénarisation remplace la mésestime de soi qu’à fait naître la souillure mentale ou la violence physique dont a été victime le personnage. Qu’un basculement s’effectue à son avantage à mesure que des idées (pas toutes bonnes, j’en ai bien peur) lui viennent pour rendre la pareille à celui dont les actes à son encontre hantent son quotidien. Dans le « Il ne l’emportera pas au paradis » se mêle implicitement le pendant psychologique « Il pourrira en enfer ». On voit là qu’on n’en est plus au stade de récupérer des billes perdues sous le préau un jour de pluie lors d’une partie disputée face à un camarade de classe tricheur.

Taquineries et mesquineries

Un projet plus complexe et un objectif autrement malveillant que d’aller voler trois agates et deux porcelaines dans le casier du sale gosse qui vous a arnaqué, donc. Qui dit projet toxique signifie édification de la base au sommet d’un processus destructeur. Dans un premier temps, le vengeur va donc mettre la hache ou le fusil à pompe de côté pour se livrer à quelques taquineries sans conséquence directe sur la personne ciblée. Puis des mesquineries agaçantes, d’abord, jusqu’à devenir troublantes et enfin inquiétantes. Attendez, je regarde ma montre : oui, c’est l’heure de vous conter une de ces anecdotes véridiques dont j’ai le secret, en rapport avec cet article qui plus est, avant d’emprunter de plus belle les sombres chemins de la vengeance. Vous allez constater par vous-même dès le paragraphe suivant que je ne m’égare pas tant que ça en route…

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Boîte aux lettres et voiture décapotable

La haine, c’est louche

Dans une autre vie, alors que je comptais dans mon entourage plus de collègues qu’aujourd’hui, l’un d’entre eux était, pour je ne sais plus quelle raison, bigrement remonté contre un gars travaillant dans le même service que le sien. À telle enseigne que lorsqu’une tâche exigeait qu’ils collaborent, on redoutait le moment où ils allaient se taper sur la gueule Ça n’arriva jamais. Cependant, ce collègue ressassant sa détestation trouva ce qui a ses yeux satisferait une fois pour toutes sa rancune. Patiemment, il ramassa chaque jour les déjections de son chien jusqu’à obtenir un nombre considérable de crottes pour l’usage qu’il comptait en faire : les déverser dans la boîte aux lettres du type à qui il en voulait, ce qu’il fit nuitamment. La veille, il avait dit à quelques-uns de ses potes du boulot que le lendemain, on rirait bien en voyant la tête contrariée de l’autre. Ce dernier se pointa comme chaque jour sans que rien n’indique en lui qu’un désagrément quelconque l’ait affecté le moins du monde, et pour cause : le vengeur avait rempli d’excréments… la boite aux lettres du voisin de sa victime. Une confusion me faisant dire que si l’amour rend aveugle, la haine fait loucher.

Le bas de l’échelle

Après cette taquinerie/mesquinerie représentant le bas de l’échelle de la vengeance, montons un barreau de plus, si vous le voulez bien. Admettons que votre personnage, à la différence de mon collègue de l’époque (on savait rire en ce temps-là), ait rempli de sa petite cargaison malodorante la bonne boîte aux lettres. Mettez-vous à la place de la personne recevant en guise de courrier la production mensuelle d’un brave toutou. Un moment pas très glamour, disons. Le temps employé à nettoyer tout ça, le type a le temps de s’interroger sur la signification de ce geste. Dans son quartier, des mômes turbulents et farceurs pourraient avoir fait le coup, mais il ne le pense pas vraiment. Poussant sa réflexion plus loin, il entrevoit la possibilité que, pour une cause dont il ne se souvient pas forcément, il pourrait être question d’un agissement le concernant personnellement. Une opinion que les prochains jours ne démentiront pas.

Le doute

Nous sommes tranquillement parvenus au troisième degré de notre échelle, celui où un doute commence à s’installer chez la personne visée. J’ai dit qu’il ne se souvenait pas obligatoirement de qui cela pouvait venir. Il n’est pourtant plus loin d’être persuadé que quelqu’un lui en veut. Songez qu’il ait accroché plusieurs mois auparavant une voiture en repartant du parking d’un supermarché et n’ait pas jugé utile de laisser ses coordonnées pour réparer les dégâts occasionnés à l’autre véhicule. Il jette un coup d’œil à la longue éraflure courant sur la carrosserie rouge de la décapotable désormais bien abîmée, hausse les épaules et puis s’en va comme si de rien n’était. Ce n’était pas sa journée de Bonne Action, il est pressé et a bien d’autres préoccupations. Bref, l’assurance du conducteur de la bagnole remboursera les frais (ou pas), et l’histoire finit là. Sauf que non.

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Absence totale de conciliation

Crotte alors !

En prenant la dernière crotte avec du papier absorbant pour la jeter dans un sac poubelle, cet épisode lui a effleuré l’esprit sans y pénétrer plus avant pour en ressortir aussitôt. Mais trop tard, la graine était semée. Ça lui revient en tête quelques jours plus tard. Quelqu’un aurait-il relevé les numéros de sa plaque d’immatriculation à ce moment-là ? Le propriétaire lui-même, ou un type venant de faire ses courses ayant glissé un mot de l’indélicatesse dont il vient d’être témoin sous les essuie-glaces de la voiture amochée ? Aucune importance, il semblerait que la victime soit à présent sur ses traces. Ça ne l’inquiète pas outre mesure, car si ça devait aller plus loin, le gars lésé finirait bien par se présenter pour réclamer d’être dédommagé et ils riraient ensemble de sa mauvaise conduite, si je puis dire, en buvant un verre dans son salon tout en remplissant le constat amiable. On s’arrêtera au cil pour cil avant d’aller jusqu’à l’œil pour œil. Affaire résolue. À la différence près que le jeteur de merde (nous ne disposons pas tous de sorts) n’a pas la moindre envie que cela s’arrange de façon amiable…

La trouille bien enveloppée

Trois semaines plus tard, retour à la boîte aux lettres. Rien qu’une enveloppe blanche, aujourd’hui. Je vous laisse imaginer les propos orduriers écrits sur la feuille s’y trouvant à l’aide de lettres découpées dans le journal ponctuée d’une formule du genre : « Attends-toi à ce que j’érafle ton existence. ». Je vous livre là la version châtiée de cette missive guère bienveillante dont vous n’aurez aucune peine à deviner le caractère fleuri du langage utilisé. Ce qu’il vous faut surtout retenir ici, c’est que non seulement la menace est présente, mais que ça commence à foutre les chocottes à notre vandale des parkings.

Quand le téléphone respire

Nous allons grimper d’un degré supplémentaire : le premier contact non verbal, ou si vous préférez, le truc utilisé des centaines de fois dans les romans ou dans les films : le coup de téléphone. Oui, celui où vous n’entendez à l’autre bout du fil qu’une lourde respiration alors que notre roi du créneau version « ça va coûter une blinde », dont le trouillomètre se dirige tout doucettement vers le zéro, ne cesse de répéter « Allo ? », « Allo ? », « Qui est à l’appareil ? » au salon vide dans lequel il se tient en pleine nuit en pyjama, réveillé qu’il a été par cet appel nocturne. Ces derniers « Allo ? », « Allo ? », « Qui est au bout du fil ? » s’arrêtent soudain alors qu’il comprend qu’on ne lui répondra pas. Après cet échange assez peu constructif, il faut bien le dire, l’homme harcelé regarde son téléphone, la tonalité annonçant qu’on a raccroché sans émettre une parole devenant aussi entêtante qu’une goutte d’eau tombant d’un robinet qui fuit.

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L’horrible concrétisation de la vengeance

Vice et tournevis

Un contact physique indirect succèdera – et hop, un barreau de plus ! – au premier contact non verbal. Dans l’instant ou plusieurs jours plus tard, peu importe. J’ai repris un passage d’un « miniroman » de Stephen King pour illustrer mon propos en ne mettant que l’initiale du nom des personnages et en en omettant volontairement le titre, afin de ne pas tout à fait vous divulgâcher cette scène. Il vous faut juste savoir que le « B. » correspond au nom d’un animal familier :

« Il laissa retomber le cordon du téléphone et ouvrit précipitamment la lumière extérieure. Il se passa un certain temps – combien de temps, il n’aurait su le dire et ça ne l’intéressait pas – pendant lequel il fut incapable d’un seul mouvement.

Le truc blanc était une feuille de papier à machine, de format commercial, parfaitement ordinaire. Le dessus de l’abri à poubelles avait beau se trouver à cinq bons mètres de lui, les mots avaient été écrits en grandes lettres et il les déchiffra facilement. Il pensa que S. avait dû se servir soit d’un crayon très gras, soit d’un fusain de dessinateur. N’OUBLIEZ PAS, VOUS AVEZ 3 JOURS. JE NE PLAISANTE PAS.

Le truc noir, c’était B. Apparemment, S. lui avait cassé le coup avant de le clouer sur le toit de l’abri avec un tournevis pris dans le propre atelier de M. ».

Le vengeur charmeur

À présent que nous venons d’effectuer un tour au rayon « outils et bricolage » de la vengeance  à l’aide bien involontaire d’un animal de compagnie, nous allons procéder de même, mais en recourant à un membre de la famille. Sans faire appel à un tournevis, toutefois. Le vengeur stationne devant l’école de la jeune fille du père auquel il souhaite à petites doses appliquer la loi du Talion. Il lui fait un compliment sur sa tenue, le bras accoudé à la portière de sa décapotable, le visage avenant. J’allais oublier : notre vengeur est aussi un charmeur, ce qui m’arrange bien pour la rime.

Des informations angoissantes

Il lui demande comment elle s’appelle, si ses professeurs sont gentils, si elle a de bonnes notes et lui dit que, s’il avait le temps, il la ramènerait chez elle avec sa voiture, en lui faisant un clin d’œil tout en lui disant que personne ne leur ferait de remarque désobligeante en remarquant la grande éraflure courant le long de la carrosserie rouge, puis il redémarre tout doucement en faisant un petit signe d’au revoir à la fillette (qui, forcément adorable, lui rend son salut). Les expressions mises en italique sont les deux informations que le vengeur veut être certain qu’elles soient transmises à l’attention du père par l’intermédiaire de la chair de sa chair.

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Quand les formes réelles de la vengeance s’assemblent

L’effroi et rien d’autre

Quand son père l’apprend le soir en revenant du boulot, bien que le sachant déjà, il interroge la fillette pour savoir quelle bagnole « le gentil monsieur » conduisait afin d’en avoir le cœur net. Elle lui répond alors dans un grand sourire : « Oh, je ne sais pas ce que c’était comme voiture, mais elle était rouge avec une grande éraflure sur tout le côté. » Oui, l’enfant ne connaît pas les modèles des véhicules, mais le vengeur s’est arrangé pour que le père la reconnaisse entre toutes sans avoir besoin d’être concessionnaire automobile de son état. Pour que son cœur se glace d’effroi. Que la réalité du danger prenne encore plus forme.

Qui va payer ?

Déjà qu’il se tournait les sangs pour apprendre à sa fille que B. avait disparu – « Mais il reviendra bien un jour, ma chérie, ne t’inquiète pas » –, le voilà confronté à un problème d’une autre ampleur, car l’avertissement est clair : « La prochaine fois, ce ne sera pas B. à qui je m’en prendrai, et prie le ciel pour que ce ne soit pas ta gamine qui paie à ta place. ». Les dernières résistances du chauffard de la manœuvre automobile s’écroulent en comprenant que la vengeance de cet homme ne s’arrêtera pas avec la mort de B. Qu’il a bel et bien affaire à un fou furieux déterminé à aller jusqu’au bout. Pour une éraflure.

Le vol du charognard

Le principe de la vengeance graduée est de tourner comme un oiseau de proie en vol concentrique au-dessus de sa victime avant de se décider à fondre sur elle. C’est la seule métaphore à peu près potable m’étant venue à l’esprit pour définir une approche commençant par augmenter le degré de menace jusqu’au plus haut en la faisant d’abord peser essentiellement sur l’entourage de la personne se trouvant au centre de ces cercles. Resserrer son  étreinte étant bien sûr la finalité de la manœuvre. Comme une clef de lutteur ou de judoka sur le cou de son adversaire. L’étrangler d’abord au figuré, puis au propre. S’agirait pas de nous faire des taches partout, non plus ! Au fait, vous avez des raisons d’en vouloir à quelqu’un en particulier, ces derniers temps ?…

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