Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Un livre, votre passeport pour voyager dans votre bibliothèque

Sommaire

Un livre reste votre meilleur passeport pour voyager dans votre bibliothèque. Plus de frontière, ni de limite. L’aventure est sans risque. Cet article inaugure un carnet de voyage d’un lecteur, celui de Frédéric Barbas.

L’aventure de nos lectures

Durant mon parcours de lecteur, j’ai connu bien des émotions. De lâches en héros, de traîtres sublimes en amantes inventives, de petits malins romantiques en femmes de tête énergiques, j’ai compris que la vie pouvait se raconter. Je me disais récemment que si chacun d’entre nous avait à parler de cette drôle d’aventure qu’est celle de nos lectures, il y aurait tant de choses à écrire qu’on ne saurait par quoi commencer. Sans parler de ce que nous pourrions en retirer.

Les lectures immortelles

Comme le temps trépasse !

Je ne peux certes parler que de mon vécu en espérant que chacun s’y retrouvera d’une manière ou d’une autre. J’ai atteint l’âge où quand on me parle d’un auteur qui a beaucoup publié, je vérifie qu’il est encore en vie. Quand à onze ans à peine je lisais mes premiers Frédéric Dard, je ne  concevais pas le père de San-Antonio autrement qu’immortel. Sa verve me le rendait insensible aux années qui défilent. Voici vingt ans qu’il nous a quittés. De l’écrire m’abasourdit. Avant de commencer cet article, j’aurais pu jurer qu’une petite dizaine d’années s’était écoulée depuis son trépas, pas plus.

Prendre un vers au comptoir

Eh bien non. Ceux qui nous ont accompagnés durant une bonne partie de notre jeunesse, et au-delà, s’inscrivent durablement dans notre mémoire. Au point de brouiller nos repères temporels. Qu’est-ce que Dard m’a enseigné ? Le goût des mots, indubitablement. De les faire se crocheter en un langage farceur. Son muscadet qu’on lichetrognait tôt le matin entre flics mélancoliques accoudés à un rade de Paname avait l’arôme d’un monde à la poésie particulière que je ne connaissais pas, s’il a jamais existé. Je ne suis pas ressorti indemne de sa truculence et de son argot, à ma grande joie. Quand le vocabulaire est fleuri, c’est qu’il ne cesse de pousser.

So phare away

Au moment où je vous parle, je le parierais, vous avez en tête l’auteur qui s’est révélé votre phare dans ce tumultueux océan littéraire qui ne connaît de fin que la nôtre. Enfin, l’un de vos phares, car je ne doute pas que durant ce trajet littéraire qui vous a entraîné si loin, so far away comme le dit la chanson, vous ayez bénéficié de plusieurs éclairages. Nous autres lecteurs sommes tous à peu près faits du même métal, bien que nous ayons chacun notre particularité et nos goûts. On va d’une découverte à une déception. Ces dernières ne sont pas fréquentes, en ce qui me concerne. Mais qu’est-ce qui les conditionne ? Quel est notre rapport à la lecture, en fait ?

Les différents voyages de la littérature

La chaise, le livre et l’encrier

Je réfléchissais à ça et je me suis dit qu’on pourrait se tirer une chaise sous l’auvent et en causer. Attention, même sous cet abri, vous pourriez vous voir asséner des considérations philosophiques à trois francs six sous, comme on disait avant que cette expression soit démonétisée. Après avoir abordé bien des façons d’écrire et quelques manières – utiles – de lire, voyons un peu quelle importance la lecture occupe dans notre existence, pour peu que vous vous reconnaissiez un tant soit peu dans ce qu’elle a déclenché chez moi. Et, comme effleuré en préambule, essayons de savoir si ça peut rajouter de l’inspiration dans l’encrier.

L’alchimiraculeuse

La littérature tient le monde en respect autant qu’elle nous y rattache. Plongé dans un bon bouquin, le cosmos pourrait bien se replier sur lui-même que je ne percevrais pas le plus petit écho de ce fracas galactique : lire, c’est éloigner son esprit vers des milliers d’ailleurs comme se recentrer sur soi par la vertu d’un discours qui nous interroge. C’est être à la fois loin et proche de qui nous sommes en une sorte d’alchimie miraculeuse. Une alchimiraculeuse. Je ne connais pas de pays plus vaste qu’un livre de poche. Les romans ne possédant pas d’autres frontières que celles de notre imagination, c’est un territoire dont les contours ne cessent jamais d’être redéfinis à la faveur des images et des idées nées sous la plume des écrivains.

Les escales enfiévrées

La littérature s’est révélé une idéale succession de voyages tout au long des années que j’ai laissées derrière moi. Avant chaque embarquement, j’ai bien pris soin de ne jamais me faire vacciner contre la fièvre de la lecture. Des centaines d’escales, aucun retard, pas plus que d’annulation, rien qui atténue le plaisir. Oh, bien sûr, j’ai connu les minuscules contrariétés  de ne pas trouver mon compte chez un auteur dont on disait qu’il était le nouveau ceci, la relève de cela, alors que dans le meilleur des cas il faisait figure de très pâle copie des écrivains auxquels on lui accordait généreusement – commercialement ? – une filiation. Mais cela ne m’a heureusement pas conduit à renoncer aux charmes du dépaysement !

Voyager pour obtenir un excellent bagage

Ouvrir les valises mentales

L’une des premières tâches à laquelle on se consacre en revenant d’un voyage, c’est défaire nos valises et ranger nos affaires. Nous procédons de même quand il s’agit du retour d’un voyage-livre : les « souvenirs » collectés au fil des pages, les façons d’écrire, les astuces narratives viennent pour une part garnir les étagères de notre esprit à différents niveaux de conscience. Probablement n’agissons-nous pas tous pareil afin de classer ces nouveautés dont quelques-unes enrichiront notre écriture : certains les alignent en piles bien nettes, d’autres éparpillent le contenu de ces valises mentales sans ordre apparent, chacun selon ses préférences pour accéder le plus efficacement possible aux ressources engrangées.

Quand le bagage intellectuel facilite les transports amoureux

Nous ne sommes pas égaux concernant notre capacité à mémoriser des procédés techniques, pas plus que dans notre faculté à repérer des habiletés littéraires. Cependant, on retire toujours des bénéfices de la lecture d’ouvrages nous ayant séduits, et on complète chaque fois un peu plus notre bagage en s’en servant. Il s’agit d’un lien tenant du sentiment amoureux de la littérature, si je puis dire. Les écrivains dont la prose parvient à nous ravir servent d’autant mieux à bonifier nos écrits qu’une identification naturelle tendant à l’imitation plus ou moins voulue s’effectue jusqu’à constituer un modèle. Ce dernier se construit et évolue bien sûr  par l’agrégation au fil des ans de nouveaux auteurs. Mais qu’est-ce qui peut bien nous plaire chez ceux dont on éprouve le besoin de s’inspirer comme s’ils s’imposaient à nous ?

Ces écrivains dont on s’entiche

S’attacher à des écrivains au point de ressentir un sentiment de joie quand paraît leur dernier livre s’explique pour diverses raisons. Outre le bonheur de se couler dans un univers familier, l’apport stimulant que leur écriture a sur la nôtre et la possibilité d’y dénicher des moyens de progresser provoquent une réelle motivation. On sait d’avance que d’une manière ou d’une autre, ils vont nous apporter quelque chose de précieux. La fascination que les livres exercent sur nous a comme en amour des aspects rationnels et d’autres ne répondant à aucune logique. Pour le côté rationnel, bien qu’une part de subjectivité soit impossible à écarter, on peut juger de la qualité d’un texte selon des critères simples partagés peu ou prou par tous. Sa lisibilité, son originalité, son style, etc.

Pourquoi n’aimez-vous pas ce que j’aime ?

Pourtant, il est éblouissant, ce livre !

En revanche, comment expliquer qu’un roman nous transporte quand il laisse froid un autre lecteur ? Pour quelle raison une histoire parle-t-elle à notre âme quand à d’autres elle ne murmure pas même à leur oreille ? Bien qu’il soit rare que je perçoive un livre de façon diamétralement opposée à celle de mes proches, ça arrive tout de même. Nous n’avons pas été touchés avec la même intensité. Ils n’ont pas souri aux passages qui m’ont vu m’esclaffer. Pas été émus le moins du monde quand, le héros ayant tout perdu, je me suis senti abattu pour lui. Pas été émerveillés par la profondeur du propos alors qu’il entrait en résonance avec certaines des idées gouvernant ma vie. Un roman si brillant qu’il nous est impossible de concevoir qu’il ne puisse provoquer un éblouissement collectif instantané, comme si un flash se déclenchait à chaque page tournée. À moins qu’au lieu d’avoir été ébloui, on ait été aveuglé ? L’amour rend ainsi, dit-on…

C’est pas mal, mais…

Oh, ce n’est pas que mes proches rejettent tout en bloc, en pareil cas. Le style a pu leur plaire… mais le rythme ? Il y a des longueurs, non ? Ou bien c’est l’inverse : ah c’est sûr, c’est enlevé, par contre l’écriture n’est vraiment pas folichonne, si ? L’histoire ? Oui, elle n’est pas mal, mais… Non, si, mais, on ne sait plus que penser à force, et s’y l’on n’y prenait garde on se persuaderait qu’on a eu l’exaltation facile ! Comment expliquer une perception si différente d’un même texte ? Faut-il être en phase avec une œuvre pour pleinement l’apprécier ? Je suppose qu’il vous est arrivé d’avoir envie de lire un roman dont le sujet vous passionnait et le style vous plaisait ; mais vous ne rentriez pas dedans. Vous ne disposiez pas de la bonne clef à ce moment-là pour la serrure dont il était doté (s’il n’en possédait qu’une). Et peut-être en sera-t-il ainsi toute votre vie à propos de ce bouquin-là.

Et en insistant bien ?

Si vous êtes comme moi du genre à insister lorsque votre logique est heurtée, vous avez dû effectuer plusieurs essais le jour où un tel blocage s’est installé. Après tout, ne dit-on pas qu’il n’y a pas de forteresses imprenables, mais des forteresses mal assiégées ? Aussi a-t-on dû mal aborder l’ouvrage tant plébiscité, ou n’étions-nous tout bonnement pas dans l’état d’esprit idéal afin de nous pénétrer de sa magie… En guise d’exemple, cela fait plus de deux ans que j’essaie d’avancer dans Au-dessous du volcan,de Malcolm Lowry. D’autres romans me résistent depuis bien plus longtemps – n’y voyez pas un caractère obstiné, seulement une persévérance sans faille –, mais j’ai tellement lu de critiques élogieuses à son sujet, pour ne pas dire dithyrambiques, que je ne parviens pas à y renoncer.

Comment se faire une montagne d’un volcan

À l’attaque !

 « Un chef-d’œuvre comme il n’y en a pas dix par siècle. », ai-je lu au sujet du roman de Lowry ; forcément ça procure un furieux désir de le lire – même si cet avis de Paul Morelle figure comme argument de vente en quatrième de couverture. J’en ai entrepris la lecture quatre fois. Quatre tentatives infructueuses dont la plus aboutie, comme une timide percée dans des lignes ennemies, m’a à peine mené au-delà de la soixante-dixième page. Aussitôt franchis des paragraphes s’enroulant comme des barbelés, j’ai mesuré mes pertes : les fantassins de la motivation en ont pris un sale coup, les blindés de l’enchantement ont été éventrés d’éclats d’ennui, l’aviation de l’intérêt a explosé en plein vol.

La tentation du drapeau blanc

Que se passe-t-il ? La magie évoquée plus avant n’opère tout simplement pas. Le pire, c’est que je ne lui trouve aucun défaut : le style est superbe, la narration se déploie parfois lentement mais toujours avec une forme de majesté, l’histoire m’intrigue, il y a des descriptions à tomber par terre, une ambiance captivante… mais rien n’y fait. Quand je me mets à lire, au bout d’un moment, je finis par perdre le fil plus souvent qu’à mon tour. Lorsque ma concentration s’évapore avec tant de constance en dépit de tous mes efforts, je déclare provisoirement forfait. Et bien que cela soit tentant, je ne vais pourtant pas brandir mon drapeau blanc de lecteur et capituler, ah ça non ! Prochain assaut dans deux ou trois mois ! Et j’espère que ce volcan dont malgré tout je ne me fais pas une montagne n’accouchera pas d’une souris…

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