La construction d’un personnage est souvent un problème épineux auquel on rechigne parfois à se frotter. Difficile en effet de trouver l’équilibre grâce auquel on rendra ses réactions cohérentes, pas plus qu’il n’est aisé d’en dresser un portrait ne le ridiculisant pas involontairement en exagérant certaines de ses caractéristiques. C’est pourquoi, désireux d’être logique avec moi-même, j’ai eu envie de dresser le profil d’archétypes caricaturaux, rien que ça…
Le méchant
La joie mauvaise du méchant
Le méchant peut avoir des moments d’abattement. Mais ça ne dure pas. Il rentre chez lui tard après avoir merdé – le méchant est d’une saleté repoussante – dans une de ses tentatives d’accomplir un vil forfait. Puis il s’avachit dans son canapé déglingué – manquerait plus qu’il vive dans le luxe, celui-là – et rumine des pensées d’une terrible noirceur durant quelques minutes. Il pourrait allumer la télévision histoire de dissiper les ténèbres de sa soirée, mais il sait par avance qu’aucun programme ne trouvera grâce à ses yeux, ce qui le rend furieux. Et comme ce n’est pas un méchant pour rien, il se dresse brusquement, donne un bon coup de pied à son chien, et son visage sombre s’anime subitement d’une joie mauvaise. Le visage du méchant, hein, pas celui du cabot. Pour se venger, il fera des crottes sur le tapis élimé du minable salon. Le toutou, pas le…
Quand le méchant fait des étincelles
Bref, d’un geste rageur, notre méchant enfile son blouson en véritable cuir de femme (il est vraiment très très méchant). Il sort ensuite de son horrible masure en claquant la porte derrière lui, ayant des difficultés à la claquer devant lui sans se la prendre dans le nez, car le méchant a un grand nez, puis il s’enfonce dans les ultimes lueurs du soir. Derrière leurs volets, ses voisins entendent avec frayeur son ricanement sinistre résonner contre les murs de la ruelle dans laquelle il s’avance, déterminé à faire le mal, ses bottes ferrées faisant jaillir des étincelles sur le pavé. Pour le méchant, la nuit n’est jamais finie.
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Le gentil
Traits rayonnants et truffe luisante
Le gentil peut avoir des moments d’abattement. Mais ça ne dure pas. Il rentre chez lui tôt le matin après avoir essuyé un échec – le gentil est très propre – dans une de ses tentatives d’appréhender un malfrat. Puis il s’assied avec souplesse dans un sofa luxueux – manquerait plus qu’il vive dans le dénuement, ce brave homme – et se remémore les événements des dernières heures avec une profondeur d’esprit inégalable. Il regarde avec indulgence quelques minutes d’une émission où les invités font les foufous, puis éteint le téléviseur. Il se lève dans un mouvement d’une grâce innée, tapote gentiment le crâne de son fidèle chien recueilli un jour pluvieux dans la rue, et ses traits nobles rayonnent soudain d’un espoir nouveau, la truffe de son petit bâtard luisant au diapason. Pour le remercier, il repassera ses chemises en attendant son retour en remuant la queue. Ah non, ça, c’est la compagne du gentil qui s’en charge…
Un félin dans le soleil
Bref, d’un geste élégant, notre gentil revêt sa veste souple en lin (il a vraiment très très bon goût). Il franchit le seuil de son duplex dominant un parc verdoyant, en referme délicatement la porte tout en frottant son nez parfait de façon adorable, puis une fois dans le hall où l’ascenseur l’a mené, il marche d’un pas félin vers l’extérieur où l’attend un soleil le mettant en valeur. Ses chaussures impeccablement cirées produisent un bruit agréable alors qu’il remonte l’avenue en sifflotant, provoquant les regards admiratifs des personnes qu’ils croisent. Pour le gentil, une nouvelle journée lumineuse se profile.
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La méthode gentiment méchante
L’architecture de la caricature
Alors, comment m’y suis-je pris afin de marquer l’opposition entre le méchant et le gentil ? Vous l’avez remarqué, je me suis d’abord amusé – oui enfin, c’est quand même du boulot, faut pas croire –, à élaborer une structure en miroir. Non, je n’ai pas écrit en me rasant. On ne procède jamais ainsi quand on s’attaque à une histoire, du moins n’ai-je pas d’exemple où un auteur aurait recouru à cette façon de faire. Toujours est-il que cela m’a permis de renforcer le côté caricatural de mon exemple en bâtissant ces deux portraits si différents sur une architecture quasiment identique. Je sais, j’ai réalisé là un véritable tour de force littéraire. Qui a dit « Un coup de maître » ? Merci, c’est aussi aimable que lucide, aussi ferai-je un don à l’association de votre choix.
Outrance et fantaisie
En fait, il est certain que c’est là un exercice des plus plaisants à effectuer, et qui plus est, très formateur. Pour qui souhaite allier fantaisie de la pensée et rigueur de l’écriture (et inversement), se servir de la même ossature narrative en changeant la pigmentation de la peau lexicale dont elle est recouverte fait appel à plusieurs techniques littéraires. En premier lieu, que ce soit dans le cas du méchant ou du gentil, l’amplification joue à plein. Tout ou presque paraît exagéré, l’exagération chapeautant notamment l’hyperbole, l’ironie et la caricature, des éléments dont je ne me suis pas privés pour ces deux portraits. Les comportements comme les descriptions de l’un ou de l’autre sont volontairement décrits de façon outrancière.
Le langage du contraste
Deuxièmement, l’antithèse, qui se manifeste ici par le contraste entre les mots appropriés afin de tirer résolument le méchant vers le côté obscur de son personnage : noirceur, ténèbres, sombre, nuit. À l’inverse, pour définir la pureté du gentil, j’ai utilisé les termes suivants : rayonnent, luisant, soleil, lumineuse. Bien que l’effet de ce contraste soit dilué par une séparation voulue entre le méchant et le gentil, il se rattache néanmoins, dans l’idée d’une confrontation, à des titres comme Le rouge et le noir, Guerre et paix, etc., qui eux s’opposent de manière directe pour une efficacité maximale.
Violence et bienveillance
Cela se traduit enfin par l’opposition de deux archétypes par essence immédiatement identifiables car définis par des références communes et assimilées par le plus grand nombre. Le méchant sera violent et aura tendance à avoir une attitude exécrable, quand le gentil aura une approche bienveillante de son prochain. Bien sûr, l’archétype est manichéen dans le sens où ses contours ne se dessinent pas à grand renfort de nuances, le gentil pouvant à l’occasion faire preuve de brutalité et le méchant d’altruisme. Bon, à la fin de cet article, je ne sais plus si je suis Docteur Jekyll ou Mister Hyde, moi…