L’époque évolue, et les éditeurs avec elle. Depuis plusieurs décennies, ils ont intégré une nouvelle stratégie à leur modèle économique : aller vers les écrivains déjà édités pour leur passer des commandes répondant à des besoins particuliers. Avec la révolution numérique, un palier supplémentaire a été gravi. Les auteurs débutants ont compris qu’en se formant à l’écriture, ils augmenteraient considérablement leurs chances de percer dans une autoédition repensée pour épouser un paysage littéraire se redessinant à la vitesse du clic…
Des balbutiements à la norme
Les excroissances technologiques
Nombre d’écrivains tracent leur propre sillon en s’illustrant grâce à des histoires originales ne répondant pas à une demande spécifique. Quand les circonstances donnent un coup de pouce à leur talent, ce chemin les mène vers une maison d’édition sous le toit de laquelle leurs œuvres seront abritées. Il ne s’agit pour autant pas du seul moyen de passer une carrière littéraire bien au chaud. Si cette pratique perdure, elle est en effet loin d’être figée, car les excroissances technologiques du milieu éditorial ont créé un mouvement de fond dans le monde des lettres.
Après le Nouveau roman, les nouveaux livres
Depuis les années 1950 jusqu’en 2000, après les balbutiements d’usage accompagnant chaque mutation d’un domaine, les commandes sont devenues l’une des normes de la littérature. Le high-tech accélérant le cours des choses, il ne fallut guère de temps avant que l’hydre de l’écriture numérique voie apparaître ses premières têtes : en 2007, le Kindle d’Amazon faisait irruption dans le quotidien des lecteurs – et des auteurs –, suivi en 2009 par l’iBooks d’Apple. Adieu bruissement des pages, bonjour tapotement des doigts sur le clavier.
Les marges du billet
Ces deux objets préfiguraient autant qu’ils symbolisaient la survenue de l’autoédition numérique. Des auteurs de pure circonstance ou des écrivains plus chevronnés virent là une aubaine pour se dispenser de services d’éditeurs traditionnels aux marges jugées parfois excessives. Ainsi, de ces liseuses aux diverses plateformes en passant par la mise en avant de ces auteurs 2.0 par les réseaux sociaux, on a vu fleurir à chaque coin de site ou de blog des plumes jusqu’alors cantonnées à une relative confidentialité.
L’Eldorado des écrivains ?
L’encrier connecté
En France, bon an mal an, on estime entre 50 000 et 80 000 les gens tentant l’aventure de l’encrier connecté, pour des fortunes diverses comme on peut l’imaginer. Chaque médaille ayant son revers, cette autoédition attractive par sa facilité d’accès et la visibilité qu’elle laisse espérer ne génère pas forcément de gros gains, quand gains il y a. Ce n’est ni l’Eldorado annoncé, ni le fiasco prédit par certains, mais un entre-deux intéressant pour les débutants et ce à bien des égards.
Les figures de proue
Ce qui fut une mécanique innovante à créer le succès est devenue une démarche naturelle pour les auteurs sans éditeur. Parmi ces néo-écrivains ayant rapidement compris la nécessité de fédérer un lectorat numérique actif, quelques-uns ont fait plus que percer dans le métier : ils ont été les figures de proue de sa réinvention. Cela a bien entendu quelque peu rebattu les cartes dans le rapport que les aspirants écrivains et les maisons d’édition entretenaient jusqu’alors.
L’adaptation
Les premiers ont souvent suivi, et continuent à suivre, des formations d’écriture afin de soumettre du contenu adapté à ces supports et de les exploiter au mieux. Les éditeurs, réticents au départ, ont quant à eux révisé leur jugement pour finalement voir dans ce bouleversement une opportunité de repérer des talents passés sous leur radar. 50 nuances de Grey d’E.L. James s’est par exemple écoulé à plus de 150 millions d’exemplaires à travers le monde après avoir été autoédité en eBook. Même les gens n’en ayant jamais lu une page savent que c’est un succès planétaire.
Les auteurs du Net
Un casting bien identifié
Pour l’édition, industrie soucieuse comme les autres de négocier au mieux le virage du numérique, la plus-value non négligeable de ces « auteurs du Net » est de garantir, pour les plus en vue, une rentabilité quasiment immédiate. Les indicateurs pour s’en convaincre sont aisément identifiables et limitent les erreurs de casting : un nombre de followers substantiel, une communauté de lecteurs dynamique et des blogueurs/influenceurs se faisant l’écho de projets en cours ou de parutions leur ayant plu contribuent à ce qu’ils bénéficient d’une visibilité importante.
Entre deux octets
À présent que le décor est planté, nous observerons la semaine prochaine la réactualisation des commandes diverses et variées ayant vu le jour depuis l’avènement de l’autoédition numérique : des guides pratiques aux romans à la demande, des biographies aux recueils collectifs, etc. Ce ne sont pas les genres qui manquent pour ceux apprenant à écrire de façon classique tout en demeurant en permanence dans le flux technologique. Nous essaierons donc de comprendre comment frayer un petit espace à notre inspiration entre deux octets de cette gigantesque machine virtuelle. D’ici là, il devrait même y avoir moyen de glisser dans cet interstice les deux feuilles de cet article…
