Jouer avec les mots, quelle belle occasion offerte par cette semaine de la langue française, où on peut légitimement se demander comment jongler avec, sans aller au cirque. Ni en s’improvisant cracheur de fou. De feu ? Pardon, mon imagination s’enflamme et me conduit à un délire linguistique rien qu’à l’idée de traiter d’un sujet qui me tient ta sœur. Qui me tient à cœur, voulais-je dire, mes lecteurs les plus facétieux auront rectifié d’œufs-mêmes…
La collision des mots
Fuir les mariages fades
La confrontation des mots, selon le brillant Gianni Rodari, doit s’exprimer comme une lutte intellectuelle, là où la banalité s’invite trop souvent en des assemblages textuels manquant de saveur. Un mot ne doit pas seulement répondre à un autre. Il leur faut s’embrasser ou s’engueuler, bref, fuir la fadeur. Si vous les mariez de façon trop sage, ils ne provoqueront rien de plus qu’un regard ennuyé de votre lecteur. Pour échapper à un style convenu, une friction doit s’opérer entre deux vocables. Je vous prends un exemple emprunté à une célèbre affiche pour une élection présidentielle : « La force tranquille ». Deux mots simples pour une opposition qui marque immédiatement l’esprit. Ce n’est donc pas forcément la richesse du vocabulaire qui permet de conférer quelque chose de remarquable à une formule, mais l’emploi de deux termes dont la complémentarité n’avait rien d’évident au départ. Ce slogan a plus de quarante ans, et fait désormais partie du langage courant, ce qui prouve son efficacité.
Quand le bourreau fredonne
Dans un autre genre, le titre « Le chant du bourreau », de Norman Mailer, fait appel à un contraste étonnant, pour ne pas dire choquant. En effet, le chant évoque généralement un aspect festif, quand l’image du bourreau s’impose immédiatement à nous, à juste titre, dans les replis sanguinolents de l’Histoire. Ce qui pourrait s’apparenter au mariage de la carpe et du lapin fonctionne pourtant par son côté surprenant, mais pas seulement. Encore faut-il que l’image créée ait une portée symbolique, aussi contrastée soit-elle, imprégnant ainsi la pensée du lecteur.
Une orange dans le moteur
Une alliance de mots atypiques peut également produire un puissant effet sur le lecteur, l’intrigant d’emblée avant même de connaître le propos d’un livre. « L’Orange mécanique » me paraît être l’un des exemples le plus représentatif de ce procédé. Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, quand j’ai découvert ce titre de Burgess, je me suis dit quelque chose comme : « L’orange quoi ? J’étais foutu. Il me fallait ce bouquin. Si je n’avais pas eu d’argent sur moi à l’époque, je l’aurais volé. Tiens, d’ailleurs, je me demande si j’avais pris mon portefeuille, ce jour-là…
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Mentez, ça peut marcher
Un mensonge original
Le titre du film « La vérité si je mens » tire son potentiel comique d’un délicieux non-sens sémantique qui interpelle par son originalité. On est curieux de savoir quel sera le contenu cinématographique d’un long-métrage s’avançant sous cette bannière langagière revendiquant fièrement son côté de comédie déjantée. Et de fait, quelques scènes dites cultes répondent totalement à cette attente. La promesse de ce titre volontairement loufoque est ainsi tenue dans son prolongement sur grand écran, certaines répliques jouant là encore sur l’agencement des mots et le quiproquo :
« Pour le traiteur, j’ai pensé qu’on pourrait prendre Lenôtre.
— Pourquoi pas. Et qui c’est ?
— Comment ?
— Le traiteur ! Qui c’est ?
— C’est Lenôtre. Mais si vous préférez prendre le vôtre…
— Nan, on n’a qu’a prendre le vôtre
— Parfait
— Alors ? C’est qui ? J’ai compris, vous voulez pas le dire. »
La mouche perfectionniste
On voit l’importance de combiner les mots pour inciter les gens à nous lire ou à voir comme pour « La vérité si je mens » quelle proposition filmique se cache derrière ce titre. À travers les différents exemples de cet article sélectionnés avec une rigueur scientifique et un talent plutôt considérable, j’ai voulu vous encourager à ne pas céder à la facilité de se contenter des premiers mots nous venant en tête. Ma réflexion personnelle à ce sujet est de considérer qu’il s’agit d’une base susceptible d’être améliorée. Qu’on ne fait pas toujours mouche du premier coup. Mais ne tombez pas dans le perfectionnisme pour autant : c’est un sol rocailleux qui a brisé les reins littéraires les plus solides. Hormis les miens, s’entend…