Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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L’originalité dans l’écriture

Sommaire

En découvrant l’originalité dont regorge votre livre, votre lecteur sera convaincu d’avoir eu raison de jeter la veille au soir celui qui en est sûrement, totalement dépourvu. Après son geste désabusé, il est parti dormir d’un sommeil profond, une littérature d’une platitude désespérante équivalant à une tisane de verveine. Mais grâce à votre roman, s’il lui propose un style pétillant, des phrases qui allumeront une lueur d’intérêt dans son regard, en résumé, si votre style est original, la verveine demeurera dans le placard et votre lecteur dans son fauteuil préféré. Les yeux grand ouverts…

Albalat, une vie d’écriture

Antoine Albalat, ayant réfléchi tout au long de sa vie à l’écriture, mais aussi pour avoir rédigé lui-même des  ouvrages faisant encore de nos jours référence sur le sujet, savait de quoi il parlait quand il affirmait que « Le style est une création perpétuelle ». « Création d’arrangements, de tournures, de tons, d’expressions, de mots et d’images. » Pour avoir trouvé en ces sages paroles un écho pertinent aux miennes si un jour je les avais prononcées, j’en suis venu comme lui à penser que l’originalité est toute contenue dans ces diverses facettes de l’écriture. Et qu’il faut donc l’en extraire. Il ne suffit pas de frotter un mot contre un autre pour produire des étincelles. J’en ai mal aux doigts rien que de l’évoquer.

Le papillon plutôt que la bouse

L’originalité se niche partout où l’œil voit autre chose que ce qui s’y trouve. Non, je ne fais pas allusion aux hallucinations. Bien que se forger des images mentales distordant la  réalité à partir de mots ou d’expressions puissent s’y apparenter. Mais je pensais plutôt à notre propension à davantage voir le papillon que la bouse sur laquelle il est posé. Pardonnez-moi, je ne peux m’empêcher d’avoir de ces élans poétiques embellissant le monde et permettant à cette société d’être si harmonieuse. Mais si. Un caca de vache, un lépidoptère aux ailes chatoyantes, et mon ciel s’illumine.

Des vaches dans le salon

Tenez, partons de ces deux mammifères, dont l’un est un insecte, afin d’ores et déjà construire une scène originale, pour ne pas dire singulière – qui se trouve un de ses synonymes, ce qui déjà n’est pas banal, mais bref, passons. Imaginons qu’un papillon broute et qu’une vache volète de fleur en fleur pour les polliniser. Ensuite, voyez le visage éclairé de bonheur de votre conjointe ou de votre conjoint lorsque vous déposerez dans un vase le bouquet empestant le bovin que vous aurez eu soin de confectionner au hasard de votre promenade bucolique. Joie ! Ravissement !

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La place de l’originalité dans le texte

Pschitt-pschitt !

Bon, pour faire un peu de place dans le salon, je vous suggère de vous emparer au plus vite d’une bombe mammifide (ben quoi, on dit bien insecticide, non ?) avant que cela n’aille de mal en pis. Une fois les Charolaises ou les Salers agonisant sur le carrelage de la pièce en faisant bzz bzz-meuh meuh, il ne vous restera plus qu’à les ramasser avec une pelle et une balayette afin de les jeter sur la terrasse frappée d’un lourd soleil. Je suis sûr qu’à défaut de papillons, on verra vite des mouches rappliquer. Pour la Limousine, vous pourrez toujours la remiser dans le garage.

L’originalité omniprésente et celle embusquée

Ceci étant, il s’agit d’une situation mélangeant originalité, humour (bien sûr que si) et surréalisme. Alors que l’originalité doit se suffire à elle-même. Tout ça pour ça ? Oui. L’originalité est bien présente dans les paragraphes précédents pour soutenir un passage des plus délirants, mais elle est plus permanente dans le texte que celle attendant son heure pour en surgir. Et surprendre le lecteur grâce à cette apparition inattendue pleine de fantaisie. Celle-ci accrochera davantage l’œil du lecteur, qui souvent s’y arrêtera pour en apprécier d’autant plus l’excentricité qu’elle sera isolée par sa différence la faisant émergée du discours.

Le bon moment d’être original

En fait, une expression originale doit guetter le bon moment pour jaillir de sa boîte. À l’auteur de l’ouvrir à bon escient. De ne pas écœurer son lecteur en voulant en faire trop. À l’exception d’un texte réclamant, par choix, une continuité de bizarreries pour exister. On doit noter une chose très importante  au sujet de l’ironie. Son rôle est avant tout de retirer à une histoire son côté prévisible. De lui conférer une énergie au cours d’un passage qui en serait dépourvu de manière flagrante. Il ne faut pas oublier également que l’ironie peut, ou plutôt doit piocher dans tous les registres mis à sa disposition. Elle n’est pas rattachée uniquement à la franche marrade. Elle doit faire appel à la frayeur comme au sentiment amoureux ou au cynisme, etc., selon les circonstances.  Ce que l’on va voir avec Chateaubriand, la Bruyère et Chevalier…

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La création perpétuelle

Ce qu’on doit retenir, ce qu’on doit oublier

Comme toutes les bonnes choses ont une fin, je vais maintenant aborder avec un sérieux inébranlable ce qui fait l’originalité d’un texte par l’angle du style défini comme une création perpétuelle. De prime abord, on pourrait s’interroger sur l’opportunité de changer un style qui fonctionne. La première réponse me venant à l’esprit est de s’inscrire dans le mouvement de son époque littéraire. Les récits d’antan n’ont plus le même rythme, et, à de notables exceptions, il est aujourd’hui rare qu’une description s’étale sur six pages. Le langage, lui aussi, évolue sans cesse. Ce qui passait pour neuf et porteur d’une fraîcheur intellectuelle il y a des siècles appartient désormais à un registre pour la plupart suranné.

L’originalité joliment tournée

Pour autant, il est fréquent que l’originalité soit bien présente, toutes époques confondues. Mais ce qui surprenait, faisait sourire ou naître de l’admiration a fatalement évolué, bien que la littérature de jadis conserve plus que de très beaux restes en la matière. Il suffit pour s’en convaincre de relire Jean de la Bruyère dans Les caractères: «  L’on n’aime bien qu’une fois : c’est la première. Les amours qui suivent sont moins involontaires. ». Ou bien Gabriel Chevalier ; ce dernier écrivait ceci dans son magnifique Clochemerle :

« Inaugurer de son vivant une rue dont les plaques sont frappées blanc sur bleu à son nom, ne doit pas être réjouissant. J’ai sur les lèvres un avant-goût du posthume : l’impression d’être un individu excédentaire. »

Je ne résiste pas à cette dernière friandise de François-René de Chateaubriand : « Il faut être économe de son mépris étant donné le nombre de nécessiteux. »

La précision de l’originalité

On constate un point commun à travers ces traits d’esprit, tous plus cyniques, amers, drôles et recherchés les uns que les autres. La tournure en est étincelante de simplicité. J’entends par-là qu’aucun mot n’y ayant pas sa place ne vient en gâcher l’effet. Rien n’en parasite l’idée telle que l’auteur a souhaité qu’elle soit perçue. C’est de la littérature chirurgicale. Alors peut-être qu’avant, ce n’était pas mieux. Mais pour qu’une phrase « moderne » exprime son entière originalité, elle peut sans crainte de paraître ringarde s’inscrire dans ce souhait de se montrer le plus précis possible dans le choix des mots, quitte à tester chaque nuance de ceux qui en sont proches pour voir s’ils sonnent mieux sans dénaturer votre propos initial. C’est ce qui fera la différence.

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Jouer avec son lecteur

Quand les mots sont traîtres, on ne les comprend pas

La nécessité de ne plus écrire comme autrefois et la « nouvelle » originalité qui en découle ne sont donc pas entièrement incompatibles pour les raisons citées dans le paragraphe intitulé Ce qu’on doit retenir, ce qu’on doit oublier. Je dirais même qu’il faudrait parfois s’en inspirer. Mais aussi, comme le signale Guy Demerson dans sa préface du Pantagruel de François Rabelais, elle a besoin d’« un parti pris de vulgarisation ». La compréhension des subtilités de ce livre (et de nombreuses œuvres) étant rendus malaisées en raison de l’emploi du moyen ou de l’ancien français, rebutant pour la plupart les lecteurs actuels. Une fois « restaurés » d’un point de vue langagier en « trahissant » leur écriture au minimum, Rabelais et consorts demeurent donc tout à fait accessibles, ce qui est heureux. Un autre petit exemple pour la route : « […] Chevauchoyt  pour sa monture un gros canon pevier : c’est une beste de beau et joyeux amble, sans poinct de faute ! En icelle façon saulva après Dieu ladicte arche de periller, car il luy bailloit le bransle avecques et du pied la tournoit où il vouloit, comme on faict du gouvernail d’un navire. »

Que le lecteur un rien désorienté se rassure : l’éditeur a eu la fort bonne idée de « traduire » ce langage qui ne nous est guère familier sur la page de droite, grâce à laquelle la comparaison instantanée éclaire les vocables qui nous rendent les expressions les plus obscures tout à fait compréhensibles.

Les bousculades lexicales

Entrons à présent dans l’aspect purement technique de cet article, celui que vous attendez tous depuis de longues minutes en retenant votre respiration. Au fait, il y a des survivants ? ok ; alors je continue. L’originalité d’un style contribue à son identification, d’autant plus si le lecteur s’en empreigne. Si, à force d’en éprouver les mécanismes habituels, il finit par les repérer et les anticipent sans toutefois deviner dans quelle direction l’auteur désirent se rendre. Ni comment il va le surprendre malgré qu’il en ait décelé quelques clefs. En cela, l’originalité doit le moins possible être répétitive. Cela peut paraître idiot dit ainsi, mais l’originalité est tout sauf un modèle de phrase figée qu’on peut reproduire à l’infini. Il faut au contraire du remue-méninges dans vos constructions lexicales.

Les sœurs jumelles

Pour éviter de s’auto-plagier, des petits signaux s’allument en général dans votre esprit pour vous prévenir que vous êtes en train de réécrire quasiment mot pour mot une phrase dont on pourrait dire qu’elle est la sœur jumelle de celle rédigée quatre chapitres auparavant. Vous avez employé un procédé similaire pour atteindre le même objectif. Sans vous en être aperçu, vous avez reproduit presque à l’identique une structure textuelle, car, la première fois, elle vous a séduit. Et c’est resté implanté dans un recoin de votre cerveau alors qu’aucun ordre conscient de votre part ne vous l’avait intimé, du genre : « Reste bien planquée là, je passe te reprendre plus tard. » Inutile de consulter si ça vous arrive. Sauf le grand type vêtu d’une camisole qui se cache dans les toilettes pour dames en roulant des yeux.

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L’aspect positif de l’originalité sur l’écrivain

L’originalité nous valorise

En fait, ce qui s’est montré efficace révèle notre potentiel en matière d’originalité. Aussi loin soit-il derrière nous – ne vous retournez pas, malheureux !–, il a produit un aspect positif en nous. Ainsi n’avons-nous qu’une hâte : que ce moment valorisant d’un point de vue littéraire vienne une fois de plus nous caresser l’ego. Guili-guili. En quelque sorte, l’originalité certifie notre capacité à l’invention, à la créativité dont on ne peut se passer pour que notre lecteur considère, hors de la qualité de l’histoire racontée, du talent dont nous faisons preuve pour l’animer. Tout dépendra ainsi de comment les mots ou les phrases seront assemblés afin de provoquer le charme, la cocasserie, la complicité, la provocation, etc.

L’électron libre de la littérature

Si les petits signaux ne se mettent pas à clignoter pour vous remettre en tête la première phrase ayant servi de déclencheur à la seconde, ne vous inquiétez pas. Souvent, lors des relectures qui suivront l’écriture de votre nouvelle ou de votre roman, vous finirez par les débusquer. Peut-être pas toutes, mais suffisamment pour que votre texte ne donne pas l’impression de n’être fait que de procédés mécaniques dépourvus du moindre grain de folie. De la moindre surprise. Des procédés, il en faut. Ils sont indispensables dans une histoire ne serait-ce que pour l’échafauder. En présenter les grands traits et en assurer les liaisons afin qu’ils soient solides et cohérents. Donner du corps à vos personnages. Mais l’originalité est une sorte d’électron libre jaillissant là où on ne l’attend pas quand les procédés sont conçus pour lui déblayer la voie. Ouvrant un chapitre ou un paragraphe, elle doit le traverser de part en part d’un seul souffle. Malicieux ou inquiétant, cet électron doit enflammer les phrases qu’il traverse. L’originalité embrase les mots ordinaires pour les rendre extraordinaires.

Du génie au salaud

Certains mots mal employés ne se correspondent pas. L’originalité y ayant recours est appelée à échouer. Au lieu de produire l’effet escompté, elle pervertira le message que vous souhaitiez faire passer. L’originalité est donc à manipuler avec précaution en tant que nitroglycérine de l’écriture. Soit vous faites exploser votre lecteur de stupéfaction devant la simplicité mise en œuvre, soit en comptant sur vos doigts restants vous n’irez pas jusqu’à trois dans le meilleur des cas. Avant de nous quitter, un dernier exemple où les mots, pour aussi simples qu’ils puissent paraître, acquièrent leur pleine puissance en étant liés judicieusement :

« […] Mais pour un oui, pour un non, à présent, des étourdissements me prenaient, à en passer sous les voitures. Je titubais dans la guerre. »

C’est de Louis-Ferdinand Céline, dans Voyage au bout de la nuit.

Comme quoi l’originalité peut amener un génie à devenir un salaud…

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