Le blog d'Esprit Livre

" Vous trouverez sur ce blog des informations sur les métiers de l'écriture, des chroniques littéraires , des textes de nos auteurs en formation, des guides et des conseils pour vous former, écrire et publier. " Jocelyne Barbas, écrivain, formatrice, fondatrice de L'esprit livre.

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Françoise Baudin et ses romans comiques en quête d’éditeur

Les derniers jours de l'éternité

Sommaire

En quête d’éditeur !  Françoise Baudin est l’une des toutes premières romancières en formation à L’esprit livre. Elle s’y plaît bien puisque après avoir écrit Mortelle guérison, puis La mort en vitrine, elle rédige son troisième roman : Les derniers jours de l’éternité.  Elle a toujours écrit en se marrant. Elle cultive un art d’écrire à elle :  pouffer à faire hoqueter le stylo sur la page. Bousculer ses idées en grandes secousses revigorantes. Fouiller le dictionnaire afin de débusquer les plus beaux mots de la langue française pour faire passer ses idées rigolotes. Ceux qui la connaissent savent avec quel courage elle sait trouver la force de rire de tout, jusqu’à faire reculer la mort et plusieurs fois encore. Rions avec elle ! Rions pour vivre à 3000 à l’heure et 300 mots lus par minutes. Le rire reste le meilleur antidote à la noirceur des jours.

Lisez le premier chapitre de son roman et dites-lui ce que vous en pensez sur son blog. Soutenez-la et si par hasard, vous êtes éditrice ou éditeur, si vous avez envie de découvrir cette romancière, laissez-lui un petit mot. S’il vous plaît ! ?

Jocelyne Barbas, Fondatrice de L’esprit livre

A lire : « Je suis à la retraite, encore soixante-dix ans à m’éclater, après je ralentis !  »

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squelettes

Les derniers jours de l’éternité

(Ou la pire vengeance de l’humanité jamais imaginée )

Anastasia découvre l’infidélité de son mari. Meurtrie, elle conçoit la pire des vengeances jamais imaginée par un être humain. Elle va chercher dans l’au-delà son amour de jeunesse décédé trente ans plus tôt, le grand rival de son mari volage. Il faut dire aussi que les circonstances de la disparition accidentelle du premier amour d’Anastasia n’avaient pas été totalement éclaircies….

4ième de couverture

A cinquante ans, Anastasia, magicienne qui s’ignore, est profondément blessée par l’infidélité de Javier son mari. Elle conçoit la pire des vengeances en allant chercher dans l’au-delà le grand rival de ce dernier, Léandre, son amour de jeunesse décédée trente ans plus tôt dans des circonstances mystérieuses.

Assistée par Médée, une sorcière brouillon qui concocte des potions de circonstance, Anastasia, après de multiples aventures préparatoires comiques et surnaturelles, traversera la barrière intemporelle, rencontrera des entités pas catholiques telle que Luciferus maître des Enfers ou Melpomène gardienne du Monde en Attente. De retour sur Terre, Anastasia fera disparaitre le mari volage de la surface du globe au profit du beau Léandre avec qui elle filera le parfait amour.

Les derniers jours de l’éternité

Françoise Moreaux

Chapitre 1

Anastasia attendait son mari derrière la porte et dès qu’il entra dans la maison, elle lui balança en pleine figure un string en cuir rouge à lacets sur le devant.

« Espèce de salaud ! Avec qui tu as utilisé ça ? Et ça ? Hurla-t-elle en lui mettant sous le nez un rallonge-kiki poilu.

— Ma pourquoi tou as pris mes affaires ? Répondit Javier en reniflant le slip.

— C’est ça, tu vas me faire croire que c’est à toi ?

— Dé quoi tou parles ? Fit le malheureux qui roulait des yeux.

— Tu te fous de moi ? Vieux dégoutant, cria-t-elle en lui envoyant une tonne de lettres en travers du visage. Tiens, tes mots doux à tes poufiasses !

— Ma, ça né veut rien dire, tous les hommes font ça, fit-il réellement étonné.

— Ah oui ? Ils collectionnent des colifichets, des femmes à poils et du courrier parfumé ? Tu me donnes envie de gerber.

— Ma tou comprends, yé suis un pétit peu incrédoule. Tou m’attaques sans crier gare !

— Espèce de malotru ! Tu es coupable ! Tu m’as menti, tu m’as humiliée, tu m’as bafouée ! Dit-elle au paroxysme de la colère.

— Malotrou, c’est pas youste qué tou mé dises ça. Yé suis oun peu beau parleur, yé lé réconnais, mais yé n’ai pas autant dé maitresses qué tou lé dis. Si maman était là, yé n’ose imaginer.

— Ah non ! S’il te plait, laisse Lecima tranquille.

— Stasi ma chérie, yé né peux pas m’empêcher, c’est la sessoualité qui parle. A cause des glándulas sexuales, il m’est difficile dé résister à la tentación.

— Je t’en ficherai moi, des glandoulasses sessoualesses. Et arrête avec ce surnom ridicule ! Je m’appelle Anastasia, pas Stasi, répondit-elle en lui lançant une jardinière de fleurs.

— Ma ! Fit Javier qui évita de justesse le projectile. Yé n’ai pas la berloue ? Tes bras ont enflé, no ? »

Anastasia avait trouvé bien léger ce pot en grès, au diamètre conséquent. Elle regarda ses deux membres supérieurs. Ils étaient énormes. Elle ressentait un décuplement et ça bouillonnait à l’intérieur, comme si une force inconnue y était installée. Ses manches lui parurent soudain trop étroites. Elle se souvint qu’étant enfant lorsqu’un voisin avait tué le lapin qu’elle préférait, quelque chose d’identique s’était passé. Alors qu’elle était en intense désarroi, les muscles de ses bras avait bougé bizarrement. Cela lui avait fait si peur qu’elle avait gardé ce ressenti pour elle. Depuis cet incident, elle faisait son possible pour être constamment d’humeur égale, de crainte de… Pour pallier cette gêne, elle avait fait des années de sophrologie et de yoga et arrivait tant bien que mal à se contrôler. Et aujourd’hui, voilà que ça recommençait. Tout était de la faute de Javier, ce trousseur de gueuses.

.Anastasia sortit de ses pensées et regarda son bellâtre de mari, au nez aquilin sur un visage anguleux. Le charme ibérique dans toute sa splendeur. Elle l’appelait Ravier, pour faire un jeu de mots avec le jota espagnol qui se prononce R roulé et le petit plat à hors d’œuvre. Elle explosait face à sa trahison et le menaçait de rupture. Javier continuait à nier, augmentant le nystagmus involontaire qui mobilisait son regard. Il lui était impossible de fixer quoi que ce soit. Anastasia voyait les iris noirs sauter d’un angle à l’autre et jaugeait son mari qui s’empêtrait dans des excuses minables.

« Yé te youre qué yé né récommencérai plou ma princesa, dit-il en joignant les mains pour simuler la prière.

— Tu ne vas pas t’en tirer à si bon compte, cria-t-elle en tordant ses lèvres. Tu sais quoi ? Je vais me venger !

—  Ma comment ? Tou vas mé faire cocou, c’est ça ?

— Oui, yé vais té faire souper-cocou et de la pire façon qui soit, tu ne peux imaginer ! Répondit-elle en imitant son accent espagnol, ses yeux bleus lançant des roquettes.

— Ha, ha, yé né lé crois pas oun seul instant » dit-il en riant à gorge déployée, ce qui eut pour effet d’apaiser le mouvement optique.

Anastasia avait des fourmis qui lui traversaient le corps. Elle se sentit mal, vacilla et se raccrocha de justesse à la console en bois, vide-poches de l’entrée. Elle s’efforçait de respirer profondément tandis que son regard meurtri tombait sur la couverture d’un magazine reçu au courrier du matin, La revue de l’au-delà du Dr Jean-Jacques Charbonnier. Il n’en fallut pas plus pour que l’idée germât aussitôt dans sa tête. Les mots sortirent presque tout seuls, elle s’entendit dire qu’elle irait rechercher Léandre. Javier, abasourdi, battit furieusement des cils qu’il avait longs et touffus et répondit n’importe quoi à sa furie de femme.

« Léandré, ma tou es folle ? Ha, ha, ha.

— Oui, justement Léandre, fit-elle en attrapant par le col le personnage qui ne prenait pas la menace au sérieux.

— Donc tou veux mourir ? Ma, yé peux t’aider pour aller plou vite, si tou veux. »

Et Javier ricanait, ricanait tellement, que ses cheveux noirs frisés s’étaient libérés de l’élastique qui les retenait. Anastasia, malgré sa rage, ne pouvait s’empêcher de constater le magnétisme que dégageait l’homme de quarante-huit ans. Il était encore très beau et, pincée au vif par sa propre faiblesse, elle le lâcha, s’enfuit dehors et se réfugia dans la remise attenant à la maison. Son irascibilité se dissipa aussitôt. Elle ressentait un calme olympien et avait l’impression d’être connectée à une puissance hors norme. Ses bras avaient repris une taille normale et des images volaient dans son cerveau. Elle y voyait défiler des paysages extraordinaires et entendait une douce musique. La manifestation étrange étant de plus en plus fréquente, elle se demandait si elle ne perdait pas progressivement la raison, frappée d’un syndrome inconnu. Ce qui la rassurait tant soit peu, c’était le sentiment de bien-être extrême qui la traversait. Une paix qui la transcendait. La folie ne doit pas être cela, se dit-elle en s’en retournant à la maison où plantée devant sa moitié, elle lui annonça son projet d’une voix ferme et posée.

« Je vais te dire une chose, selon les statistiques il y a cinquante-cinq pour cent de maris infidèles dont tu fais partie. La vengeance est un plat qui se mange froid, alors écoute-moi bien. Non seulement tu vas être cocufié en long, en large et en travers, mais ce sera par Léandre. Oui, ton rival, tu sais notre copain dont tu étais jaloux comme un tigre parce que je le préférais. Eh bien mon coco, je vais aller là où il… Elle n’eut pas le loisir de terminer sa phrase, Javier éclata d’un rire tonitruant tel qu’il faillit s’étouffer. Il en pleurait.

« Yé n’en peux plou, tou as oublié qu’il est muerto ?

— Non hélas, je ne le sais que trop ! Dit-elle combative, replaçant une mèche blonde et rebelle dans sa chevelure souple.

—  Ha, ha, ha ! Tou va avoir dou travail ma pauvré chérie. Amor, amor ! Hi, hi, hi, il est couic, zigouillé ! Yé l’ai vou mourir d’ouné crisé cardiaque …il y a trente ans.

— Et alors ? Qui va m’en empêcher ? Répondit-elle avec détermination, se sentant en capacité d’aller jusqu’en enfer. Je suis prête à ramener le Diable lui-même, et par ses glandoulasses sessoualesses s’il le faut !

— Ma ! Lé Léandré, yé l’ai vou comme yé té vois. Soubito, il y a eu oun grand nouagé nouar et pffft ! Il a disparou, précisa le fanfaron qui prenait la menace d’Anastasia à la rigolade.

— Que racontes-tu là ? C’est quoi ces conneries ? Son corps a été englouti dans un éboulement de terrain et il n’a jamais été retrouvé. Tu as bu ma parole !

— Et pouis mierda, tou mangeras seule ! Yé dois aller à la pharmacillerie, yé suis ki-né-si-théra-peute, si tou t’en souviens. Mes patients m’attendent. Ah, tou salueras el Diablos pour moi » dit-il en claquant la porte, non sans avoir remarqué la déformation du porte-parapluie en métal de l’entrée.

 

Assis au volant de sa voiture, Javier pensa que ce n’était pas la première fois qu’il constatait des choses étranges. L’objet en question était tordu d’une façon anormale, comme si un fort des halles s’était acharné dessus. Pourtant le bel hidalgo était blindé face aux colères de sa femme, à ses sautes d’humeur qui occasionnaient des représailles sur divers appareils domestiques. Pourquoi était-elle comme ça ? A la moindre contrariété, son regard changeait tellement qu’il ne le reconnaissait pas. Il lui était même venu à l’esprit qu’Anastasia était dotée de pouvoirs surnaturels. Sauf que maintenant cela prenait une tournure déplaisante et il ne comprenait pas. En fait, il crevait de trouille à l’idée que sa femme le plaque. Son ego ne le supporterait pas. Et cette vengeance extrême dont elle l’avait menacé lui faisait mal, plus qu’il n’osait se l’avouer et, comme à son habitude, il avait réagi par des provocations. Cocufié par Léandre, son ami et rival, c’était inimaginable. Il n’avait jamais digéré le fait qu’Anastasia ait préféré ce blondinet. Elle n’avait que l’embarras du choix dans la quantité de soupirants roucoulant à ses pieds. Son indécrottable humanisme et son imagination débordante faisaient d’elle une reine à capturer. Et Javier était du lot des merlans frits.

« C’est vrai, dit-il, yé suis aussi bien que lui ! Plou beau, plou rigolo, plou vivant, toutes les femmes tombent dans mes bras. Même la mienne ! »

Ses patientes réclamaient ses plaisanteries, sa bonne humeur, son accent ibérique forcé. Son air coquin séduisait et Javier ne se retenait pas pour triturer ces dames avec passion. C’était une envie réciproque, il le savait. Il avait mis au point une technique de massage, dont il était très fier, à la limite de la déontologie.

« La volonté dé résoultat disait-il, yé suis obligé dé mé coller contre elles, sinon ça marche moins bien. »

Il les rassurait toujours de la même manière. Elles se bousculaient au portillon, n’étant pas dupes, pour le plaisir d’être malaxées par d’autres mains, de sentir contre leur peau les muscles puissants d’un autre homme.

« Là, c’est un peu près, je sens votre sexe gonflé, lui avait lancé une jeune femme à qui il avait répondu être offusqué par une telle constatation.

— Moi yé fais dou massage pas dou racolage. »

Certes, Javier était un coureur invétéré et ne pouvait résister bien longtemps à la supplique des desiderata féminins. Il sautait sur la moindre occasion et se déculpabilisait en pensant qu’Anastasia était bizarre, bien que d’une grande beauté. Il était tombé amoureux fou de cette belle blonde aux attaches fines, comme une poussière de son étoile. De grande taille, il la toisait et la narguait en lui disant moitié français, moitié espagnol : Ma, yé n’y peux rien, yé guéris les corps avec des gestos precisos, c’est mon métier. Ce qui provoquait quelques tensions, Anastasia ayant un fond jaloux. Javier arrêta là ses réflexions et se gara devant son cabinet. Il poussa la porte et appela son premier rendez-vous.

« A nous deux Madame Bélasquez, soyons fous !

 

****

Deux heures avant le départ de son mari, Anastasia était assise sur le lit conjugal et tenait un portefeuille tombé en secouant la couette. Elle l’avait ramassé pour le poser sur le chevet quand une crampe brachiale avait stoppé son geste. Ses muscles étaient parcourus par des milliers de billes qui roulaient sous sa peau. Sa main droite enserrait et déformait le cuir tant elle était crispée dessus. Elle avait eu l’impression qu’un petit diable lui disait : Ouvre-le ! Elle avait hésité. De quel droit aurait-elle fouillé les affaires de son époux ? Pourtant la voix avait martelé Ouvre-le ! Ouvre-le !

« Mais pourquoi faire ? Avait-elle répondu tout haut, un peu agacée.

Et s’il avait quelque chose à cacher…

—  Pfft, non, ça m’étonnerait.

Alors regarde !

— Je suis sûre qu’il n’y a rien », avait dit nerveusement Anastasia en tournant les intercalaires transparents, sans s’interroger sur cette mystérieuse suggestion.

Ce faisant, elle avait remarqué un papier blanc. Elle l’avait sorti, déplié et lu. Le ciel lui était alors tombé sur la tête. C’était une lettre d’amour. Une intrigante rappelait à Javier leurs frasques de cinq à sept. L’en-tête, Javiero querido, te quiero (Javiero chéri, je t’aime) avait tuée Anastasia. Elle était bouleversée, amorphe, les yeux qui se remplissaient de larmes. Vingt-cinq ans de vie commune ! Vingt-cinq ans pour en arriver là !  Ce n’était pas possible, c’était une vaste blague ! Elle s’était allongée, broyée de douleur. Un tel arrache-cœur lui tordait les tripes. Elle ne pouvait admettre ce coup de poignard dans leur contrat de mariage. Toute sa vie qui basculait lui avait alors envoyé des flashes-back explicites : Javier se précipitant au courrier, s’excusant d’être en retard, repartant au cabinet après une douche, arrosé de sent-bon avant d’aller toucher des corps.

« Comment a-t-il pu me faire ça ? Pourquoi ? » Avait-elle dit au plafond.

Un éclair en dents de scie avait troublé sa vue et un mal de tête ophtalmique s’était installé. C’était fréquent lorsqu’elle subissait une contrariété. Ne distinguant plus rien, elle avait pris un comprimé et fermé ses yeux en amande, un linge sur le visage. Elle n’avait plus pensé.

 

Au bout d’une demi-heure la migraine s’était estompée. Anastasia s’était levée, la lettre encore dans sa main. Que fallait-il faire ? La remettre en place comme si de rien n’était ? Dans l’expectative, elle s’était demandé s’il y en avait eu d’autres. Et combien ? L’avait-il toujours trompée ? C’est vrai qu’il était beaucoup moins à l’aise avec les hommes. Il avait peu de copains et personne ne venait à la maison sauf quelques rares amis communs. Elle était si désespérée qu’un langage inhabituel lui était venu à la bouche.

« Salaud ! Avait-elle gueulé dans la chambre. Je vais lui en faire baver avait-elle repris en se dirigeant vers le bureau de son mari. »

Sous le bazar, elle avait trouvé des posters de femmes si peu habillées. Ce qui lui avait pincé l’estomac, elle n’avait jamais apprécié… Le sous-main en verre montrait, bien centrée, sa propre photo. Un mouvement de colère indicible l’avait submergée et, fait virevolter les mèches bouclées autour de son visage poupin. Personne n’aurait imaginé qu’elle avait cinquante ans.

« En plus, il ose m’exposer avec ses poufiasses ! » S’était-elle exclamée, mettant ses cordes vocales à rude épreuve.

Anastasia refusait d’être partagée. Je n’ai rien à faire là, avait-elle dit enlevant son portrait ainsi que tous les clichés où elle figurait. Elle avait ensuite fouillé des caisses en carton et des dossiers suspendus, des tiroirs. Elle en avait trouvé un fermé à clef et l’avait arraché séance tenante, aidée par cette force étrange. Elle avait découvert d’autres photos, une multitude de photos, des portraits de femmes de toutes les couleurs.

« Pfft, c’est minable à son âge, pourquoi pas un abonnement au magazine Lui, tant qu’à faire » avait crié Anastasia, de plus en plus mal.

Elle s’était alors attaquée à l’ordinateur. L’historique était rempli de sites olé-olé, de nanas à poils, vieilles, grosses, naines, géantes, des belles, des moches, en petites tenues ou sans. Certaines avaient une attitude malsaine ou langoureuse. Beurk ! Anastasia avait eu envie de vomir et avait fermé l’écran. Derrière les quelques livres de la petite bibliothèque, elle avait trouvé des lettres planquées, qu’il avait reçues, ou des brouillons qu’il avait écrits. Le dernier en date était destiné à une demoiselle, la fille d’une connaissance commune. Elle venait juste d’avoir dix-huit ans. Il lui déclarait sa flamme sur le retour. Anastasia avait souffert davantage, brûlée dans son intérieur.

Son cœur, tiraillé dans tous les sens, était anéanti. L’amour blotti dedans s’était disloqué en mille morceaux. Il avait tapé à tout rompre, voulant sortir de son péricarde. Anastasia s’était pliée en deux. Elle avait tiré sur ses cheveux à les arracher et s’était mise à hurler. Puis en reniflant, elle avait poursuivi la fouille et était tombée sur un agenda qui recelait les noms et les coordonnées des dites personnes. Elle avait ensuite épluché les factures de téléphone et constaté des appels, courts, longs, certains à des heures indues. Elle avait fini sa fouille par le large fauteuil relax, la main glissée entre l’assise et le dossier avait extirpé un string de cuir rouge à lacets et un sex-toy.

Anastasia avait rassemblé les preuves abjectes et les avait jetées pêle-mêle dans un carton.         Javier allait revenir du travail et elle l’avait attendu, appuyée sur la console de l’entrée. Cinq minutes plus tard, l’ombre de son mari s’était dessinée sur la vitre dépolie de la porte. Dès qu’il avait mis le pied à l’intérieur, elle s’était précipitée et lui avait balancé les ignominies à la figure.

 

***

A 13 heures 30, Javier était reparti au travail sans avoir déjeuné. Anastasia, pour toute nourriture, avait bu un café fort, avalé un anxiolytique et respiré des huiles essentielles anti-stress. Elle avait les yeux dans le vague et le moral au fond du faitout. Les idées venaient en masse dans sa tête et lui donnaient le tournis. Malgré le médicament, la désespérance la possédait et elle essaya de lâcher prise avec une figure de Yin Yoga. Elle s’allongea à plat ventre sur le tapis poussiéreux. Le bas du corps en extension, jambes et pieds joints. Le buste relevé, elle s’appuya sur ses avant-bras, ses mains posées à plat, les coudes pliés à 90° et la tête tirée vers l’arrière. Elle aspira profondément, longuement et souffla de même. Mais cela ne suffisant pas, elle opta pour la posture de la grenouille qui bondit. Elle décolla le ventre du sol, monta le bassin au plus haut et le déplaça vers l’avant à la hauteur de la ligne des genoux. Elle écarta les jambes de façon à avoir un angle droit cuisses/mollets et tourna la pointe des pieds vers l’extérieur. Elle poussa sur ses bras, rabattit sa tête et rentra son menton. Elle ferma les yeux et resta ainsi les fesses en l’air, en équilibre instable attendant l’apaisement total.

« Coa ! Coa ! » Fit-elle au bout d’un instant, un sourire traversant son visage.

Calmée, elle s’assit et se releva lentement. Cette séance l’avait remontée à bloc et elle était fermement décidée à faire payer Javier. Elle irait rechercher Léandre là où il était,

dût-elle traverser l’enfer. Elle se sentait en capacité d’entreprendre ce voyage extraordinaire parce qu’elle était différente des autres. Elle possédait cette chose en plus qu’il lui fallait maitriser.

***

En premier lieu, Anastasia devait mener une enquête afin de connaitre la vérité sur la mort de Léandre. Une personne savait, qui avait l’entière confiance de Javier, c’était Lecima, sa maman chérie à qui il racontait tout, jusqu’à la couleur des petites culottes de son épouse. Anastasia enfila son manteau et alla dans la remise. Elle fit tourner le moteur de l’antique Deuch qui brouta un bon moment avant de démarrer.

Au décès de sa mère Marie, Anastasia avait hérité de sa 2CV de 1968, toujours ornée de la publicité et du téléphone de l’époque peints sur sa carrosserie. Marie était fleuriste et trempait à fond dans l’ésotérisme, largement soutenue par Lecima et une troisième larronne du nom de Médée. Le trio, surnommé Tria Fata (les trois fées), connaissait parfaitement les principes des plantes et des tours de passe-passe qui avaient fait leur renommée dans le milieu mystérieux de la théurgie, magie qui permettait de communiquer avec les bons esprits et d’invoquer les puissances surnaturelles. Anastasia était dotée d’un pragmatisme d’infirmière et réfutait ces pratiques qu’elle considérait comme de la sorcellerie dérangeante.

 

Elle quitta sa maison plain-pied située en périphérie de la commune de Cieux en Haute-Vienne. Le vénérable véhicule l’emmena durant dix kilomètres, cahotant sur la route qui avait souffert de l’hiver. En passant la colline de Chantegros, d’humeur joyeuse, Anastasia sifflait. Encore quelques virolets et elle traverserait Peyrelade. Elle serait bientôt chez Lecima. La mère de Javier était veuve d’un artilleur et inventeur espagnol. Ce dernier avait sauté avec son prototype de roquette qu’il testait sur un terrain militaire. Depuis, ce qui restait de Paquito reposait au cimetière de Cadix, sa ville natale. Lecima n’avait pris le deuil que le temps imposé par sa religion, car son Andalou de mari, muni d’un arsenal toujours au garde à vous, avait satisfait tout le canton féminin, au grand dam de son épouse. Elle se désespérait d’avoir, d’après la rumeur, engendré un fils qui était l’exacte réplique de son père.

 

Anastasia arriva chez sa belle-mère qui allait vers la septantaine. Professeur de français à la retraite, elle avait les moyens de bien vivre, si l’on comptait en sus de la sienne la moitié de la pension de son mari. Anastasia gara sa voiture devant la maison bourgeoise plantée sur un promontoire qui dominait un beau parc paysager. Lecima qui avait reconnu le bruit du moteur et voyant poindre l’antiquité depuis sa verrière, ouvrit la porte. Ce dont profita aussitôt Perfeccíon, le perroquet gris du Gabon, cadeau de Paquito à son épouse qui lui avait appris un langage mélangé d’expressions argotiques au mode subjonctif. Comédien dans l’âme, l’animal y avait trouvé plaisir et commettait quelques ratés.

Anastasia souriait au bel emplumé qui l’accueillait à sa façon.

« Encorrrre eut-il fallu que nous sussions votre arrivée. Yoyotâtes-vous de la touffe ?

— Attention, c’est chaud et ça gliss… trop tard ! L’oiseau qui voulait se poser sur le capot s’étala par terre.

— Fi donc ! Mauvais calcul, encore eut-il fallu que je le susse, répliqua-t-il en se brossant le jabot.

— Ou que je le sache ! Excusez-moi du peu votre Altesse », répondit la visiteuse se retenant de rire.

Anastasia emprunta l’escalier de pierres blanches qui menait au perron, suivie par le psittacidé. Lecima fit signe à sa belle-fille et vint au-devant d’elle, habillée comme à son habitude en rouge et noir, ses cheveux de jais regroupés en chignon haut. Très coquette, elle se maquillait coloré malgré son âge et usait volontiers de son sourire ravageur pour séduire ses interlocuteurs. Une écharpe incarnat cachait quelque peu son cou avachi par le temps.

« Fagotée comme l’as de piiiique, encore eut-il fallu qu’elle le susse, chantait Perfeccíon qui faisait le clown sur la rambarde.

— Viens ici, sacripant ! Il a réussi à se carapater, peux-tu attraper sa ficelle ? » Demanda Lecima.

Le corps de la femme âgée était souple, elle descendit deux marches et tendit ses bras engoncés dans des manches en dentelle de qualité d’où sortaient des mains lestées de bagues aux grosses pierres naturelles.

« Bonjour ma chérie, la Vienne a coulé sous le pont Saint-Martial depuis ta dernière visite. Que me vaut l’honneur ? Dit-elle dans un français dénué d’accent épicé en récupérant le volatile.

— FFriiitt ! Il y a du monde au balcon, encore eut-il fallu qu’elle le sussasse ! Sifflait le gris du Gabon, les yeux sur le décolleté d’Anastasia.

— Le sache, Perfeccíon ! Le sache ! Rectifia Lecima qui posa l’oiseau dans son immense volière.

— Il est impayable dit Anastasia. Bonjour, comment allez-vous ?

— Comme tu le vois, je suis un roseau qui ploie mais ne rompt point, dit la dame effectuant un pas de danse.

— Votre cyphose vous fiche la paix ? Demanda la belle-fille essayant de garder son sérieux face au perroquet qui simulait la mort, pendu par une patte et la langue sortant du bec.

— Ainsi que tu peux le constater, dit-elle se mettant de profil et montrant la difformité inesthétique de son dos arrondi. La natation est mon traitement, à part mon fils bien entendu, précisa-t-elle en mettant de la nourriture dans le plat de Perfeccíon. Il va nous laisser tranquilles. »

Anastasia reconnaissait que Javier aidait beaucoup sa mère et c’est d’ailleurs pour la soigner qu’il avait fait de la kinésithérapie son métier.

« Justement dit-elle, je voudrais vous parler de votre fils…

— Ah ! Qu’a-t-il encore fait ? Je t’écoute.

— Il… il me trompe… »

Lecima regarda sa bru par-dessus ses lunettes, le front plissé d’étonnement.

« C’est seulement maintenant que tu t’en aperçois ?

— J’ai tout découvert ce matin…

—Tel père, tel fils ! Bien sûr, je le sais, comme tout le monde, et ne me reproche pas de ne pas te l’avoir dit. Tu ne voulais pas t’en apercevoir, tout simplement.

— Mais… vous savez depuis longtemps ?

— Depuis toujours ! C’est un chaud lapin, j’en conviens. Rappelle-toi cependant qu’il crevait d’amour pour toi et qu’il a été le premier cocu dans votre histoire puisque que tu préférais Léandre.

— Je ne lui ai donné aucun espoir, il s’est monté le bourrichon tout seul. Et puis Léandre est mort…

— Pourquoi as-tu épousé Javier ? »

 

Anastasia n’entendait plus, elle se voyait en 1987, à l’entrée de la fac de médecine où Léandre, Javier et elle étaient devenus amis. Les deux garçons été tombés fous amoureux d’elle qui n’avait d’yeux que pour Léandre. Le jeune homme blond était craquant avec ses longs cheveux frisotés, son regard bleu-vert aussi transparent que l’eau claire. La démarche chaloupée du garçon actionnait ses muscles fins, apparents sous des vêtements serrés. Une nuée de groupies était en pâmoison devant cette perfection de la nature. Un sourire du jeune fauve en liberté et elles tombaient comme des mouches périssant volontiers sur du miel pour un bref instant de plaisir. Bon nombre d’entre elles enviaient Anastasia. En dehors des cours, les trois amis passaient tout leur temps ensemble. Rien ne se faisait sans prendre une décision commune. Les moments intimes entre Anastasia et Léandre avaient toutefois lieu et dans ce cas, Javier s’éclipsait. Le faisait-il de bon gré ? Anastasia en doutait, combien de fois s’insurgeait-il dans leur couple pour un oui ou un non. Il fallait le rabrouer et il partait de mauvais cœur. Même la moto de Léandre était prétexte à chicanerie, Javier râlait de devoir les suivre en voiture. Sa mère refusait de lui offrir un engin aussi dangereux que cette pétrolette motorisée. Anastasia souriait à l’évocation de ce mot, c’était quand même un sept-cent-cinquante cm3 que son propriétaire appelait Quat’pat’. Evidemment, Javier pouvait être jaloux.

 

« Je regrette bien cette décision, répondit Anastasia sortant de son flash-back. Votre fils est un fieffé salaud, je suis anéantie, il me dégoûte !

— Certes ! Je suis bien placée pour te comprendre, que vas-tu faire ? » Demanda Lecima à sa belle-fille qui était déjà repartie dans son jeune temps.

 

Deux années étaient passées, rapides. Léandre avait choisi de rester en médecine, Javier était en Institut de Formation en Masso-Kinésithérapie (IFMK) et Anastasia avait laissé la fac pour l’IFSI voulant être infirmière. L’amitié et les amours étaient au beau fixe lorsque l’impensable était survenu. Anastasia sortait de l’école et avait vu passer les gendarmes, sirène hurlante, suivis par l’ambulance. Prise d’un mauvais pressentiment, elle avait sorti de sa poche sa télécarte, s’était dirigée vers la cabine téléphonique et avait appelé chez Léandre. Elle avait laissé sonner longtemps, avant de raccrocher parce que son bus démarrait. Une fois chez elle, sa mère lui avait annoncé un terrible accident survenu à l’angle du Puyménier et de la Chapelle-du-bois-du-rat. Anastasia avait senti ses jambes se dérober.

« Léandre ! » Avait-elle crié avant de s’effondrer.

 

Ranimée, elle avait supplié qu’on l’amène sur place. Le périmètre avait été sécurisé, il n’était pas possible d’approcher. Anastasia avait vu un père et une mère brisés, assis à même le sol. Comme une folle, elle avait franchi la barrière de protection. Les forces démultipliées, malgré les cinq gendarmes accrochés à ses basques, elle était arrivée près des parents et était tombée à leurs pieds.

« Où est Léandre ? Où est Léandre ?

— Mademoiselle ! Vous ne pouvez pas rester là », lui disait un adjudant en lui prenant le bras.

Anastasia s’était relevée et l’avait envoyé valdinguer plusieurs mètres plus loin puis elle s’était accroupie, le regard suppliant vers la mère qui lui avait annoncé l’atroce vérité.

« Léandre est mort ! »

***

Anastasia, sans connaissance, avait été ramenée à son domicile. La jeune femme qu’elle était alors entra en dépression durant deux longues années. La guérison venant, elle avait repris ses études d’infirmière et obtenu son diplôme. Javier travaillait déjà dans son cabinet de kiné largement financé par maman. Anastasia avait finalement épousé le bel hidalgo l’année suivante, elle avait vingt-cinq ans et lui vingt-trois.

Un bruit de chaise de jardin qui ripait sur les dalles, ramena Anastasia au temps présent. Elle était couverte d’écorces de graines diverses. Elle lança un œil réprobateur au perroquet qui la visait depuis sa cage.

« Piqué des vers, pfft ! Piqué des vers, Pfft ! Encore eut-il fallu qu…

— Ta gueule Perfeccíon, ça suffit ! Dit Lecima, recouvrant les barreaux d’un épais tissu, ce qui cloua le caquet de l’emplumé, tu es d’une incorrection notoire. Pourquoi lui ai-je appris cette phrase idiote ! Poursuivit-elle, avant de s’adresser à sa belle-fille. Tu étais partie bien loin, regarde, dit-elle, l’album des photos de l’époque radieuse. »

Anastasia fondait littéralement sur les clichés de Léandre et son cœur se délitait comme au premier jour. Il battait la chamade et criait je suis amoureux, je suis amoureux, oh, oh tu m’entends ? Avoue que tu l’aimes encore trente ans après sa disparition.

« Oui là, je l’aime toujours et je vais all…

— Que dis-tu ma chérie ? Tu vas bien ? Demanda Lecima ouvrant ronds ses petits yeux noirs.

— Excusez-moi, je pensais tout haut, répondit Anastasia en tournant les pages.

— Pourquoi n’as-tu jamais voulu connaitre les circonstances de l’accident ?

— Rav… euh Javier m’a raconté que Léandre avait eu une crise cardiaque alors qu’ils roulaient tous les deux à moto. Votre fils est kiné, il connait les symptômes, je l’ai cru. Point. Que fallait-il savoir d’autre ?

— Ils étaient à la Chapelle-du-bois-du-Rat, cet endroit hanté… où habite une de mes amies, dit Lecima.

— Oui et devant le Castelet, la moto s’est mise à guidonner, le sol s’est ouvert et Léandre a été englouti, compléta Anastasia en posant l’album.

— Je n’étais pas présente, l’hôpital m’a appelée me disant que mon fils avait eu un accident. Je me suis précipitée à Limoges…

— Et c’est quoi cette histoire de grand nuage noir avant le glissement de terrain ?

— Ecoute, tu es assez grande pour demander à ton mari, non ? »

Anastasia sentait une réticence. Pourquoi Lecima avait-elle l’air gêné ?

« L’enquête a eu un déroulement rapide et la conclusion de la gendarmerie a été plutôt hâtive » continuait Anastasia qui sentait son corps la picoter.

Elle souffla longuement avant de regarder sa belle-mère qui, assurément, protégeait son fils.

« Tu as toujours été hypersensible, lui disait-elle, je crois que tu vas faire une crise comme celles que tu faisais étant petite, tu t’en souviens ? Tes nerfs te donnaient une espèce de force phénoménale, heureusement, nous t’avons soignée avec ta maman. »

Ma parole, elle digresse pensa Anastasia qui sentait ses nerfs, justement, faire des vagues sous la peau de ses avant-bras. Elle persévéra dans son exercice respiratoire tout en écoutant Lecima.

« Là, ma chérie, là, calme-toi… Javier m’a dit que tes bizarreries étaient de retour.

— Ne vous souciez pas de cela, je vais très bien, j’aimerais revenir à nos moutons, dit-elle apaisée.

— Très bien ! Que cherches-tu exactement ? Lui demanda Lecima un peu vexée.

— J’ai eu une dispute très grave avec Javier, il m’a trahie et je veux me venger de ce porc.

— Mais te venger de quelle façon ? Tu ne vas quand même pas lui rendre la pareille ? Précisa la belle-mère le regard soudain rieur.

— Si ! Je vais le cocufier en allant rechercher Léandre. »

 

Un ange passait et repassait, meublant le temps scandé par les ronflements de Perfeccíon derrière sa tenture. Les deux femmes se toisaient, immobiles et sans mot dire. C’est Lecima qui reprit le dialogue, le sourire entendu.

« Ecoute, si tu le veux, mon amie peut t’aider… » dit-elle compatissante.

La femme âgée qui avait vécu les mêmes déboires avec Paquito, prenait parti pour sa belle-fille, c’était pour elle une façon d’annihiler les outrages subis.

« M’aider ? M’aider en quoi ? Demanda Anastasia.

— Elle habite toujours le Castelet. Tu ne te souviens pas ? Avec ta mère et Médée, nous formions le Tria Fata. Elle a peut-être vu quelque chose le jour de l’accident.

— La sorcière ? C’est une plaisanterie !

— Non, c’est une medium très puissante, elle t’emmènera où tu le désires.

— Mayday, mayday, mayday ! Que je le susse ! Entendirent-elles depuis la cage.

— Très bien, je vous remercie » dit Anastasia prenant congé de sa belle-mère qui donna de l’eau à son coquin de perroquet.

 

Au volant de sa voiture, Anastasia réfléchissait et se souvenait des soins prodigués par sa mère qui avait refusé de l’envoyer chez un psychiatre. Elle se rappelait, non seulement des breuvages, mais aussi de la chambre de guérison où Marie invoquait les esprits-médecins, comme elle disait. Anastasia, allongée sur le lit, les yeux fermés, avait supporté le bruit du tambour des Amérindiens qui sortait du CD et martyrisait ses tempes. Boum ! Boum ! L’odeur des huiles essentielles avaient assailli ses narines. La voix psalmodique de sa maman égrenant des paroles incompréhensibles avait déclenché un étrange phénomène. La petite Anastasia s’était vue sortir de son corps et planer dans un monde ouaté. Elle avait survolé une longue pelouse vert tendre, y avait vu un pommier, cueilli une pomme et l’avait croquée, respirant l’odeur du fruit juteux. Une boule de lumière était alors venue et ensemble, elles avaient traversé l’espace serein où les oiseaux chantaient. Anastasia s’était ensuite couchée sur un nuage et avait clos ses paupières. Des mains flottaient au-dessus de son corps et son esprit y avait ajouté les siennes. Puis des visages étaient apparus, l’air en paix, le sourire affable et le regard compatissant. L’un d’eux lui avait même parlé.

« Tu sauras en temps voulu, lorsque cela sera pour toi nécessaire, ton heure viendra », avait-il annoncé.

Disparaissant comme une bulle d’air qui éclate, il avait laissé sa place à un petit tas de plantes guérisseuses. C’était un Grand Maître de la Confrérie des simples, lui avait dit Marie.

 

Anastasia, forte de ces souvenirs, vit sa maison dans le lointain et pensa à Lecima qui la ménageait. Croyait-elle que sa belle-fille n’était pas prête à supporter la vérité ? Lorsque l’infirmière entra chez elle, Javier préparait le diner. Ils n’échangèrent aucun mot. L’odeur agréable d’une soupe à l’oignon « y » croutons fit frétiller ses narines. Elle dressa la table et ouvrit une bouteille d’Ursa major 2014. Elle voulait se faire plaisir et adorait ce vin surprenant et mûr. Après seize mois de maturation, il naissait soyeux, ample en bouche avec une note de fruits noirs, de vanille et de chêne. Sensuel et équilibré, il était doté d’une longue et agréable finale. Le bouchon explosa d’un « pop » lorsque que Javier posa, sur la nappe, la soupière et son accompagnement de carrés de pain dorés, ainsi qu’un peu de gruyère râpé. Anastasia versa alors le gouleyant liquide dans deux verres. Puis, stupéfaite, elle vit une étiquette « Soupe à la grimace » surnager sur le potage ambré. Elle ne fit pas de remarque, certaine que c’était encore une des blagues à deux balles dont son époux avait le secret, et se servit copieusement car elle mourait de faim. Javier, quant à lui versa trois louches dans son assiette où flotta le petit carton. Après quelques cuillères ingurgitées, ce dernier fila dans sa bouche. L’homme le mâcha sans sourciller et l’avala. En d’autres circonstances, Anastasia aurait ri. Javier prenait tout à la rigolade encore et toujours et ce penchant énervait son épouse. Tout n’était pas beau, tout n’était pas gentil, il y avait des situations dramatiques dont il ne fallait pas se moquer, quoiqu’en pensait le bel hidalgo. Le repas terminé, elle mit son assiette dans le lave-vaisselle et sans rien dire, attrapa une veste et sortit. Elle monta dans la Deuch et prit la route vers la Chapelle-du-bois-du-rat. Il était à peine 19h30, elle avait le temps d’examiner le lieu à la loupe avant la nuit noire. Bien sûr, trente ans après la mort de Léandre, ce n’était pas pour y trouver un indice, elle voulait juste s’imprégner de cet endroit de malheur, sentir l’air, écouter le vent, voir les feuilles des arbres bouger. Elle avait l’intime conviction qu’un signe l’attendait là, mais lequel ?

 

L’infirmière gara sa voiture sur un emplacement du bas-côté herbu. Elle descendit et se dirigea d’un pas incertain vers la clôture aux barbelés agressifs qui encerclait le grand terrain en friche. Elle atteignit la barrière en métal et fit glisser la main sur le dessus, de plus en plus vite. La rouille accrochait sa chair, sa paume laissait une teinte rouge sur la peinture écaillée.

« Vous saignez », dit une voix inconnue.

Anastasia n’entendait pas, perdue dans ses pensées, elle se sentait flotter dans cette atmosphère qui avait le goût insupportable de la douleur d’amour parti trop tôt.

« Il faut vous soigner, la rouillure est dangereuse », répétait la voix lointaine.

La quinquagénaire laissa échapper une mélopée d’une tristesse à fendre l’âme au bourreau.

« Madame ! Madame ! Arrêtez ! Fit la voix qui se fâcha et réveilla Anastasia.

— Je saigne dit-elle…

— Allons chez moi, nettoyer cette plaie. »

 

A suivre…

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